Le contrat est le lieu par excellence de l'autonomie de la volonté. La jurisprudence du début du XX
e siècle affirmait déjà que : « La loi applicable aux contrats, soit en ce qui concerne leur formation, soit quant à leurs effets et conditions, est celle que les parties ont adoptée »
1545989485226. Ce principe, généralement admis par les États membres de l'Union et les conventions internationales existantes, a été repris par la convention de Rome, puis par le règlement Rome I. Ces deux instruments accordent une large place à l'autonomie de la volonté, qui est « l'une des pierres angulaires du système de règles de conflit de lois en matière d'obligations contractuelles » (Exposé des motifs, consid. 11). Les parties peuvent donc choisir la loi applicable à leur contrat (Sous-section I). Mais si elles n'ont manifesté aucune intention quant à la loi applicable, des rattachements subsidiaires sont prévus (Sous-section II). Des rattachements spéciaux sont prévus pour certaines catégories de contrats afin de protéger la partie faible au contrat (Sous-section III). Le règlement, comme la convention, contient par ailleurs des mécanismes pouvant parfois bouleverser la mise en œuvre de ces principes (Sous-section IV).
La détermination de la loi applicable
La détermination de la loi applicable
Le choix de la loi applicable par les parties
Dans la lignée de ce qui était prévu par les droits nationaux des États membres, le règlement Rome I, comme la convention, consacre le principe de l'autonomie de la volonté à l'article 3, § 1 : « Le contrat est régi par la loi choisie par les parties ». La recherche de sécurité juridique et de prévisibilité des solutions, qui constitue l'objectif principal du règlement (consid. 6), explique sans doute la place prépondérante de l'autonomie de la volonté dans le système mis en place. Le choix de la loi applicable s'impose ainsi aux parties et au juge
1545989812753 (§ I).
Le choix de la loi applicable n'est pas cependant sans limites. Les paragraphes 3 et 4 de l'article 3 limitent la portée de l'autonomie de la volonté lorsque tous les éléments sont localisés sur le territoire d'un seul État ou sur le territoire de l'Union européenne (§ II).
La consécration de l'autonomie de la volonté
L'article 3 du règlement Rome I apporte des précisions quant aux modalités du choix (A), quant à son objet (B) et quant à son moment (C).
Modalités du choix
L'article 3, § 1 du règlement Rome I indique : « Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat des circonstances de la cause ».
Le choix peut tout d'abord être exprès
Il s'agira le plus souvent d'une clause de choix de loi applicable insérée dans le contrat, mais on peut concevoir une expression purement orale, sous réserve alors des difficultés de preuve
1545989771435. Dans tous les cas, il faut s'assurer du consentement des parties à cette clause de choix. Aux termes de l'article 3, § 5 du règlement Rome I : « L'existence et la validité du consentement des parties quant au choix de la loi applicable sont régies par les dispositions établies aux articles 10, 11 et 13 », articles relatifs à la loi applicable au fond, à la forme et la capacité. Autrement dit, il résulte de l'article 3, § 5 que la clause de choix de loi obéit aux mêmes règles que toutes les autres clauses du contrat. En particulier, sa validité au fond dépendra de la loi choisie. L'article 10, § 1 prévoit en effet que : « L'existence et la validité du contrat ou d'une disposition de celui-ci sont soumises à la loi qui serait applicable en vertu du présent règlement si le contrat ou la disposition étaient valables ». Le contrat de choix de loi, ou contrat d'electio juris, est donc présumé valable ab initio, les parties pouvant à bon droit choisir la loi du contrat qui, à son tour, rétroagira pour décider de la validité ou de la nullité de ce contrat
1545989710226.
Quant à la forme, le contrat de choix est valable s'il obéit aux conditions de forme de la loi choisie ou de la loi du lieu de conclusion. Si ce contrat est conclu entre des personnes ou leurs représentants qui se trouvent dans des pays différents au moment de sa conclusion, il est valable quant à la forme s'il satisfait aux conditions de forme de la loi qui le régit au fond en vertu du présent règlement ou de la loi d'un des pays dans lequel se trouve l'une ou l'autre des parties ou son représentant au moment de sa conclusion ou de la loi du pays dans lequel l'une ou l'autre des parties avait sa résidence habituelle à ce moment-là
Règl. Rome I, art. 11, § 2.
