Les rattachements spéciaux (les contrats de consommation)

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

Les rattachements spéciaux (les contrats de consommation)

Pour certaines catégories de contrats, la convention et le règlement ont prévu des rattachements spéciaux. Dans la convention de Rome, il ne s'agissait que des contrats conclus par les consommateurs et des contrats de travail. L'objectif à leur égard était d'assurer la protection de la partie faible. Le règlement reprend les rattachements spéciaux propres à ces contrats en leur apportant quelques modifications en vue d'assurer une protection renforcée de la partie faible. Il ajoute en outre une autre catégorie de contrats pour lesquels il a posé des règles de conflit particulières : les contrats de transport. Par ailleurs, alors que la convention de Rome ne traitait que du transport de marchandises et se contentait de poser une présomption à l'article 4, § 4, le règlement Rome I consacre un important article 5 à l'énoncé de règles de conflit concernant et le transport de marchandises et le transport de passagers. Enfin, le règlement innove en consacrant son article 7 à la détermination de la loi applicable aux contrats d'assurance alors que la convention de Rome ne couvrait que les contrats portant sur un risque localisé dans un pays tiers.
Il ne sera question ici que des seuls contrats de consommation visés par les articles 5 de la convention de Rome et 6 du règlement Rome I.
L'article 5 de la convention de Rome dispose :
« 1. Le présent article s'applique aux contrats ayant pour objet la fourniture d'objets mobiliers corporels ou de services à une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, ainsi qu'aux contrats destinés au financement d'une telle fourniture.
 2. Nonobstant les dispositions de l'article 3, le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle :
  • si la conclusion du contrat a été précédée dans ce pays d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité, et si le consommateur a accompli dans ce pays les actes nécessaires à la conclusion du contrat ou
  • si le cocontractant du consommateur ou son représentant a reçu la commande du consommateur dans ce pays ou
  • si le contrat est une vente de marchandises et que le consommateur se soit rendu de ce pays dans un pays étranger et y ait passé la commande, à la condition que le voyage ait été organisé par le vendeur dans le but d'inciter le consommateur à conclure une vente.
 3. Nonobstant les dispositions de l'article 4 et à défaut de choix exercé conformément à l'article 3, ces contrats sont régis par la loi du pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, s'ils sont intervenus dans les circonstances décrites au paragraphe 2 du présent article.
 4. Le présent article ne s'applique pas :
a) au contrat de transport ;
b) au contrat de fourniture de services lorsque les services dus au consommateur doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle.
 5. Nonobstant les dispositions du paragraphe 4, le présent article s'applique au contrat offrant pour un prix global des prestations combinées de transport et de logement ».
Et l'article 6 du règlement précise :
« 1. Sans préjudice des articles 5 et 7, un contrat conclu par une personne physique (ci-après "le consommateur"), pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, avec une autre personne (ci-après "le professionnel", agissant dans l'exercice de son activité professionnelle, est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle, à condition que le professionnel :
a) exerce son activité professionnelle dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, ou
b) par tout moyen, dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays, dont celui-ci, et que le contrat rentre dans le cadre de cette activité.
 2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les parties peuvent choisir la loi applicable à un contrat satisfaisant aux conditions du paragraphe 1, conformément à l'article 3. Ce choix ne peut cependant avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui aurait été applicable, en l'absence de choix, sur la base du paragraphe 1.
 3. Si les conditions établies au paragraphe 1, point a) ou b), ne sont pas remplies, la loi applicable à un contrat entre un consommateur et un professionnel est déterminée conformément aux articles 3 et 4.
 4. Les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas :
a) au contrat de fourniture de services lorsque les services dus au consommateur doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle ;
b) au contrat de transport autre qu'un contrat portant sur un voyage à forfait au sens de la directive 90/314/CEE du Conseil du 13 juin 1990 concernant les voyages, vacances et circuits à forfait (1) ;
c) au contrat ayant pour objet un droit réel immobilier ou un bail d'immeuble autre qu'un contrat ayant pour objet un droit d'utilisation à temps partiel de biens immobiliers au sens de la directive 94/47/CE ;
d) aux droits et obligations qui constituent des instruments financiers, et aux droits et obligations qui constituent les modalités et conditions qui régissent l'émission ou l'offre au public et les offres publiques d'achat de valeurs mobilières, et la souscription et le remboursement de parts d'organismes de placement collectif, dans la mesure où ces activités ne constituent pas la fourniture d'un service financier ;
e) au contrat conclu dans le cadre du type de système relevant du champ d'application de l'article 4, paragraphe 1, point h) ».
On le voit, le mécanisme mis en place par ces deux textes ne protège pas tous les consommateurs. Son champ d'application y est en effet rigoureusement circonscrit (§ I). Si le contrat litigieux en fait partie, l'idée, dans les deux cas, est que les parties puissent librement décider de soumettre leur contrat à une loi et qu'à défaut de choix de loi, la loi de la résidence habituelle du consommateur trouve à s'appliquer (§ II). La protection du consommateur se traduit par un développement du droit dérivé qui n'est pas sans soulever des problèmes d'articulation avec la convention et le règlement (§ III).

