La qualification lege fori en déclin

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

La qualification lege fori en déclin

La qualification lege fori de la règle de conflit est celle qui est retenue tant par la doctrine que par la jurisprudence (§ I). Elle n'est toutefois pas sans limite et ce principe de qualification a dû évoluer (§ II).

Le principe de la qualification lege fori

Le principe de la qualification lege fori a été défendu à la fin du XIX e siècle, en Allemagne, par Kahn et, en France par Bartin, qui l'a conceptualisé en raisonnant à partir de la jurisprudence Bartholo 1541940865278. Les faits étaient les suivants : M. et Mme Bartholo sont tous deux Maltais et se sont mariés à Malte. M. Bartholo s'installe par la suite en Algérie, alors française, et y achète des immeubles. À son décès, sa veuve réclame, contre l'héritière du défunt, sa part dans les immeubles situés sur le territoire français. Pour cela, elle demande à bénéficier des droits réservés par le Code Rohan, en vigueur à Malte, en invoquant l'institution maltaise de la « quarte du conjoint pauvre ». Se pose alors en réalité la question de la nature des droits invoqués par le conjoint survivant. Bartin en fait un conflit de qualifications et pose alors la question de la qualification de cette institution inconnue du droit français. Celle-ci se rattache-t-elle à la catégorie des régimes matrimoniaux ? Auquel cas, la loi applicable serait, à défaut de contrat de mariage entre les époux, celle du premier domicile matrimonial, et la veuve pourrait y prétendre puisque ce premier domicile avait été établi à Malte. Ou bien s'agit-il plutôt d'une institution qui relève de la catégorie des successions ? Auquel cas, la loi applicable serait celle du lieu de situation des immeubles, et alors Mme Bartholo serait privée de tout droit dans la succession puisque la loi française ne lui en accordait aucun. Le Code civil de l'époque ne reconnaissant pas la qualité d'héritier au conjoint survivant, la cour d'appel d'Alger confirme la décision du tribunal de Blida et analyse la quarte du conjoint pauvre comme un droit se rattachant au régime matrimonial.
En réalité, il ne s'agissait pas ici d'un problème de conflit de qualifications, mais plutôt d'un conflit de catégories. Néanmoins, partant des faits de cette affaire, Bartin suppose une opposition entre la qualification d'une institution retenue par le droit français et celle retenue par le droit maltais pour poser la question de la loi dans laquelle il doit être recherché la qualification.
Les tenants de la qualification lege causae considèrent que la qualification est une question d'interprétation de la règle matérielle dont l'application est en cause. Seul l'État étranger qui l'a édictée peut en donner la signification et donc qualifier les institutions qu'il a mises en place.
Bartin a pris un exemple pour expliquer les conflits de qualification : un Hollandais établit son testament olographe en France. Or, le droit hollandais interdit (à l'époque) à ses nationaux de rédiger un testament olographe même à l'étranger alors que le droit français le valide. Quelle loi appliquer à la validité de ce testament ? Loi nationale donc loi hollandaise, ou loi de lieu de rédaction donc loi française ? La question posée est celle de la qualification du caractère olographe du testament : question de pure forme et donc application de la loi française, ou question de validité du consentement et donc loi nationale ? Le droit français répond que c'est une question de forme et le droit hollandais répond que c'est la loi nationale, les deux pays se reconnaissant ainsi compétents (conflit positif de qualification).