. Cependant, le paragraphe 5 de l'article 11 contient des dispositions propres pour la forme des contrats ayant pour objet un droit réel immobilier ou un bail. Il peut arriver en effet que la loi choisie par les parties soit autre que la lex rei sitae. Dès lors, si tel est le cas, les dispositions impératives de la loi du pays où l'immeuble est situé interviennent si, selon cette loi, elles s'appliquent indépendamment du lieu de conclusion du contrat et de la loi le régissant au fond.
S'agissant enfin de la capacité à conclure un contrat de choix de loi, si la question relève des règles de conflit nationales, l'article 13 réserve l'hypothèse d'un contrat conclu entre personnes se trouvant dans un même pays et où une personne physique serait capable selon la loi de ce pays. Dans ce cas, cette personne ne peut invoquer son incapacité résultant de la loi d'un autre pays que si, au moment de la conclusion du contrat, le cocontractant a connu cette incapacité ou ne l'a ignorée qu'en raison d'une imprudence de sa part.
Le choix peut ensuite être tacite
Le choix tacite devra découler « de façon certaine », soit des dispositions du contrat, soit des circonstances de la cause.
Il résultera de façon certaine des dispositions du contrat en cas d'acceptation d'un contrat type ou d'un contrat d'adhésion régi par un système juridique particulier
1545989927014, ou encore, en cas de référence à des articles d'un code d'un pays déterminé
1545989958514. Mais encore faut-il, dans ce dernier cas, que la référence soit significative d'un choix de loi et que le texte visé ne s'impose pas à un autre titre, notamment en tant que loi de police, ou qu'il porte sur des aspects secondaires de l'opération contractuelle, telle la stipulation d'une clause pénale
1545990001544. Ainsi, les références qui peuvent exister dans un acte de vente dressé par un notaire français à des textes de droit français, notamment au Code de la construction et de l'habitation ou au Code de la santé publique pourraient être interprétées comme valant choix implicite de la loi française pour l'ensemble du contrat
1545990034559. En revanche, la langue employée pour la rédaction du contrat ou la monnaie choisie ne devrait pas être comprise comme un choix tacite de loi applicable.
Le choix tacite peut résulter ensuite de façon certaine des circonstances de la cause. L'intervention d'un officier public hors de son pays (consul) pourrait faire présumer que les parties ont entendu voir appliquer la loi de l'État dont cette autorité tient ce pouvoir
1545990099408. Mais la question du choix tacite se pose généralement au sujet de contrats liés. Le considérant 20 du règlement Rome I indique que les liens entre plusieurs contrats sont à prendre en compte pour faire jouer la clause d'exception et ces liens sont également mentionnés au considérant 21 pour décider du pays qui a les « liens les plus étroits » avec le contrat. La doctrine estime cependant que l'existence de contrats liés ne doit pas conduire systématiquement à les soumettre à la loi choisie pour l'un d'eux et que même si la prévisibilité et la sécurité juridique doivent en souffrir, il convient de laisser aux tribunaux le soin d'apprécier dans chaque espèce si le lien entre deux ou plusieurs contrats justifie ou non de les soumettre à la même loi
1545990140242.
La question de la loi applicable au contrat de cautionnement est une illustration des tensions qui peuvent exister entre la loi applicable au contrat principal et la loi applicable au contrat accessoire. À cet égard, avant l'entrée en vigueur de la convention de Rome, la Cour de cassation avait posé pour principe que « le contrat de cautionnement est soumis à sa loi propre », ajoutant toutefois qu'« il y a lieu de présumer, dans le silence de la convention à cet égard, qu'il est régi par la loi de l'obligation garantie »
1545990197123. Elle avait ensuite confirmé ce principe sous l'empire de la convention de Rome
1545990268856avant de laisser penser, par un arrêt du 12 octobre 2011, qu'elle avait abandonné l'autonomie conflictuelle du contrat de cautionnement au profit de la soumission à la loi du contrat principal garanti
1545990259910. Plus récemment, tout en réaffirmant l'autonomie du contrat de cautionnement, la Cour de cassation a retenu que la loi applicable au contrat principal constituait un indice au moment d'établir le pays des liens les plus étroits avec le contrat de cautionnement
1545990212491. L'existence d'un choix tacite en faveur de la loi désignée par les parties au contrat principal ne pourra donc résulter uniquement du caractère accessoire du contrat de cautionnement, mais ce dernier pourra être pris en compte au titre des circonstances de la cause.