Le champ d'application des articles 5 de la convention de Rome et 6 du règlement Rome I

– Un consommateur et un professionnel. – La convention et le règlement définissent le consommateur comme celui qui agit « pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle  », mais le règlement précise qu'il doit s'agir d'une personne physique 1545996851632. Ainsi, le professionnel qui agit pour les besoins de son activité mais en dehors de sa spécialité (par ex., le médecin qui achète un ordinateur) n'est pas un « consommateur  » au regard de la convention de Rome ou du règlement Rome I. Le cocontractant du consommateur doit, quant à lui, agir dans le cadre de son activité professionnelle. L'article 6, paragraphe 1, du règlement le dit expressément en imposant que le contrat soit passé entre une personne physique consommateur et un professionnel agissant dans l'exercice de son activité professionnelle. La vente d'occasion entre deux particuliers ou le contrat conclu entre deux consommateurs ne relèvent donc pas du champ d'application de la règle spécifique. En revanche, peu importe le lieu de résidence habituelle du consommateur. Les règles posées par la convention et le règlement s'appliquent qu'il ait sa résidence habituelle sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne ou sur le territoire d'un État tiers.
– Contrats visés par l'article 5 de la convention de Rome. – La convention ne vise que les « contrats ayant pour objet la fourniture d'objets mobiliers ou de services » ou les « contrats destinés au financement d'une telle fourniture ». Entrent donc dans le champ de l'article 5 le contrat de vente de marchandises, le contrôle de prêt, de crédit-bail, de fourniture d'enseignement et les opérations à terme dans une bourse étrangère 1545996875662. En revanche, le crédit immobilier n'y est pas inclus 1545996883756. Il relève donc des règles générales des articles 3 et 4 sous réserve de l'application des lois de police. Par ailleurs, le contrat de transport est expressément exclu de l'article 5, car la compétence privilégiée de la loi de résidence habituelle du consommateur n'est pas appropriée pour ce type de contrat 1545996904208, de même que « le contrat de fourniture lorsque les services dus au consommateur doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle » 1545996898614. En revanche, l'article 5 s'applique au contrat portant sur un « voyage organisé » comprenant transport, mais aussi hébergement, nourriture, conférences, etc. Conv. Rome, art. 5, § 5. .
– Les circonstances dans lesquelles le contrat peut donner lieu à protection dans la convention de Rome. – L'article 5, § 2, énumère trois circonstances dans lesquelles les règles protectrices du consommateur doivent s'appliquer.
Le premier cas est celui où la conclusion du contrat a été précédée dans le pays de la résidence habituelle du consommateur d'une proposition spécialement faite (démarchage à domicile, envoi d'un catalogue ou d'une proposition personnelle par courrier ou par intermédiaire) 1545997072120ou d'une publicité (par voie de radio, télévision, presse écrite, affichage) si le consommateur a accompli dans ce pays les actes nécessaires à la conclusion du contrat. Peu importe où le contrat a été juridiquement conclu, du moment que c'est dans le pays de résidence habituelle que la consommateur a signé les documents qui lui étaient présentés ou a envoyé sa commande au fournisseur 1545997081152. La protection du consommateur se comprend facilement dans cette hypothèse, le consommateur ayant été sollicité chez lui.
