La démolition en dernier recours

La démolition en dernier recours

– Dans les rares cas où le permis de construire n'a pu être sauvé, se pose la question des effets de l'annulation pour la construction érigée en vertu du permis censuré. – L'hypothèse étudiée est celle dans laquelle le porteur de projet, malgré le recours contre le permis, a engagé et poursuivi les travaux conformément à l'autorisation certes débattue mais exécutoire. Au-delà de l'action en dommages et intérêts susceptible d'être engagée contre le constructeur sur le fondement de l'article 1240 du Code civil, quels sont les risques pour la construction ainsi bâtie ? Plus précisément, la démolition est-elle possible ?
Dans pareil cas, aucune action pénale n'est encourue, ni aucune action communale en démolition sur la base de l'article L. 480-14 du Code de l'urbanisme. De même, la jurisprudence Thalamy ne trouve pas à s'appliquer.
Seul demeure le jeu restrictif de l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme, selon lequel :
« Lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire :
1° Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et, sauf si le tribunal est saisi par le représentant de l'État dans le département sur le fondement du second alinéa de l'article L. 600-6, si la construction est située dans l'une des zones suivantes :
a) Les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard mentionnés à l'article L. 122-9 (…) ;
b) Les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral (…) ;
c) La bande de trois cents mètres des parties naturelles des rives des plans d'eau naturels ou artificiels d'une superficie inférieure à mille hectares (…) ;
d) La bande littorale de cent mètres (…) ;
e) Les cœurs des parcs nationaux (…) ;
f) Les réserves naturelles et les périmètres de protection autour de ces réserves (…) ;
g) Les sites inscrits ou classés (…) ;
h) Les sites désignés Natura 2000 (…) ;
i) Les zones qui figurent dans les plans de prévention des risques technologiques (…), celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels (…) ainsi que celles qui figurent dans les plans de prévention des risques miniers (…), lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé ;
j) Les périmètres des servitudes relatives aux installations classées (…) ;
k) Les périmètres des servitudes sur des terrains pollués (…) ;
l) Les sites patrimoniaux remarquables (…) ;
m) Les abords des monuments historiques (…) ;
n) Les secteurs délimités par le plan local d'urbanisme en application des articles L. 151-19 et L. 151-23 du présent code.
L'action en démolition doit être engagée dans le délai de deux ans qui suit la décision devenue définitive de la juridiction administrative.
2° (…) ».
– Observations. – Quelques observations permettent d'éclairer le dispositif.
L'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme pose un principe : en dehors des zones mentionnées aux a) à n) (qui correspondent notamment à la bande littorale des cent mètres, aux secteurs sauvegardés, aux cœurs des parcs nationaux, aux sites Natura 2000, aux réserves naturelles, aux abords de monuments historiques…), aucune construction édifiée conformément à un permis de construire ne peut être démolie à l'initiative des tiers : par conséquent, ceux-ci n'obtiennent guère de résultat concret à leur victoire pourtant obtenue de haute lutte devant le juge administratif.
En dehors des zones a) à n), seul le préfet peut être à l'initiative d'une démolition. À cette fin, le représentant de l'État doit déférer le permis de construire devant le juge administratif, puis, une fois le permis annulé, solliciter le juge judiciaire pour demander la démolition (C. urb., art. L. 600-6).
La Cour de cassation a jugé que, lorsqu'il est saisi d'une demande de démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire qui a été annulé, c'est à la date à laquelle il statue que le juge civil doit apprécier la condition de localisation dans l'une des zones énumérées à l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme.
La démolition n'est ouverte que si le permis a été préalablement annulé par le juge administratif saisi dans le délai de recours des tiers ou dans le délai du déféré préfectoral. Cela signifie que, si le permis n'a pas été attaqué dans les temps, aucune action en démolition n'est possible sur le fondement de l'article L. 480-13, quelle que soit la zone de construction.
Après avoir obtenu l'annulation du permis par le juge administratif, la démolition suppose de saisir le juge civil dans les deux ans de la décision devenue définitive. Le voisin, l'association ou le préfet doivent par conséquent affronter une seconde action judiciaire devant un nouveau juge.