L'existence d'un choix tacite peut-elle résulter d'une clause attributive de juridiction ? Le considérant 12 du règlement Rome I prévoit qu'un « accord entre les parties visant à donner compétence exclusive à une ou plusieurs juridictions d'un État membre pour connaître des différends liés au contrat devrait être l'un des facteurs à prendre en compte pour déterminer si le choix de la loi a été clairement énoncé ». La présomption en faveur de la loi de l'État dont les tribunaux ont été désignés qui était initialement prévue par la proposition de la Commission n'a pas été reprise par le règlement. La clause attributive de juridiction constitue simplement un indice au moment d'établir l'existence d'un choix tacite. En revanche, le considérant 12 reste muet sur la valeur d'une clause d'arbitrage.
Quoi qu'il en soit, cette recherche de volonté tacite risque de s'avérer malaisée, la jurisprudence ne se satisfaisant pas d'une volonté simplement implicite
1545990572555.
C'est pourquoi, si les parties s'entendent sur l'application d'une loi en particulier, il est important qu'une clause de choix exprès soit insérée au contrat, sans pouvoir s'en tenir à un choix tacite. Dans le cadre du contrat de vente immobilière, elles pourront choisir comme loi applicable à leur contrat une autre loi que la loi du lieu de situation de l'immeuble, mais, dans la mesure où cette loi aura vocation à s'appliquer à de nombreux aspects (V. infra, n° ), il est souhaitable que les parties ne désignent pas une loi différente. Il appartient donc au notaire d'éclairer les parties sur ce point et de leur conseiller de soumettre le contrat de vente à la loi du lieu de situation de l'immeuble.
L'objet du choix
Comme la convention de Rome, le règlement confère aux parties la liberté de choisir n'importe quelle loi, même si elle ne présente aucun lien objectif avec le contrat. Bien que le règlement ne le prévoie pas, on s'accorde à dire cependant que ce choix ne doit pas être entaché de fraude
1545990711173.
La loi choisie par les parties doit être une loi étatique. Le règlement n'a pas suivi la proposition faite par la Commission en 2005 qui prévoyait au paragraphe 2, alinéa 1, de l'article 3 du règlement Rome I que les parties pouvaient « également choisir comme loi applicable des principes et règles de droit matériel de contrats, reconnus au niveau international ou communautaire », en ajoutant à l'alinéa 2 : « Toutefois, les questions concernant les matières régies par ces principes ou règles et qui ne sont pas expressément tranchées par eux seront réglées selon les principes généraux dont ils s'inspirent, ou, à défaut de ces principes, conformément à la loi applicable à défaut de choix en vertu du présent Règlement ». Il appartiendra donc à la loi étatique choisie par les parties de dire si, éventuellement, elle intègre dans son ordre juridique les principes Unidroit ou toute autre codification privée qui paraîtrait pertinente. Le considérant 13 du règlement suivant lequel : « Le présent Règlement n'interdit pas aux parties d'intégrer par référence dans leur contrat un droit non étatique ou une convention internationale » reste cependant difficile à interpréter. S'il signifie que les parties peuvent directement se référer à un droit non étatique, il se trouve en contradiction frontale avec l'article 3, § 1. Le considérant 14 ajoute en outre que : « Si la Communauté adopte dans un instrument juridique spécifique des règles matérielles de droit des contrats, y compris des conditions générales et des clauses types, cet instrument peut prévoir que les parties peuvent choisir d'appliquer ces règles ». Certains auteurs estiment que rien ne s'oppose à ce que les parties puissent décider qu'aucune loi ne s'impose à elle ou qu'elles se réfèrent à des règles non étatiques sous réserve de l'application des lois de police du for ou même étrangères
1545990758397.
L'article 3 du règlement Rome I consacre la possibilité d'un dépeçage en énonçant que par leur choix, « les parties peuvent désigner la loi applicable à totalité ou à une partie seulement de leur contrat ». Théoriquement, les parties peuvent donc soumettre chacun des aspects du contrat (indexation, lésion, résolution pour inexécution…) à une loi différente. En pratique, par souci de cohérence et de respect des ensembles législatifs, il est préférable qu'il ne soit pas procédé à un découpage du contrat et que le tout soit soumis à une même loi. Si les parties soumettent différents aspects du contrat à des lois différentes, elles pourraient se trouver dans une situation inextricable. Ainsi en est-il, par exemple, si elles font régir les obligations de l'une des parties par une loi A et les obligations de l'autre par une loi B et que, selon la loi A, l'inexécution de la première obligation est si grave qu'elle doit provoquer la résolution du contrat tandis que, selon la loi B, l'exécution réciproque reste exigible. Dans ce genre de situations, il a été proposé de considérer que le dépeçage pratiqué par les parties devrait être considéré comme ineffectif et que le juge devrait rechercher la loi objectivement applicable
1545990861992. Ces difficultés pourraient être aggravées dans le cadre d'un contrat de vente immobilière dans la mesure où, en cas de choix de loi applicable par les parties, cette loi-là se trouvera déjà en concurrence avec la loi du lieu de situation de l'immeuble. C'est pourquoi il est préférable que les parties soumettent expressément le contrat de vente immobilière à la loi du lieu de situation de l'immeuble.
