Le contentieux des autorisations d'urbanisme : un contentieux original au service des projets

Le contentieux des autorisations d'urbanisme : un contentieux original au service des projets

Peut-on encore réaliser en sécurité ?
– Le permis de construire, objet de désir et de contestation. – Institué par la loi du 15 juin 1943, le permis de construire est connu de tous les Français au point d'être devenu un monument du droit. Pour ces derniers, il présente toutefois un double visage : objet de désir lorsqu'il s'agit de bâtir une maison pour y fonder une famille ; objet de répulsion quand il autorise la construction d'un immeuble collectif sur la parcelle voisine.
Comme il est avant tout une autorisation administrative, le permis de construire est exposé aux recours pour excès de pouvoir et nourrit un contentieux à la mesure de l'attrait-répulsion qu'il suscite.
Pour de nombreux auteurs, le contentieux est tel qu'il est devenu pathologique et constitue un frein réel aux opérations de construction.
– Le graal du permis de construire définitif. – Dans l'esprit des Français et des acteurs de l'immobilier, le permis de construire n'existe véritablement que lorsqu'il est définitif : c'est-à-dire quand il n'est plus susceptible ni de retrait, ni de recours des tiers, ni de déféré préfectoral. Et ceci, à rebours du droit : en effet, le recours contre un permis de construire n'a rien de suspensif. Dès lors que l'autorisation est exécutoire, rien n'interdit légalement le démarrage des travaux. Dans l'absolu, le permis tacite est exécutoire à sa naissance, le permis exprès sitôt transmis en préfecture et notifié au pétitionnaire. Mais, en pratique, le chantier ne débutera au mieux qu'à l'expiration des délais de recours et de retrait ; au pire lorsque le juge aura confirmé l'autorisation : en un mot, une fois le permis définitif. Cette prudence tient au risque d'annulation de l'autorisation, avec comme conséquences possibles la suspension des travaux en cours, le versement de dommages-intérêts ou encore la démolition de la construction avec des enjeux financiers considérables. Dans la vraie vie, les Français, particuliers comme professionnels, ne tirent l'existence d'un permis de construire qu'une fois ce dernier devenu définitif.
En conséquence de quoi, les promesses de vente sous condition suspensive de permis de construire définitifs sont devenues la règle dès lors que le projet de l'acquéreur comprend des travaux d'une certaine importance.
Par ailleurs, davantage que l'obtention d'une décision juridictionnelle, l'objectif de nombreux requérants contre un permis de construire est de différer le démarrage des travaux avec l'espoir que, le temps passant, le projet soit abandonné.
– Un contentieux original. – Sensibles à ce blocage, les pouvoirs publics se sont mobilisés. Ils ont poursuivi un objectif de sécurisation juridique des bénéficiaires d'autorisation d'urbanisme tout en respectant le principe fondamental du droit au recours.
Le contentieux de la légalité des autorisations d'urbanisme se caractérise ainsi par son particularisme par rapport au contentieux administratif de la légalité. Plusieurs objectifs contribuant à l'originalité de ce contentieux ont présidé aux différentes réformes : encadrer le temps judiciaire, contraindre les requérants, limiter l'intérêt à agir, et désormais permettre aux juges de régulariser les autorisations d'urbanisme.
Quels mécanismes peuvent dissuader d'exercer un recours dit abusif contre une autorisation d'urbanisme ? Quels mécanismes permettraient de mieux maîtriser les recours introduits à l'encontre des autorisations d'urbanisme ? Le recours malgré tout exercé, quelles techniques permettent de maîtriser le temps judiciaire ? Face à des vices de fond ou de procédure, de quels pouvoirs dispose le juge pour éviter l'annulation du permis ? Et, une fois le permis annulé, la démolition est-elle inéluctable ?
C'est à toutes ces questions que le législateur, en lien avec la doctrine, apporte des réponses depuis trente ans.
– Loi Bosson. – Le mouvement a été initié par la loi du 9 février 1994 portant diverses dispositions en matière d'urbanisme et de construction, dite « loi Bosson », en partie inspirée du rapport du Conseil d'État de 1992, « L'urbanisme : pour un droit plus efficace », qui a notamment obligé à notifier les recours à la collectivité et au bénéficiaire, avec à court terme un réel effet d'apaisement.
– Rapport Pelletier. – L'ouvrage a été remis sur le métier près de dix ans plus tard à la suite du rapport Pelletier, « Propositions pour une meilleure sécurité juridique des autorisations d'urbanisme », remis le 25 janvier 2005, qui relevait notamment que « le contentieux des autorisations d'urbanisme devant les tribunaux administratifs ne porte que sur une très faible proportion des autorisations (environ 1 %) et ne croît pas. Mais la difficulté vient du fait qu'il porte dans une proportion considérablement renforcée sur des opérations importantes et a alors des conséquences économiques lourdes ». Il ajoutait que « parmi les diverses branches du contentieux de l'urbanisme, celle des autorisations d'urbanisme donne lieu à un nombre significatif de désistements (de 15 à 20 % des affaires) qui suggère que la matière pourrait être le lieu d'un développement de modes alternatifs de règlement des conflits ».
Le rapport Pelletier a trouvé sa traduction juridique dans la loi portant engagement national pour le logement (dite « loi ENL ») du 13 juillet 2006 et le décret du 5 janvier 2007.