Le deuxième cas dans lequel les règles protectrices s'appliquent est celui où le cocontractant du consommateur ou son représentant a reçu la commande dans le pays de résidence habituelle du consommateur. Là aussi, la protection du consommateur se comprend aisément.
Enfin, le troisième cas visé par l'article 5 est celui où le contrat est une vente de marchandises et où le consommateur s'est déplacé du pays de sa résidence habituelle dans un pays étranger et y a passé la commande, à la condition que le voyage ait été organisé par le vendeur dans le but d'inciter le consommateur à conclure une vente. Sont ici visées les ventes effectuées dans le cadre « d'excursions transfrontières » 1545997197959.
Dans ces trois situations, seul le consommateur « passif » est protégé. Le consommateur « mobile » ou « actif » qui, lors d'un séjour à l'étranger, effectue des achats ou qui, de retour chez lui, adresse une commande à fournisseur rencontré sur son lieu de vacances, est quant à lui soumis aux règles générales des articles 3 et 4.
– Contrats visés par l'article 6 du règlement Rome I. – Le champ d'application du règlement est plus large que celui de la convention. A priori tous les contrats de consommation bénéficient de l'article 6 du règlement ; la restriction aux contrats de fournitures d'objets mobiliers corporels et aux contrats de services au consommateur qui figurent dans la convention de Rome a disparu dans le règlement. La protection pourra maintenant s'étendre à des contrats comme les contrats de crédit même non affectés à la fourniture de marchandises ou de services. Toutefois, le paragraphe 4 exclut les catégories de contrat auxquelles les règles de l'article 6 ne s'appliquent pas. Comme dans la convention de Rome, sont exclus le contrat de transport et le contrat de fourniture de services lorsque les services doivent être fournis au consommateur exclusivement dans un pays autre que celui de sa résidence habituelle. De même, sont exclus des règles protectrices les contrats portant sur des droits réels immobiliers ou droit d'utilisation d'un immeuble autres que le time-sharing, les contrats concernant des instruments financiers dès lors qu'il ne s'agit pas de fourniture de services financiers, et enfin les contrats conclus dans des systèmes multilatéraux.
– Les circonstances dans lesquelles le contrat peut donner lieu à protection dans le règlement Rome I. – Les circonstances dans lesquelles le contrat doit avoir été conclu ont été largement simplifiées. Il suffit, pour que l'article 6 s'applique, que le professionnel exerce son activité professionnelle dans le pays de la résidence habituelle du consommateur, ou « par tout moyen, dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays dont celui-ci ». La première situation vise le consommateur qui contracte avec un professionnel étranger mais ayant des établissements sur le territoire de sa résidence. Ce serait par exemple le cas d'un consommateur français se rendant en Allemagne pour contracter un crédit auprès d'une banque allemande qui a également des établissements en France 1545997360889. Mais l'article 6 du règlement Rome I pose comme condition que le contrat « rentre dans le cadre de cette activité » (exigence posée pour les deux situations visées par l'article). Il faudrait donc que le contrat conclu par le consommateur entre dans le cadre de l'activité professionnelle exercée dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle (ce que le considérant 25 invite à penser puisqu'il pose comme condition que le « contrat de consommation ait été conclu dans le cadre des activités commerciales ou professionnelles exercées par le professionnel dans le pays