Protéger la personne et le citoyen dans le monde numérique

Protéger la personne et le citoyen dans le monde numérique

Le monde numérique a notamment pour héritage les systèmes d'information nés dans la seconde moitié du XX e siècle. Ces systèmes d'information constituent l'évolution informatique de la mécanographie dont le premier usage connu est le recensement de 1890 de la population des États-Unis d'Amérique. Ces systèmes ont donc initialement été créés pour permettre à des personnes de collecter, de traiter et d'archiver de manière automatisée, rapide et à grande échelle des informations sur d'autres personnes. La personne occupe ainsi une position centrale dans le monde numérique.
Pour la faire exister et pour la protéger, notre droit positif établit avec précision les attributs de la personne dans le monde réel. Il dote chaque personne d'une identité et d'une capacité JCl. Notarial Formulaire, Vo Etat Civil, fasc. 10, par D. Montoux. JCl. Notarial Formulaire, Vo Acte notarié-Incapacité, fasc. 80, par D. Montoux. . Compte tenu du développement des systèmes d'information, et notamment de l'importance des données personnelles collectées et traitées, l'enjeu de l'existence numérique de la personne est fondamental.
Il l'est d'autant plus que le développement des outils modernes et disruptifs se faisant toujours au rythme de la technique, sans attendre d'éventuelles adaptations juridiques, un décalage permanent s'observe entre les outils et la réglementation.
Il convient donc de se demander dans quelle mesure les attributs traditionnels de la personne sont transposables dans le monde numérique et vers quelles évolutions doit tendre notre droit pour protéger la personne dans ce nouvel environnement.
L'identité numérique est une notion moderne et complexe qui doit être définie avec précision (Titre I) . Quant à la capacité numérique, elle appelle une réflexion plus prospective (Titre II) .
Alors que dans le monde réel la notion d'identité est circonscrite avec précision, tant en ce qui concerne la consistance de la personne que ses actions, au regard notamment de sa dénomination, sa localisation ou encore la manifestation de son consentement, l'identité numérique est une notion floue, sans contours déterminés, mais pourtant convoitée par les opérateurs privés les plus importants.
– Capacité civile. – Autre attribut civil de la personne avec l'identité, la capacité est la faculté pour une personne d'être titulaire de droits (capacité de jouissance) et de les exercer seule et par elle-même (capacité d'exercice). Selon l'article 1145 du Code civil : « Toute personne physique peut contracter sauf en cas d'incapacité prévue par la loi ». L'article 1146 précise que : « Sont incapables de contracter, dans la mesure définie par la loi : 1o Les mineurs non émancipés ; 2o Les majeurs protégés au sens de l'article 425 ».
– La mort. – La mort est avant tout un événement biologique ; « le seul auquel le vivant ne s'adapte jamais », disait Vladimir Jankélévitch La mort, Flammarion, 1977, p. 276. .
Sa définition a été, et demeure encore largement débattue dans le corps médical, tant il est difficile de saisir l'instant irréversible qui fait basculer un être de la vie à la mort.
Avec le progrès des connaissances scientifiques, la définition biologique de la mort évolue. À la perte des seules fonctions cardiaque et respiratoire, a été ajoutée celle, définitive, de la conscience et des fonctions cérébrales.
Par nécessité, le législateur s'est également risqué à apporter une définition juridique de la mort, que l'on trouve dans un chapitre de la partie réglementaire du Code de la santé publique, relative au prélèvement d'organes sur une personne décédée, et inscrite dans l'article R. 1232-1 dudit code :
« Si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :
1o Absence totale de conscience et d'activité motrice spontanée ;
2o Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
3o Absence totale de ventilation spontanée ».
– Esquisse d'une définition de la mort dans le monde numérique. – Qu'en est-il de la notion de mort dans le monde numérique ? Y a-t-il une définition de la mort comprise sous son angle numérique ?
Dans le silence des textes, il est possible d'en esquisser une, en empruntant à la définition juridique de la mort biologique le caractère relatif à l'absence d'activité spontanée.
En effet, comme dans le monde matériel, une activité humaine peut se poursuivre artificiellement dans le monde numérique au-delà de la mort. Il peut s'agir d'actions programmées sommaires, tels de simples courriels à envoi retardé, jusqu'à des robots numériques utilisant l'image d'un individu, exploitant les données laissées par celui-ci de son vivant et dont l'exploitation peut donner l'illusion d'échanger avec lui, pourtant décédé depuis longtemps.
La mort numérique d'un individu pourrait ainsi être définie comme l'arrêt (total et définitif) de toute interaction humaine d'une personne physique dans la sphère numérique, consécutive à son décès biologique.

La mort numérique

Mort numérique : arrêt (total et définitide toute interaction humaine d'une personne physique dans la sphère numérique, consécutive à son décès biologique.
– Une disparition numérique ? – Force est de constater que cette mort biologique, que le langage courant évoque par euphémisme sous le terme de « disparition », ne fait pas disparaître, dans le monde numérique, les innombrables traces laissées sur la toile par un individu biologiquement décédé. Le numérique conserve au contraire toutes ces traces, et au besoin continue de les répliquer.
Lire
Le droit de la protection des données est le fruit d'une histoire récente (Section I) ayant défini des notions juridiques nouvelles (Section II) .
« Avec Google le droit à l'oubli n'existe pas », a déclaré Éric Léandri, cofondateur du moteur de recherche concurrent Qwant Allocution au salon Tech Not, Paris, sept. 2019. , précisément créé pour offrir aux internautes un moteur de recherche ne conservant pas et n'exploitant pas leurs traces numériques.
« Il n'est probablement pas loin le jour où, en accompagnement de l'urne funéraire qui recèle les cendres du défunt, sera proposé aux familles l'ensemble des données numériques accumulées au cours de sa vie, comme l'historique indigeste de son existence contenant son dossier médical, ses émotions, ses habitudes de consommation, ses préférences sexuelles et intellectuelles » M. Dugain et C. Labbé, L'homme nu, la dictature invisible du numérique, Robert Laffont, Plon, 2016, p. 12. .