– Rapport Labetoulle. – Poursuivant l'effort, Cécile Duflot, ministre de l'Égalité des territoires et du Logement, a créé par lettre du 11 février 2013 un groupe de travail présidé par Daniel Labetoulle, « Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre », dont le rapport s'ouvre sur le constat que « l'épuisement des voies de recours contre une autorisation d'urbanisme puisse n'intervenir qu'au terme de plusieurs années et que cette situation ait actuellement pour effet de retarder d'autant le début de la construction, c'est ce que chacun des acteurs vit et constate jour après jour, projet après projet », et « que, par ailleurs, les instruments contentieux garantis aux tiers pour la défense de leurs intérêts légitimes, et pour le plus grand profit du respect des règles d'urbanisme, [sont] parfois pervertis à des fins qui leur sont étrangères et qui peuvent même aller, dans certains cas, jusqu'à s'apparenter à une forme de chantage ».
Les propositions du groupe de travail ont été pour l'essentiel reprises dans l'ordonnance no 2013-68 du 18 juillet 2013 et le décret no 2013-879 du 1er octobre 2013, tous deux relatifs au contentieux de l'urbanisme. Des solutions novatrices sur l'intérêt à agir, l'encadrement des transactions, la limitation de l'appel, l'octroi de dommages et intérêts en cas de recours abusif, la cristallisation des moyens ou encore les alternatives à l'annulation, sont issues de ces textes.
– Rapport Maugüé. – Conscient que l'objectif n'était pas encore atteint, Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, a confié à Christine Maugüé par une lettre du 9 août 2017 « la mission de procéder à l'évaluation des dispositions existantes en termes de lutte contre les recours abusifs dans le champ de l'urbanisme et de faire des propositions de dispositions complémentaires d'amélioration ». Le rapport, en avant-propos, déplore « la permanence de certains problèmes : les recours retardent, voire rendent impossibles les opérations ; ces recours ont un impact sur le coût des constructions. (…) Quoiqu'étant, en droit, non suspensifs, les recours ont en pratique un tel effet ».
La loi ELAN du 23 novembre 2018 et le décret du 17 juillet 2018 se sont largement inspirés des propositions du groupe de travail présidé par Christine Maugüé pour restreindre l'intérêt à agir des associations, renforcer le dispositif de cristallisation des moyens, réformer la procédure de référé-suspension et régulariser les permis.
– Rapport Rebsamen. – Alerté par la forte baisse de la production de logements neufs, Jean Castex, Premier ministre, a décidé le 31 mai 2021 de « réunir une commission composée d'élus, de professionnels et de personnalités qualifiées, présidée par Monsieur François Rebsamen, avec pour premier objectif d'étudier et d'objectiver les freins à la construction de logements ».
Le second tome du rapport a été remis le 28 octobre 2021 avec six propositions numérotées de 11 à 16 pour accélérer les procédures contentieuses en soulignant que « même si ces procédures ne concernent qu'une petite minorité de projets, les échanges au sein de la commission démontrent toutefois que les acteurs restent préoccupés par l'allongement des délais qui peut résulter de procédures contentieuses ». Pour le moment, ce rapport n'a pas donné lieu à des mesures spécifiques.
– Rapport du GRIDAUH. – À la demande de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), une étude sur l'opportunité de faire évoluer le régime des autorisations d'urbanisme a été établie par le GRIDAUH et rendue publique en octobre 2023. Cette étude propose des solutions pour traiter de la question des refus d'autorisation qui paralysent les projets. Elle propose notamment la mise en place d'un recours gracieux constructif ou encore d'étendre les pouvoirs de régularisation du juge aux refus de permis.
Ce rapport n'a pas encore trouvé de traduction concrète à ce jour.
– Depuis trente ans, le législateur s'est ainsi efforcé de sécuriser les bénéficiaires des autorisations administratives en utilisant différentes techniques. – Pour satisfaire cette ambition, il a rendu inefficaces les recours abusifs, autant que le respect du droit à un recours effectif le lui a permis. Avec ténacité, il s'est appliqué à développer des solutions singulières au contentieux de l'urbanisme, officialisées par la création d'un chapitre spécial au sein du Code de justice administrative renvoyant aux articles L. 600-1 et R. 600-1 et suivants du Code de l'urbanisme. Ces évolutions ont connu des prolongements en contentieux général. Le contentieux de l'urbanisme est considéré comme un laboratoire du contentieux administratif. Dernier exemple en date, la notification des recours en matière d'autorisation environnementale (Chapitre I).
Fort étonnement, le notariat ne s'est pas saisi du sujet et n'a pas accompagné ces évolutions (Chapitre II).
Les promesses de vente n'ont pas bougé. L'assurance permis de construire, dernière pierre à l'édifice, n'a quant à elle guère rencontré de succès (Chapitre III).
Trente ans de réformes au service des projets
– Des techniques originales. – Lors de ces dernières trente années, le législateur et le juge ont utilisé diverses techniques visant à limiter le contentieux de la légalité des autorisations d'urbanisme et à sécuriser les bénéficiaires des autorisations d'urbanisme en utilisant des solutions de plus en plus originales à mesure que les réformes se sont succédé :
L'absence de transcription dans les contrats de ces spécificités contentieuses
– La condition suspensive de permis de construire, l'incontournable clause du notariat. – La condition suspensive d'obtention d'un permis de construire définitif est une institution notariale que trente ans de réformes n'ont pas réussi à déboulonner. Les promoteurs, les banques, les agents immobiliers, l'ensemble des professionnels de l'immobilier sont « accros » ! À cet égard, prenons un extrait particulièrement éclairant du site d'une startup qui accompagne les non-professionnels dans les projets immobiliers :
Pour aller plus loin
L'assurance permis de construire est-elle une solution ?
– Donner la main au pétitionnaire sur la maîtrise des délais. – Comme nous l'avons déjà exposé lors du chapitre I, davantage que l'obtention d'une décision juridictionnelle, l'objectif de certains requérants contre un permis de construire est de différer le démarrage des travaux avec l'espoir que, le temps passant, le projet soit abandonné.