en question (pays de la résidence habituelle du consommateur) ». La seconde situation vise, outre le premier cas visé par la convention de Rome (publicité, démarchage, vente à distance), l'hypothèse du commerce électronique. Le considérant 24 du règlement précise que la notion « d'activité dirigée », présente également dans le règlement Bruxelles I, doit faire l'objet d'une interprétation harmonieuse dans les deux règlements. Et ce même considérant fait expressément référence à une déclaration conjointe du Conseil et de la Commission à propos de l'article 15 du règlement Bruxelles I selon laquelle : « Il ne suffit pas qu'une entreprise dirige ses activités vers l'État membre du domicile du consommateur, ou vers plusieurs États dont cet État membre, il faut également qu'un contrat ait été conclu dans le cadre de ces activités » et « le simple fait qu'un site internet soit accessible ne suffit pas (...), encore faut-il que ce site internet invite à la conclusion de contrats à distance et qu'un contrat ait effectivement été conclu à distance, par tout moyen. À cet égard, la langue ou la monnaie utilisée par un site internet ne constitue pas un élément déterminé ». Il faut donc se référer à la jurisprudence de la Cour de justice relative à l'article 15 du règlement Bruxelles I. À cet égard, la Cour a, dans un arrêt du 7 décembre 2010 1546002338951, fourni des précisions importantes : « Les éléments suivants, dont la liste n'est pas exhaustive, sont susceptibles de constituer des indices permettant de considérer que l'activité du commerçant est dirigée vers l'État membre du domicile du consommateur, à savoir la nature internationale de l'activité, la mention d'itinéraires à partir d'autres États membres pour se rendre au lieu où le commerçant est établi, l'utilisation d'une langue ou d'une monnaie autres que la langue ou la monnaie habituellement utilisées dans l'État membre dans lequel est établi le commerçant avec la possibilité de réserver et de confirmer la réservation dans cette autre langue, la mention de coordonnées téléphoniques avec l'indication d'un préfixe international, l'engagement de dépenses dans un service de référencement sur internet afin de faciliter aux consommateurs domiciliés dans d'autres États membres l'accès au site du commerçant ou à celui de son intermédiaire, l'utilisation d'un nom de domaine de premier niveau autre que celui de l'État membre où le commerçant est établi et la mention d'une clientèle internationale composée de clients domiciliés dans différents États membres. Il appartient au juge national de vérifier l'existence de tels indices. En revanche, la simple accessibilité du site internet du commerçant ou de celui de l'intermédiaire dans l'État membre sur le territoire duquel le consommateur est domicilié est insuffisante. Il en va de même de la mention d'une adresse électronique ainsi que d'autres coordonnées ou de l'emploi d'une langue ou d'une monnaie qui sont la langue et/ou la monnaie habituellement utilisées dans l'État membre dans lequel le commerçant est établi ». La condition de direction des activités repose donc sur un faisceau d'indices et implique une démarche, assez proche de celle mise en œuvre pour apprécier les liens étroits, consistant à analyser in concreto un grand nombre de données factuelles 1546002404309.
Par ailleurs, à la différence de ce qui était prévu dans la proposition du 15 décembre 2005, l'article 6 du règlement ne réserve pas la possibilité pour le professionnel de prouver qu'il ignorait le lieu de résidence habituelle du consommateur et que cette ignorance ne lui était pas imputable.