Les modifications de la lex contractus choisie par les parties s'imposent-elles à elles ou au contraire y a-t-il pétrification de la loi choisie par les parties ? Il est généralement admis que si la loi choisie vient à être modifiée après la conclusion du contrat et que les dispositions nouvelles sont applicables aux contrats en cours, elles s'appliqueront au contrat
1545991124486. Cette solution est justifiée par cette idée que le choix des parties « s'est porté en fait sur un ordre juridique, qui n'est pas une somme de règles existant à un moment donné, mais un système de sources de normes rattaché à un État ; c'est à ce système qu'elles sont soumises »
1545991144904. Quant à la possibilité pour les parties de prévoir une « clause de gel » ou « de stabilisation » qui permettrait par exemple d'assurer l'équilibre d'un acte dans lequel aura été pratiqué le dépeçage, la doctrine reste partagée. Certains auteurs ne l'admettent pas et prônent de s'en remettre à la loi objectivement applicable s'il est exceptionnellement démontré que les parties n'ont entendu choisi une loi que dans la mesure où elles croyaient pouvoir en geler les règles
1545991156872. D'autres estiment qu'il appartient à la loi choisie de dire si une telle clause est valable et d'autres encore proposent, dans le cas où la modification intervenue se veut applicable aux contrats en cours
1545991175028, d'écarter la loi choisie – s'il s'agit d'une loi étrangère au for – pour contrariété à l'ordre public si la modification bouleverse l'économie du contrat au détriment d'une part
1545991184185.
Le moment du choix
Les limites à l'autonomie de la volonté
L'article 3, § 3 et 4 du règlement Rome I réserve l'application des dispositions impératives de la loi normalement applicable au contrat dont tous les éléments sont localisés dans un État (A), et des dispositions impératives des textes de l'Union européenne au contrat dont tous les éléments sont localisés dans un ou plusieurs États membres (B).
Hypothèse du contrat « purement interne »
« Lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés, au moment de ce choix, dans un pays autre que celui dont la loi est choisie, le choix des parties ne porte pas atteinte à l'application des dispositions auxquelles la loi de cet autre pays ne permet pas de déroger par accord »
Règl. Rome I, art. 3, § 3.
.
Ce texte envisage l'hypothèse d'un contrat purement interne dans lequel les parties auraient fait figurer une clause de choix de loi et l'auraient, de ce fait, « internationalisé ».
Dans ce cas, la loi choisie par les parties ne peut porter atteinte à l'application des dispositions auxquelles il n'est pas possible de déroger par contrat de la loi du pays dans lequel sont localisés tous les éléments. Les parties seront donc soumises aux règles d'ordre public interne de la loi naturellement applicable au contrat, leur choix restant applicable uniquement aux questions qui, selon cette loi, relèvent de la volonté des parties. On parle généralement de dispositions simplement impératives par opposition aux dispositions internationalement impératives que sont les lois de police
1545991802324.
Hypothèse du contrat interne à l'Union européenne
L'article 3, § 4 du règlement Rome I dispose : « Lorsque tous les autres éléments de la situation sont localisés, au moment de ce choix, dans un ou plusieurs États membres, le choix par les parties d'une autre loi applicable que celle d'un État membre ne porte pas atteinte, le cas échéant, à l'application des dispositions du droit communautaire auxquelles il n'est pas permis de déroger par accord, et telles que mises en œuvre par l'État membre du for ».
Ce texte, qui est une innovation du règlement Rome I, envisage l'hypothèse d'un contrat intra-européen pour lequel les parties auraient choisi la loi d'un État tiers.