Bartin prend parti pour la qualification lege fori. Plusieurs raisons sont invoquées à l'appui de cette position. D'un point de vue logique, la qualification ne peut être dictée par une loi qui n'a pas encore été désignée à ce stade de la mise en œuvre de la règle de conflit. Par conséquent, la qualification ne peut être opérée, à défaut d'une autre loi dont l'applicabilité est reconnue, que par la loi du juge saisi. Mais Bartin fait surtout reposer son raisonnement sur la souveraineté des États. La qualification est une question d'interprétation de la catégorie de rattachement qui constitue un élément de la règle de conflit. Il appartient donc à celui qui a posé cette règle d'en donner le sens et de l'interpréter. Puisque c'est la règle de conflit du for qui s'applique, elle doit avoir le sens que la loi du for a entendu lui donner. Admettre la qualification selon la lex causae serait admettre une intrusion de la souveraineté étrangère.
Avant Bartin, F. Kahn en Allemagne posait le même problème et voyait comme seule solution pour sortir de cette impasse le choix par le juge du droit des conflits de son ordre interne et, en l'absence de réponse expresse, de découvrir la solution à partir des conceptions de son droit interne.
En réalité l'opération de qualification met aux prises la règle de conflit du for avec la règle matérielle étrangère essentiellement lorsqu'est en cause une institution étrangère inconnue, comme la quarte du conjoint pauvre dans l'exemple ci-dessus. Il faut alors décomposer le raisonnement en deux temps. S'il existe une question posée qui implique une institution étrangère inconnue du for, c'est à ce droit étranger dont est issue l'institution en question qu'il incombera de préciser l'objet à qualifier. Ce n'est que dans un second temps, quand les caractéristiques de l'institution étrangère auront été précisées, qu'il faudra sélectionner l'une des catégories de rattachement du système de conflit du for. Ce qui supposera alors d'interpréter ces catégories selon sa loi.
La qualification lege fori défendue en France par Bartin et en Allemagne par Kahn l'a emporté, en doctrine et en jurisprudence. La Cour de cassation l'a consacrée à différentes reprises et pour la première fois dans l'arrêt Caraslanis 1541940765922. L'affaire portée devant les juges était la suivante : Mme Dumoulin, de nationalité française, épouse de M. Caraslanis, de nationalité grecque, assigne en divorce son époux. Ce dernier soulève alors la nullité de leur mariage, célébré civilement en France, en invoquant la loi grecque, qui exigeait une cérémonie religieuse comme condition de fond de la validité du mariage. Il s'agissait ici, avant d'envisager le divorce, de rechercher si le mariage avait une existence juridique. Pour cela, il fallait déterminer si l'exigence d'une célébration religieuse d'un mariage relevait de la catégorie des conditions de forme, ou bien de la catégorie des conditions de fond du mariage, à chacune d'elles correspondant un point de rattachement différent. Les conditions de forme sont rattachées à la loi du lieu de célébration, alors que les conditions de fond sont rattachées à la loi nationale. Les juges français se sont prononcés pour une qualification lege fori. Ils ont estimé que le caractère religieux du mariage entrait dans la catégorie des conditions de forme du mariage, et qu'il devait être analysé au regard de la règle de conflit française selon laquelle la forme du mariage renvoie au lieu de célébration, donc en l'espèce à la loi française.
Si le principe de la qualification lege fori s'est imposé comme modèle de qualification, il faut toutefois nuancer son application stricto sensu, à plusieurs titres.