Les règles protectrices des articles 5 de la convention de Rome et 6 du règlement Rome I

La convention et le règlement autorisent le choix de loi applicable, mais limitent la portée du principe d'autonomie de la volonté (A). À défaut de choix de loi, la loi de la résidence habituelle du consommateur est applicable (B). La question s'est par ailleurs posée de savoir comment articuler ces règles protectrices avec le mécanisme des lois de police (C).

Limitation de la portée de l'autonomie de la volonté

La convention et le règlement prévoient tous deux que le choix par les parties de la loi applicable au contrat ne peut avoir pour effet de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi de sa résidence habituelle 1546002542130. Il faut dès lors se livrer à une comparaison concrète de la loi choisie par les parties et de la loi de résidence habituelle du consommateur. Si les dispositions impératives de la loi de résidence habituelle du consommateur sont plus protectrices que la loi choisie, il faudra les appliquer. En revanche, si les dispositions de la loi choisie sont au moins aussi protectrices que celles de la loi de résidence habituelle du consommateur, elles demeurent applicables 1546002549060.

La loi applicable à défaut de choix

Articulation des règles protectrices et des lois de police

Tant la convention que le règlement réservent le jeu des lois de police 1546002652251. Dans le cadre de la convention, la question s'est posée de savoir si l'article 5, § 2 devait être compris comme « une clause spéciale de lois de police » excluant le jeu de la règle générale de l'article 7 lorsqu'on se trouve en présence d'un contrat couvert par l'article 5 mais qui n'a pas été conclu dans les circonstances visées par le paragraphe 2. En d'autres termes, le consommateur « actif » qui est allé chercher le professionnel peut-il se prévaloir de la protection offerte par la loi de sa résidence habituelle appliquée en tant que loi de police ?
La question a été très débattue 1546002749930. En faveur de la qualification de l'article 5 en tant que clause spéciale de lois de police, l'on a souvent cité un arrêt du Bundesgerichtshof en date du 19 mars 1997 se ralliant à cette qualification 1546002759164, et fait valoir que la solution inverse conduirait à laisser lettre morte les dispositions de l'article 5, § 2 1546002772219. Mais cette qualification aurait pour conséquence paradoxale que la protection des lois de l'État de résidence habituelle du consommateur est plus accessible lorsque le contrat litigieux est totalement exclu du dispositif conventionnel de protection (libre jeu de l'article 7 et des seules conditions de la loi de police) que s'il en relève expressément (jeu de l'article 5 et de ses exigences de consommation passive) 1546002793273.
La Cour de cassation a finalement tranché la question dans un arrêt du 23 mai 2006 1546002800318en déclarant applicable l'article 7 de la convention de Rome à un consommateur dans une affaire où les conditions de l'article 5 faisaient défaut. Un couple de consommateurs domiciliés en France avait contracté un emprunt auprès d'une banque allemande qui les avait assignés en remboursement du prêt soumis au droit allemand par une clause de choix de la loi, devant le tribunal de grande instance de Sarreguemines (domicile de l'emprunteur). Les emprunteurs avaient alors invoqué l'article L. 311-37 du Code de la consommation français, en réclamant la compétence du tribunal d'instance et la cour d'appel de Metz avait rejeté cette exception d'incompétence au motif que l'article 5 ne trouvait pas à s'appliquer dès lors que les consommateurs n'avaient pas contracté avec la banque, à la suite d'une publicité faite en France et que tous les actes nécessaires à la conclusion du contrat avaient eu lieu en Allemagne. La Cour de cassation censure une telle décision au visa de l'article 7 de la convention de Rome et de l'ensemble de l'article (ancien) L. 311-37 du Code de la consommation. Cette solution est plus protectrice du consommateur : un consommateur qui a contracté dans d'autres circonstances que celles visées par les articles 5 et 6 de la convention et du règlement pourra néanmoins se prévaloir des dispositions protectrices de sa loi de résidence habituelle par le jeu des lois de police 1546002813381. La Cour de justice, quant à elle, ne s'est pas prononcée pour l'instant.

Développement du droit dérivé de la consommation

La protection du consommateur est devenue ces dernières années une priorité du droit de l'Union européenne. Elle s'est traduite par la multiplication de directives sectorielles (A) qui soulèvent des problèmes d'articulation avec l'article 5 de la convention de Rome et 6 du règlement Rome I (B).