Dans ce cas, la loi choisie par les parties ne peut porter atteinte à l'application des dispositions des textes de l'Union européenne auxquelles il n'est pas possible de déroger par contrat. Les contrats intra-européens ne peuvent donc être soustraits aux dispositions impératives du droit de l'Union.
Cette disposition devrait conduire la Cour de justice de l'Union européenne à infléchir sa jurisprudence issue de l'arrêt Ingmar dans lequel elle avait imposé l'application d'une directive sur les agents commerciaux à un contrat d'agence commerciale entre un agent au Royaume-Uni et un commettant en Californie que les parties avaient choisi de soumettre à la loi californienne
1545991912658. L'arrêt revenait ainsi à ériger toutes les dispositions impératives des textes de l'Union en lois de police communautaires.
Désormais, ce n'est que lorsque tous les éléments du contrat (à l'exception du choix de loi) sont localisés sur le territoire de l'Union que les dispositions impératives des textes communautaires ne pourront être éludées.
Les rattachements subsidiaires à défaut de choix de loi applicable
Le règlement Rome I a réécrit l'article 4 de la convention de Rome. Le système mis en place par cette convention reposait sur un principe général de proximité : la loi applicable à défaut de choix de loi était la loi du pays avec lequel le contrat entretenait « les liens les plus étroits ». Ce principe général était ensuite encadré par une présomption désignant la loi du pays où était établie la partie qui devait fournir la prestation caractéristique du contrat et par des présomptions spécifiques à certaines catégories de contrats. Une clause d'exception permettait d'écarter ces présomptions s'il résultait de l'ensemble des circonstances que le contrat entretenait les liens les plus étroits avec un autre pays.
Le nouveau texte rompt avec ce système. Il énumère une série de rattachements spécifiques pour certains contrats et s'en remet pour les contrats non visés à la loi de la résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique. La loi du pays des liens les plus étroits n'intervient que de manière subsidiaire par la voie d'une clause d'exception.
Dans la mesure où la convention de Rome demeure applicable aux contrats conclus entre le 1er avril 1991 et le 17 décembre 2009, il est préférable d'examiner plus en détail le système mis en place par cet instrument (§ I), avant de se pencher sur celui mis en place par le règlement (§ II).
Le système mis en place par la convention de Rome
L'article 4 de la convention de Rome énonce : « 1. Dans la mesure où la loi applicable au contrat n'a pas été choisie conformément aux dispositions de l'article 3, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits. Toutefois, si une partie du contrat est séparable du reste du contrat et présente un lien plus étroit avec un autre pays, il pourra être fait application, à titre exceptionnel, à cette partie du contrat de la loi de cet autre pays.
2. Sous réserve du paragraphe 5, il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société, association ou personne morale, son administration centrale. Toutefois, si le contrat est conclu dans l'exercice de l'activité professionnelle de cette partie, ce pays est celui où est situé son principal établissement ou, si, selon le contrat, la prestation doit être fournie par un établissement autre que l'établissement principal, celui où est situé cet autre établissement.
3. Nonobstant les dispositions du paragraphe 2, dans la mesure où le contrat a pour objet un droit réel immobilier ou un droit d'utilisation d'un immeuble, il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où est situé l'immeuble.
4. Le contrat de transport de marchandises n'est pas soumis à la présomption du paragraphe 2. Dans ce contrat, si le pays dans lequel le transporteur a son établissement principal au moment de la conclusion du contrat est aussi celui dans lequel est situé le lieu de chargement ou de déchargement ou l'établissement principal de l'expéditeur, il est présumé que le contrat a les liens les plus étroits avec ce pays. Pour l'application du présent paragraphe, sont considérés comme contrats de transport de marchandises les contrats d'affrètement pour un seul voyage ou d'autres contrats lorsqu'ils ont principalement pour objet de réaliser un transport de marchandises.
5. L'application du paragraphe 2 est écartée lorsque la prestation caractéristique ne peut être déterminée. Les présomptions des paragraphes 2, 3 et 4 sont écartées lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays ».
Le texte pose donc un principe général de rattachement du contrat à la loi du pays avec lequel il entretient les liens les plus étroits (A), assorti d'une présomption générale (B), de présomptions particulières (C) et d'une clause d'exception (D).
Principe général : application de la loi du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits
Ce principe, qui est posé par le paragraphe 1 de l'article 4 de la convention de Rome, correspond aux solutions antérieurement données par la jurisprudence de plusieurs États contractants, dont le Royaume-Uni et la France. « Il s'agit pour le juge de "localiser objectivement" le contrat, selon l'expression utilisée en France, à partir des différents indices qu'il peut présenter »
1545992214363.