Les tempéraments de la qualification lege fori

L'affirmation de ce principe de qualification lege fori ne tarit pas les difficultés. La qualification a montré des lacunes auxquelles il a fallu remédier en adaptant les catégories du droit international qui ne pouvaient constituer l'exacte réplique des catégories portant le même nom en droit interne (A). En outre, le pragmatisme lié au traitement des relations internationales impose d'admettre qu'il ne peut pas être totalement fait abstraction de la lex causae. L'application de la lege fori doit parfois être temporisée (B).

La singularité des catégories du droit international privé

Les catégories de rattachement couvrent des questions de droit qui touchent à des notions juridiques similaires ou bien suffisamment proches pour que l'on estime possible de rattacher leur traitement à un même ordre juridique. Le découpage des catégories a été réalisé autour d'institutions ou de problématiques juridiques jugées centrales comme le mariage, le divorce, les successions, les contrats, la capacité… tel que ces institutions ou problématiques étaient perçues par le droit du for. Les principes classiques liés à la mise en œuvre des règles de conflit de lois et en particulier le principe de la qualification lege fori ont été dégagés à une époque où le droit international privé était essentiellement de source nationale. Partant de l'idée que l'ordre interne était antérieur à l'ordre international, la doctrine affirmait la primauté du premier sur le second. Les solutions substantielles adoptées par le droit interne ont contribué à façonner les catégories de rattachement d'une certaine façon.
Aujourd'hui émergent des ordres juridiques supra-étatiques, en particulier l'ordre juridique européen, qui portent des intérêts venant transcender ceux des États membres. Les sources de droit international privé se sont diversifiées. À côté des sources internes, il existe des sources internationales et aussi européennes, puisque l'Union européenne peut désormais édicter des règles en matière de droit international privé. Cette diversité des sources implique parfois des appréciations divergentes par chaque État des termes employés dans des conventions internationales. La finalité de l'opération de qualification est d'assurer une prévisibilité, et donc une sécurité juridique. Or cette sécurité peut apparaître illusoire, si la qualification est susceptible de varier en fonction de l'interprétation interne mise en œuvre. Pour autant, les États veillent, par la force des choses, à prendre en compte les besoins de la vie internationale, pour ne pas en entraver le développement. Cela implique la recherche permanente d'une coordination des systèmes juridiques afin que les règles de conflit d'un ordre juridique puissent répondre à l'ensemble des questions de droit qui peuvent surgir dans les relations avec un autre ordre juridique avec lequel il coexiste.
Or, il est apparu que les classifications telles qu'elles sont conçues en droit interne ne seront pas nécessairement adaptées aux objectifs du droit international privé. Parfois les questions posées s'éloignent du thème central de la catégorie concernée jusqu'à en effleurer d'autres par certains aspects.
Face à cette évolution, le principe de qualification lege fori a montré des faiblesses et est apparu moins adapté. L'approche de la qualification lege fori a évolué et s'est assouplie sous l'influence de la doctrine moderne 1544742853984, pour admettre que le périmètre des catégories de rattachement pouvait être ajusté et ne plus correspondre exactement à celui du droit interne, notamment afin d'y faire entrer des institutions étrangères ou bien des règles étrangères inconnues du for. Pour y parvenir, Batiffol a notamment proposé de recourir à une qualification par le but ou la fonction de ces institutions. Les catégories de rattachement utilisées en droit international privé ont fini par devenir singulières et ne plus être la stricte réplique des catégories du même nom utilisées dans l'ordre interne. Les affaires Caraslanis et Bartholo peuvent servir d'illustrations.
Dans l'affaire Caraslanis, la question posée était de savoir si la célébration religieuse du mariage était une question de fond, ou une question de forme en droit français ; or cette condition n'existe pas du tout en droit français. L'opération de qualification va consister à d'abord poser la question de droit en des termes généraux et abstraits, en évitant toute référence aux solutions proposées par le droit interne matériel qui n'est pas encore désigné comme étant compétent. La qualification implique de rechercher si les raisons qui justifient que les questions de forme soient rattachées à la loi du lieu de célébration, justifient également que le caractère religieux ou laïc du mariage soit classé dans la catégorie des conditions de forme.
Dans l'arrêt Bartholo, la quarte du conjoint pauvre était une institution inconnue du droit français qui pouvait concerner la catégorie « Régime matrimonial » ou bien celle des successions. Mais, pour autant, aucune de ces deux catégories telles qu'elles pouvaient être appréhendées en droit interne n'intégrait une telle institution.
Les catégories de rattachement du for vont se trouver ainsi « élargies » 1541942279012pour y faire entrer des institutions étrangères inconnues, élargissement qui se justifie par la nécessaire recherche d'une « harmonie internationale des solutions » 1541942299199afin que les sujets de la vie internationale puissent légitimement bénéficier d'une continuité de traitement de leur situation. Cela constitue un premier ajustement du principe de la qualification lege fori telle qu'il était originairement conçu. L'harmonie recherchée justifie aussi qu'il ne puisse être totalement fait abstraction des lois étrangères.

