L'affirmation de ce principe de qualification lege fori ne tarit pas les difficultés. La qualification a montré des lacunes auxquelles il a fallu remédier en adaptant les catégories du droit international qui ne pouvaient constituer l'exacte réplique des catégories portant le même nom en droit interne (A). En outre, le pragmatisme lié au traitement des relations internationales impose d'admettre qu'il ne peut pas être totalement fait abstraction de la lex causae. L'application de la lege fori doit parfois être temporisée (B).
Les tempéraments de la qualification lege fori
Les tempéraments de la qualification lege fori
La singularité des catégories du droit international privé
Les catégories de rattachement couvrent des questions de droit qui touchent à des notions juridiques similaires ou bien suffisamment proches pour que l'on estime possible de rattacher leur traitement à un même ordre juridique. Le découpage des catégories a été réalisé autour d'institutions ou de problématiques juridiques jugées centrales comme le mariage, le divorce, les successions, les contrats, la capacité… tel que ces institutions ou problématiques étaient perçues par le droit du for. Les principes classiques liés à la mise en œuvre des règles de conflit de lois et en particulier le principe de la qualification lege fori ont été dégagés à une époque où le droit international privé était essentiellement de source nationale. Partant de l'idée que l'ordre interne était antérieur à l'ordre international, la doctrine affirmait la primauté du premier sur le second. Les solutions substantielles adoptées par le droit interne ont contribué à façonner les catégories de rattachement d'une certaine façon.
Aujourd'hui émergent des ordres juridiques supra-étatiques, en particulier l'ordre juridique européen, qui portent des intérêts venant transcender ceux des États membres. Les sources de droit international privé se sont diversifiées. À côté des sources internes, il existe des sources internationales et aussi européennes, puisque l'Union européenne peut désormais édicter des règles en matière de droit international privé. Cette diversité des sources implique parfois des appréciations divergentes par chaque État des termes employés dans des conventions internationales. La finalité de l'opération de qualification est d'assurer une prévisibilité, et donc une sécurité juridique. Or cette sécurité peut apparaître illusoire, si la qualification est susceptible de varier en fonction de l'interprétation interne mise en œuvre. Pour autant, les États veillent, par la force des choses, à prendre en compte les besoins de la vie internationale, pour ne pas en entraver le développement. Cela implique la recherche permanente d'une coordination des systèmes juridiques afin que les règles de conflit d'un ordre juridique puissent répondre à l'ensemble des questions de droit qui peuvent surgir dans les relations avec un autre ordre juridique avec lequel il coexiste.
Or, il est apparu que les classifications telles qu'elles sont conçues en droit interne ne seront pas nécessairement adaptées aux objectifs du droit international privé. Parfois les questions posées s'éloignent du thème central de la catégorie concernée jusqu'à en effleurer d'autres par certains aspects.
Face à cette évolution, le principe de qualification lege fori a montré des faiblesses et est apparu moins adapté. L'approche de la qualification lege fori a évolué et s'est assouplie sous l'influence de la doctrine moderne
1544742853984, pour admettre que le périmètre des catégories de rattachement pouvait être ajusté et ne plus correspondre exactement à celui du droit interne, notamment afin d'y faire entrer des institutions étrangères ou bien des règles étrangères inconnues du for. Pour y parvenir, Batiffol a notamment proposé de recourir à une qualification par le but ou la fonction de ces institutions. Les catégories de rattachement utilisées en droit international privé ont fini par devenir singulières et ne plus être la stricte réplique des catégories du même nom utilisées dans l'ordre interne. Les affaires Caraslanis et Bartholo peuvent servir d'illustrations.
Dans l'affaire Caraslanis, la question posée était de savoir si la célébration religieuse du mariage était une question de fond, ou une question de forme en droit français ; or cette condition n'existe pas du tout en droit français. L'opération de qualification va consister à d'abord poser la question de droit en des termes généraux et abstraits, en évitant toute référence aux solutions proposées par le droit interne matériel qui n'est pas encore désigné comme étant compétent. La qualification implique de rechercher si les raisons qui justifient que les questions de forme soient rattachées à la loi du lieu de célébration, justifient également que le caractère religieux ou laïc du mariage soit classé dans la catégorie des conditions de forme.