Normalement, cette recherche effectuée par le juge aboutit à la désignation d'une loi unique pour régir le contrat. Mais la seconde phrase de l'article 4, § 1 permet au juge de ne pas faire régir intégralement un contrat par une seule loi et de soumettre une partie « séparable du reste » à une autre loi. Ce dépeçage judiciaire, qui n'a pratiquement jamais été mis en œuvre, devrait jouer de manière exceptionnelle, uniquement dans les cas où une partie du contrat peut faire l'objet d'une solution séparée, indépendamment de la solution donnée aux autres éléments du contrat
1545992282005.
C'est également ce qu'a décidé la Cour de justice dans l'arrêt ICF du 6 octobre 2009
1545992436016. Interrogée à titre préjudiciel sur les circonstances où il est possible d'appliquer, en vertu de l'article 4, § 1, seconde phrase de la convention de Rome, différents droits à une relation contractuelle, la Cour de justice a répondu que le dépeçage judiciaire n'est possible « que lorsque le contrat rassemble une pluralité de parties qui peuvent être considérées comme autonomes l'une par rapport à l'autre » et qu'« afin d'établir si une partie du contrat peut être soumise à une loi différente, il y a lieu de déterminer si son objet est autonome par rapport à celui du reste du contrat » (pts 45 et 46 de l'arrêt). Elle a refusé ainsi que la prescription puisse être régie par une autre loi que celle gouvernant le contrat. Le règlement, quant à lui, ne mentionne plus la possibilité pour le juge de procéder au dépeçage du contrat.
Présomption générale : loi du pays de la résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique
Pour faciliter la tâche du juge dans la recherche de la loi des liens les plus étroits, le paragraphe 2 de l'article 4 de la convention de Rome pose une présomption générale suivant laquelle : « Le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société, association ou personne morale, son administration centrale ». Et s'il s'agit d'une personne physique contractant dans l'exercice de son activité professionnelle, ce pays « est celui où est situé son principal établissement ou si, selon le contrat, la prestation doit être fournie par un établissement autre que l'établissement principal, celui où est situé cet autre établissement ».
À défaut de choix de loi, la loi applicable est donc celle du pays de résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique. Cette loi a été préférée à la loi du lieu d'exécution de la prestation caractéristique pour des raisons de commodité. La localisation du lieu de la résidence habituelle est apparue plus facile que celle du lieu d'exécution. En outre, il est apparu que le débiteur est souvent amené à conclure plusieurs contrats identiques, de sorte que donner compétence à sa loi favoriserait la standardisation de ses documents contractuels et diminuerait les coûts de leur rédaction. La convention évite en outre tout risque de conflit mobile puisqu'elle précise que la résidence habituelle à prendre en compte est celle qui existe « au moment de la conclusion du contrat ».
La notion de prestation caractéristique, inspirée de la jurisprudence suisse du XIX
e siècle, n'est pas définie par la convention. Selon le rapport Giuliano-Lagarde, cette prestation « vise la fonction que le rapport juridique en cause exerce dans la vie économique et sociale du pays » et « permet de rattacher le contrat au milieu socio-économique dans lequel il va s'insérer »
1545992561336. Dans les contrats synallagmatiques, le rapport précise que « c'est la prestation pour laquelle le paiement est dû », et le rapport en donne quelques exemples : « le transfert de propriété, la livraison d'objets mobiliers corporels, l'attribution de l'usage d'une chose, la fourniture d'un service, du transport, de l'assurance, de l'activité bancaire, de la caution, etc. »
1545992569922. La loi applicable au contrat de vente est donc la loi du pays de résidence habituelle du vendeur.
Pour certains contrats, la détermination de la prestation caractéristique ne soulève pas de difficultés. Dans un contrat de donation, la prestation caractéristique est celle fournie par le donateur ; dans un contrat de garantie, c'est celle fournie par le garant
1545992674646. Dans un contrat de cession (cession d'un brevet, d'une marque, cession entre éditeurs), la prestation caractéristique est celle exercée par le cédant
1545992644998 ; dans un contrat de commission de transport, c'est celle fournie par le commissionnaire de transport
1545992654029.