La prise en compte de la lex causae

À l'occasion d'un contentieux impliquant une institution inconnue du droit du for, la qualification suppose que les contours de cette institution, que son essence même, soient précisés par l'analyse de la loi étrangère. Le classement dans une catégorie du for ne se fera que dans un second temps, parfois au prix d'une « déformation » ou d'un ajustement d'une de ces catégories dont aucune ne semble a priori destinée à accueillir l'institution étrangère. Ainsi, dans l'affaire Bartholo, les juges ont dû procéder à l'analyse du code maltais pour identifier la « quarte du conjoint pauvre » et, en quelque sorte, se l'approprier en décidant qu'elle entrait dans la catégorie du régime matrimonial plutôt que dans celle des successions.
D'autres exemples permettent d'illustrer la question des institutions étrangères inconnues du for : d'abord le trust, institution du droit anglo-saxon, aux fonctions multiples, qui permet d'organiser son patrimoine ou sa succession. La jurisprudence française a, dans un premier temps, cherché à le faire entrer dans l'une ou l'autre de ses catégories de rattachement. Elle l'a tour à tour assimilé au mandat 1541943116171, à la substitution fidéicommissaire 1541943122707, à un démembrement de propriété, avant de chercher à le définir comme une institution originale sans référence à une institution du droit français 1541943130414.
Ensuite la kafala, institution de droit musulman, qui constitue un mode de recueil légal d'un enfant sans création de lien de filiation. Elle se distingue par conséquent d'une adoption, laquelle est d'ailleurs prohibée dans la plupart des pays musulmans, et notamment dans ceux qui connaissent la kafala. Elle est plutôt assimilée en droit français à une délégation d'autorité parentale ou à une tutelle, mais au prix là encore d'une déformation des institutions françaises telles qu'on les connaît en droit interne.
La prise en compte de la lex causae pourra aussi intervenir à l'occasion de ce que Bartin a appelé la « qualification en sous-ordre ». Parfois, après avoir désigné la loi applicable par la mise en œuvre de la règle de conflit, il faut réaliser une seconde étape de qualification, laquelle ne va pas commander la loi applicable puisque celle-ci a déjà été trouvée ; cette seconde qualification, en sous-ordre, va permettre de décider de l'applicabilité d'un corps de règles au sein de la loi désignée. Chaque fois qu'il y aura lieu de définir et de classer des institutions au sein de la catégorie délimitée par la loi applicable au rapport de droit, c'est cette loi qui sera compétente pour le faire. Cette qualification en sous-ordre sera d'autant plus fréquente que la catégorie de rattachement sera définie largement. En revanche, la qualification en sous-ordre n'aura pas lieu si une règle de conflit distincte est consacrée à l'institution dont il est question.
La qualification lege fori continue aujourd'hui d'être pertinente dans la plupart des cas, sous l'impulsion de la doctrine moderne, qui a abandonné le fondement souverainiste proposé par Bartin, qui la sous-tendait. Pour autant, elle présente toujours certaines déficiences et apparaît parfois difficilement lisible, de sorte qu'elle ne semble pas toujours de nature à assurer la prévisibilité et la sécurité attendues dans les relations internationales. Les propositions doctrinales, notamment la qualification par la fonction des institutions, ne permettent pas toujours par exemple de résoudre les problèmes de conflits de catégories, en présence d'institutions qui se situent à la frontière de plusieurs d'entre elles. Quant à la jurisprudence, elle tend parfois à appliquer une conception stricte des catégories de rattachement, telles qu'elles sont perçues en droit interne. Face aux imperfections de la qualification lege fori, des modèles alternatifs de qualification sont proposés, en particulier la qualification autonome ou européenne.