Dans l'arrêt Bartholo, la quarte du conjoint pauvre était une institution inconnue du droit français qui pouvait concerner la catégorie « Régime matrimonial » ou bien celle des successions. Mais, pour autant, aucune de ces deux catégories telles qu'elles pouvaient être appréhendées en droit interne n'intégrait une telle institution.
Les catégories de rattachement du for vont se trouver ainsi « élargies »
1541942279012pour y faire entrer des institutions étrangères inconnues, élargissement qui se justifie par la nécessaire recherche d'une « harmonie internationale des solutions »
1541942299199afin que les sujets de la vie internationale puissent légitimement bénéficier d'une continuité de traitement de leur situation. Cela constitue un premier ajustement du principe de la qualification lege fori telle qu'il était originairement conçu. L'harmonie recherchée justifie aussi qu'il ne puisse être totalement fait abstraction des lois étrangères.
La prise en compte de la lex causae
À l'occasion d'un contentieux impliquant une institution inconnue du droit du for, la qualification suppose que les contours de cette institution, que son essence même, soient précisés par l'analyse de la loi étrangère. Le classement dans une catégorie du for ne se fera que dans un second temps, parfois au prix d'une « déformation » ou d'un ajustement d'une de ces catégories dont aucune ne semble a priori destinée à accueillir l'institution étrangère. Ainsi, dans l'affaire Bartholo, les juges ont dû procéder à l'analyse du code maltais pour identifier la « quarte du conjoint pauvre » et, en quelque sorte, se l'approprier en décidant qu'elle entrait dans la catégorie du régime matrimonial plutôt que dans celle des successions.
D'autres exemples permettent d'illustrer la question des institutions étrangères inconnues du for : d'abord le trust, institution du droit anglo-saxon, aux fonctions multiples, qui permet d'organiser son patrimoine ou sa succession. La jurisprudence française a, dans un premier temps, cherché à le faire entrer dans l'une ou l'autre de ses catégories de rattachement. Elle l'a tour à tour assimilé au mandat
1541943116171, à la substitution fidéicommissaire
1541943122707, à un démembrement de propriété, avant de chercher à le définir comme une institution originale sans référence à une institution du droit français
1541943130414.
Ensuite la kafala, institution de droit musulman, qui constitue un mode de recueil légal d'un enfant sans création de lien de filiation. Elle se distingue par conséquent d'une adoption, laquelle est d'ailleurs prohibée dans la plupart des pays musulmans, et notamment dans ceux qui connaissent la kafala. Elle est plutôt assimilée en droit français à une délégation d'autorité parentale ou à une tutelle, mais au prix là encore d'une déformation des institutions françaises telles qu'on les connaît en droit interne.
La prise en compte de la lex causae pourra aussi intervenir à l'occasion de ce que Bartin a appelé la « qualification en sous-ordre ». Parfois, après avoir désigné la loi applicable par la mise en œuvre de la règle de conflit, il faut réaliser une seconde étape de qualification, laquelle ne va pas commander la loi applicable puisque celle-ci a déjà été trouvée ; cette seconde qualification, en sous-ordre, va permettre de décider de l'applicabilité d'un corps de règles au sein de la loi désignée. Chaque fois qu'il y aura lieu de définir et de classer des institutions au sein de la catégorie délimitée par la loi applicable au rapport de droit, c'est cette loi qui sera compétente pour le faire. Cette qualification en sous-ordre sera d'autant plus fréquente que la catégorie de rattachement sera définie largement. En revanche, la qualification en sous-ordre n'aura pas lieu si une règle de conflit distincte est consacrée à l'institution dont il est question.
La qualification lege fori continue aujourd'hui d'être pertinente dans la plupart des cas, sous l'impulsion de la doctrine moderne, qui a abandonné le fondement souverainiste proposé par Bartin, qui la sous-tendait. Pour autant, elle présente toujours certaines déficiences et apparaît parfois difficilement lisible, de sorte qu'elle ne semble pas toujours de nature à assurer la prévisibilité et la sécurité attendues dans les relations internationales. Les propositions doctrinales, notamment la qualification par la fonction des institutions, ne permettent pas toujours par exemple de résoudre les problèmes de conflits de catégories, en présence d'institutions qui se situent à la frontière de plusieurs d'entre elles. Quant à la jurisprudence, elle tend parfois à appliquer une conception stricte des catégories de rattachement, telles qu'elles sont perçues en droit interne. Face aux imperfections de la qualification lege fori, des modèles alternatifs de qualification sont proposés, en particulier la qualification autonome ou européenne.