En revanche, pour d'autres contrats, la détermination de la prestation caractéristique se révèle particulièrement ardue. En témoigne la jurisprudence intervenue dans le domaine de la distribution internationale. Alors qu'avant l'entrée en vigueur de la convention de Rome la Cour de cassation estimait que « la loi applicable au contrat était celle du pays où s'exécutait l'obligation principale, c'est-à-dire celle du lieu où le concessionnaire exerçait son activité »
1545994046051, sous l'empire de la convention elle a décidé que pour un contrat de distribution, « la fourniture du produit est la prestation caractéristique »
1545994056583, en précisant dans un arrêt du 23 janvier 2007 que pour le contrat-cadre, la prestation caractéristique consiste à assurer l'exclusivité de la distribution des produits
1545994067159. Elle a ainsi mis fin à une vive controverse doctrinale entre ceux qui estimaient que le débiteur de la prestation caractéristique était le distributeur et ceux qui au contraire estimaient que c'était le fournisseur ou concédant
1545994125126. Cependant, la solution retenue par la Cour de cassation n'est pas nécessairement partagée par les autres pays contractants
1545994136094. Et le règlement Rome I a pris le contre-pied de cette jurisprudence en soumettant le contrat de distribution à la loi de résidence habituelle du distributeur
Règl. Rome I, art. 4, § 1 f.
.
Présomptions particulières
La présomption en faveur de la loi de la résidence habituelle du débiteur de la prestation caractéristique souffre deux exceptions, prévues par les paragraphes 3 et 4 de l'article 4 de la convention de Rome.
Contrat ayant pour objet un immeuble
Selon l'article 4, § 3 de la convention de Rome : « Dans la mesure où le contrat a pour objet un droit réel immobilier ou un droit d'utilisation d'un immeuble, il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où est situé l'immeuble ».
Cette présomption traduit la traditionnelle force d'attraction de l'immeuble en droit international privé. Elle s'applique à tous les contrats qui ont pour objet le transfert ou la constitution de droits réels portant sur un immeuble (vente, constitution d'usufruit ou de servitude, mais non la cession de parts de société civile immobilière) ainsi qu'au contrat de bail.
La règle permet d'assurer l'unité de la loi applicable aux différents aspects de l'opération, car si au contraire les parties ont choisi en tant que loi applicable au contrat une autre loi que la loi de situation de l'immeuble, l'opération sera soumise à deux lois différentes.
En revanche, le rapport Giuliano-Lagarde précise que le texte ne concerne pas les contrats ayant pour objet la construction ou la réparation d'immeubles
1545995154375.
Le transport de marchandises
Selon l'article 4, § 4 de la convention de Rome : « Le contrat de transport de marchandises n'est pas soumis à la présomption du paragraphe 2. Dans ce contrat, si le pays dans lequel le transporteur a son établissement principal au moment de la conclusion du contrat est aussi celui dans lequel est situé le lieu de chargement ou de déchargement ou l'établissement principal de l'expéditeur, il est présumé que le contrat a les liens les plus étroits avec ce pays. Pour l'application du présent paragraphe, sont considérés comme contrats de transport de marchandises les contrats d'affrètement pour un seul voyage ou d'autres contrats lorsqu'ils ont principalement pour objet de réaliser un transport de marchandises ».
La clause d'exception
L'article 4, § 5 de la convention de Rome dispose : « L'application du paragraphe 2 est écartée lorsque la prestation caractéristique ne peut être déterminée. Les présomptions des paragraphes 2, 3 et 4 sont écartées lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays ».
Ce texte accorde au juge, par le jeu d'une clause d'exception, le pouvoir d'écarter les présomptions des paragraphes 2, 3, et 4 s'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays.
Le jeu d'une telle clause doit normalement rester exceptionnel et n'intervenir que lorsque les présomptions des paragraphes 2, 3 et 4, conduisent à une loi qui, dans une espèce déterminée, n'a pas de valeur réelle de rattachement.
En pratique, cependant, la jurisprudence française a fait parfois application du paragraphe 5 en se contentant d'une référence purement formelle à la règle de principe
1545995281580. Parfois même, surtout en matière de transport, la chambre commerciale de la Cour de cassation a déterminé la loi applicable directement à partir de l'article 4, § 5, de la convention de Rome, sans se référer aux présomptions posées aux alinéas précédents
1545995253472. Elle est ensuite revenue à une interprétation plus restrictive et conforme aux intentions des rédacteurs de la convention en imposant au juge « de procéder à une comparaison des liens existant entre le contrat et, d'une part, le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle et, d'autre part, l'autre pays en cause, et rechercher celui avec lequel il présente les liens les plus étroits »
1545995260424.