La multiplication des directives de protection du consommateur

Depuis le traité de Maastricht, la protection du consommateur intra-européen est devenue l'une des principales missions de la Communauté. L'article 3 du Traité CE a fait expressément référence à « une contribution au renforcement de la protection des consommateurs », et un nouveau titre intitulé « Protection des consommateurs » 1546003220373a été institué conférant à la Communauté le pouvoir d'adopter des mesures aux fins d'« assurer un niveau élevé de protection des consommateurs » 1546003230436. Cette nouvelle base juridique s'est traduite par la multiplication des directives sectorielles, dont la plus célèbre est la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives.
Dans un premier temps, cette harmonisation est restée « minimale », laissant aux États membres la possibilité de maintenir ou d'adopter des mesures plus protectrices allant au-delà du niveau minimum de protection instauré par la directive. Elle est ensuite devenue « maximale », le législateur de l'Union préférant l'adoption de directives dont les règles de protection constituent le minimum mais aussi le maximum pour les États membres 1546003307090.
Le Livre vert sur la révision de l'acquis communautaire soumis à la consultation en mars 2007 proposait, quant à lui, une intervention du type « approche mixte », consistant en un instrument horizontal combiné au besoin avec une action verticale, c'est-à-dire l'amélioration des huit directives existantes. Mais la proposition de directive du 8 octobre 2008, relative aux droits des consommateurs, ne proposa de réviser que quatre directives : la directive 85/577/CEE du 20 décembre 1985, relative aux contrats négociés en dehors des établissements commerciaux, la directive précitée sur les clauses abusives, la directive 97/7/CE du 20 mai 1997 sur les contrats à distance et la directive 1999/44/CE du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation. Finalement, après de longues discussions au Parlement européen et au Conseil, cette proposition fut fortement amendée. Si la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, a maintenu le principe de l'harmonisation « maximale » en y apportant cependant de nombreuses dérogations, elle se limite en revanche à l'introduction d'une obligation générale d'information, à une refonte et à une uniformisation des obligations d'information et du droit de rétractation en matière de contrats à distance et de contrats hors établissement ainsi qu'à l'introduction de quelques « autres droits des consommateurs », sans modifier les règles en matière de conformité des biens de consommation de la directive 1999/44/CE et le régime des clauses abusives de la directive 93/13/CEE.
Quant à la proposition de règlement relatif à un droit commun de la vente du 11 octobre 2011, qui se voulait également applicable aux contrats de consommation, elle a été finalement retirée 1546003367213. Cette proposition avait pour objet de favoriser les conditions d'établissement et de fonctionnement du marché intérieur par la création d'un corps uniforme de règles en matière contractuelle qui pouvaient être utilisées dans le cadre de transactions transfrontalières portant sur la vente de biens, la fourniture de contenus numériques et la prestation de services connexes lorsque les parties contractantes convenaient de les appliquer, d'où la qualification d'« instrument optionnel ». Son abandon a néanmoins été accompagné de deux autres propositions de directives en date du 9 décembre 2015 1546003378065concernant certains aspects des contrats de vente en ligne et de toute autre vente à distance de biens instaurant des règles touchant à la conformité du bien ou du contenu au contrat, ainsi que les remèdes disponibles en cas de non-conformité dans ces deux types de contrats 1546003408064afin de supprimer les principaux obstacles au commerce électronique transfrontière dans l'Union. Et, plus récemment, la Commission a lancé en 2016 un vaste projet de refonte du droit européen de la consommation portant sur six directives : la directive de 1993 sur les clauses abusives, la directive 98/6/CE du 16 février 1998 sur l'indication des prix, la directive de 1999 sur la vente et les garanties de biens de consommation, la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales, la directive 2006/114/CE du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse (entre professionnels) et de publicité comparative et, finalement la directive 2009/22/CE du 23 avril 2009, relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs.
Progressivement se met donc en place un droit européen des consommateurs. L'articulation de ce grand nombre de directives avec la convention de Rome et le règlement Rome I soulève parfois des difficultés.

L'articulation des directives avec l'article 5 de la convention de Rome et l'article 6 du règlement Rome I