L'action civile en démolition doit être dirigée contre le propriétaire qui, bien souvent, ne sera plus le titulaire du permis annulé. Ainsi, concernant un programme commercialisé, ce sont les acquéreurs en l'état futur d'achèvement qui doivent être assignés et non le promoteur.
La Cour de cassation estime que « toute méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique peut servir de fondement à une action » fondée sur l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme. Toutefois, le fait générateur n'est pas une condition suffisante. Conformément au droit commun de la responsabilité, le tiers sollicitant la démolition auprès du juge civil doit établir qu'il subit un préjudice personnel résultant directement de l'irrégularité commise, préjudice distinct de l'intérêt à agir qui a conduit à la recevabilité de son recours devant le juge administratif quelques années plus tôt.
La Cour de cassation considère que le juge doit mettre en œuvre un contrôle de proportionnalité avant d'ordonner la démolition et rechercher si une telle mesure est « proportionnée au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et au domicile » des personnes concernées. Le contrôle doit être réalisé in concreto . La sécurité des personnes est importante : en cas de construction irrégulière dans une zone inondable, la démolition apparaît justifiée.
– L'ouvrage public bénéficie d'une protection renforcée. – Le Tribunal des conflits a reconnu la compétence du juge administratif pour ordonner le déplacement, la transformation ou la suppression d'un ouvrage public implanté sur un terrain privé. Le Conseil d'État a autorisé le juge administratif à ordonner la démolition d'un ouvrage public dont le permis a été annulé en justice, sous les deux conditions suivantes :
  • d'une part, le juge doit d'abord se demander si une régularisation est possible ;
  • d'autre part, faute de régularisation possible, le juge doit se livrer à un bilan « coût-avantages » et « prendre en considération, d'une part, les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, notamment le cas échéant pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général ».
Ainsi la suppression de l'ouvrage a-t-elle été ordonnée en raison de l'atteinte au droit de propriété ou encore en raison de l'atteinte à un site. Au contraire, la suppression de l'ouvrage a été refusée en raison de l'intérêt général.
L'action en démolition d'un ouvrage public irrégulièrement implanté n'est soumise à aucune règle de prescription.
– Bilan . – Que de chemin parcouru en trente ans : le contentieux de la légalité des autorisations d'urbanisme a été profondément transformé pour le plus grand bien des projets et des pétitionnaires, tout en respectant le droit au recours.
Plusieurs observations doivent cependant être faites.
L'institut Paris Région constatait en 2018 : « Selon la Fédération des promoteurs immobiliers, près de 30 000 logements seraient aujourd'hui bloqués pour motif de recours abusifs. Si ce chiffre n'est pas négligeable, il convient de le relativiser.
D'une part, le contentieux de l'urbanisme et de l'environnement (dont le champ est plus large que celui du seul permis de construire) représente entre 6 et 7 % du contentieux des juridictions administratives.
D'autre part, sur un million d'autorisations d'urbanisme (portant sur du logement et d'autres objets) délivrées chaque année, seules 1,2 à 1,6 % font l'objet d'un recours. La moitié des permis attaqués correspondent à des constructions individuelles, et entre un quart et un tiers, à de l'habitat collectif. Parmi eux, peu de recours ont été reconnus comme abusifs – c'est-à-dire comme visant principalement à nuire au bénéficiaire du permis ou au projet qu'il porte, pour des raisons qui dépassent le seul intérêt urbanistique ou environnemental. En effet, le rapport Maugüé relève que trois jugements seulement ont sanctionné une telle pratique, depuis l'encadrement des recours abusifs en 2013 ».
En dépit du faible nombre de recours, ceux-ci ont un effet redoutable sur la pratique notariale. Cette dernière est restée figée aux années 1990, à l'époque où un permis sur deux était annulé. Le notariat, dans ses contrats, n'a pas accompagné les efforts du juge et du législateur.
Le risque de recours reste aujourd'hui en pratique un élément bloquant dans la réalisation des projets. Force est de constater que le notariat ne s'est pas saisi avec force du sujet. Mais il n'est jamais trop tard.