La convention de Rome et le règlement Rome I réservent la priorité au droit communautaire. La convention le fait dans son article 20 et le règlement dans son article 23 qui dispose que « (...) le présent Règlement n'affecte pas l'application des dispositions de droit communautaire qui, dans des domaines particuliers, règlent les conflits de lois en matière d'obligations contractuelles ». Or, les directives sectorielles relatives à la protection du consommateur contiennent généralement une clause d'applicabilité dans l'espace destinée à éviter que le choix par les parties de la loi d'un pays tiers n'aboutisse à priver le consommateur de la protection que lui assure le droit de l'Union européenne. Si l'objectif apparaît louable, en pratique, une telle clause a donné lieu à des interprétations et des transpositions très divergentes.
Le prototype en est l'article 6, § 2, de la directive sur les clauses abusives qui dispose que : « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que le consommateur ne soit pas privé de la protection accordée par la présente directive du fait du choix du droit d'un pays tiers comme droit applicable au contrat, lorsque le contrat présente un lien étroit avec le territoire des États membres ». L'interprétation du terme vague de « lien étroit », que l'on retrouve dans d'autres directives 1546003598286, a fait surgir immédiatement des interrogations. Dans quels cas peut-on dire que le contrat présente un lien étroit avec le territoire des États membres ? Faut-il se référer aux critères d'application de l'article 5 de la convention de Rome ? Si certains États se sont contentés d'imposer l'application de leur loi de transposition à l'encontre de la loi choisie d'un État tiers en cas de lien étroit avec le territoire d'un État membre, d'autres ont frappé de nullité la clause abusive contenue dans un contrat qui, à défaut de choix de la loi d'un État tiers, aurait été soumis à la loi d'un État membre. D'autres enfin, comme la France 1546003644245, ont défini de manière autonome le critère du lien étroit. Cette situation, contraire à l'objectif de protection uniforme poursuivi par le législateur communautaire, a été largement dénoncée par la doctrine 1546003628043. Et la Cour de justice a, dans un arrêt du 9 septembre 2004, Commission c/ Espagne 1546003654176, condamné le mode de transposition consistant à substituer à la notion de lien étroit avec le territoire communautaire retenue par la directive des rattachements rigides, au motif que : « Si la notion délibérément vague de "lien étroit" que le législateur communautaire a retenue peut éventuellement être concrétisée par des présomptions, elle ne saurait en revanche être limitée par une combinaison de critères de rattachement prédéfinis, tels que les conditions cumulatives relatives à la résidence et à la conclusion du contrat visées à l'article 5 de la Convention de Rome ». Or l'autorité de la chose interprétée attachée à cet arrêt, rendu à la suite d'un recours en manquement contre l'Espagne, conduirait à penser que les lois de transposition qui s'écartent des règles posées par les directives de protection du consommateur sur leur champ d'application, doivent être jugées caduques par le juge, qui doit se référer directement aux dispositions de la directive 1546003758369.
Les transpositions du droit français n'ont pourtant pas immédiatement respecté les exigences posées par la Cour de justice. L'ordonnance du 17 février 2005 transposant la directive 1999/44/CE du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation a défini l'existence de liens étroits avec le territoire d'un État membre par la résidence habituelle de l'acheteur dans un État membre ainsi que par les modalités entourant la conclusion du contrat 1546003771580. Se conformant davantage aux exigences de souplesse de la jurisprudence communautaire, l'ordonnance du 6 juin 2005 transposant la directive du 23 septembre 2002 sur la commercialisation à distance des services financiers s'est bornée à établir une présomption simple de lien étroit par la résidence habituelle du consommateur 1546003785352. Plus récemment, la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, dite « loi Hamon », à l'origine de l'article L. 231-1 du Code de la consommation, a, pour l'application des dispositions relatives aux contrats conclus à distance et hors établissement, aux contrats conclus à distance portant sur des services financiers, aux clauses abusives et aux contrats conclus par des acheteurs résidant dans un État membre de l'Union européenne, établi une série de critères permettant « notamment » de réputer établie l'existence d'un lien étroit, ce qui devrait permettre au juge de retenir tout autre critère pour caractériser le lien étroit. Autant dire que « le droit de la consommation français contient désormais autant de dispositions d'application spatiale qu'il existe de directives, dispositions dont la rédaction et les critères varient » 1546003801283.
Les difficultés subsistent avec le règlement Rome I puisque ce texte n'a pas pris le parti d'abroger toutes les règles de conflit contenues dans les directives de protection de consommateurs et laisse donc subsister la règle générale contenue dans son article 6 et les règles particulières figurant dans certaines directives et dans les textes de transposition de ces dernières. La situation s'est améliorée depuis la directive 2011/83 du 25 octobre 2011 dont le considérant 10 indique que la directive « doit s'entendre sans préjudice du règlement 593/08 sur la loi applicable aux obligations contractuelles » de sorte que si le droit applicable au contrat est celui d'un État tiers, le règlement Rome I devrait s'appliquer afin de déterminer si le consommateur continue de bénéficier de la protection garantie par la directive (consid. 58). Mais cette directive n'ayant refondu que la directive sur les contrats négociés en dehors de l'établissement et celle des contrats à distance, les difficultés subsistent pour les clauses d'application dans l'espace contenues dans les autres directives.