Quant à la Cour de justice, elle a, dans l'arrêt ICF précité, précisé que : « L'article 4 paragraphe 5 de la Convention de Rome du 18 juin 1980 doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il ressort clairement de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un pays autre que celui qui est déterminé sur la base de l'un des critères prévus audit article 4, paragraphes 2 à 4, il appartient au juge d'écarter ces critères et d'appliquer la loi du pays avec lequel ledit contrat est le plus étroitement lié ». En d'autres termes, la clause d'exception ne devrait pas jouer en cas « d'équilibre des rattachements ». En ce cas, les règles des paragraphes 2 à 4 doivent conserver leur avantage
1545995562755. Pour que la clause joue, il faut que les rattachements avec la loi d'un autre pays soient plus importants
1545995590986. Mais il n'est pas imposé par la Cour que soit d'abord démontrée l'absence de valeur de rattachement des présomptions des paragraphes 2, 3 et 4.
En tout état de cause, dans le cadre d'un contrat de vente immobilière, il apparaît difficile que la loi du lieu de situation de l'immeuble puisse être détrônée par une autre loi.
Comme dans la convention de Rome, le règlement Rome I contient une clause d'exception qui permet de soumettre le contrat à une autre loi que celle qui résulterait de l'application de l'article 4, § 1 ou 2. Cependant, dans un souci de prévisibilité, le règlement Rome I retient une conception restrictive de la clause d'exception. L'article 4, § 3, dispose que ce n'est que « lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2 » que la loi de cet autre pays s'applique. L'utilisation de l'adverbe « manifestement » montre bien que le législateur communautaire a entendu que le recours à la clause d'exception demeure exceptionnel. La clause d'exception ne peut donc s'appliquer que lorsque le constat d'une plus grande proximité s'impose avec la force de l'évidence
1545996439385.
Le considérant 20 du règlement Rome I autorise cependant les juges à tenir compte des « liens étroits » que présente le contrat litigieux avec un ou plusieurs autres contrats. Ainsi, pourront être soumis à une loi unique le contrat de cautionnement et le contrat principal, les contrats d'application et le contrat-cadre, les contrats préparatoires et le contrat final et, plus généralement, tous les ensembles contractuels. Ce considérant ne devrait donc jouer qu'en présence d'une multitude de rattachements permettant de s'écarter des règles des paragraphes 1 et 2 de l'article 4 et pas seulement en présence d'un lien fonctionnel du contrat litigieux avec d'autres contrats.
Ni le règlement ni la Cour de justice ne précisent si les juges du fond doivent d'office examiner si le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec une autre loi que celle qui résulte de l'application des paragraphes 1 ou 2 de l'article 4. La Cour de cassation a, quant à elle, dans le cadre de la convention de Rome, considéré que les juges du fond n'ont pas à effectuer une telle recherche si elle ne leur a pas été demandée
1545996502357. La solution se comprend dès lors qu'en présence de droits litigieux disponibles, les juges du fond ne sont tenus de mettre en œuvre la règle de conflit de lois que dans les cas où une des parties a revendiqué l'application de la loi étrangère. Elle semble conforme également à l'esprit du règlement qui est de garantir davantage de prévisibilité et de sécurité juridique
1545996511700.
Le système mis en place par le règlement Rome I
L'article 4 du règlement Rome I dispose :
« 1. À défaut de choix exercé conformément à l'article 3 et sans préjudice des articles 5 à 8, la loi applicable au contrat suivant est déterminée comme suit :
a) le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle ;
b) le contrat de prestation de services est régi par la loi du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence habituelle ;
c) le contrat ayant pour objet un droit réel immobilier ou un bail d'immeuble est régi par la loi du pays dans lequel est situé l'immeuble ;
d) nonobstant le point c), le bail d'immeuble conclu en vue de l'usage personnel temporaire pour une période maximale de six mois consécutifs est régi par la loi du pays dans lequel le propriétaire a sa résidence habituelle, à condition que le locataire soit une personne physique et qu'il ait sa résidence habituelle dans ce même pays ;
e) le contrat de franchise est régi par la loi du pays dans lequel le franchisé a sa résidence habituelle ;
f) le contrat de distribution est régi par la loi du pays dans lequel le distributeur a sa résidence habituelle ;
g) le contrat de vente de biens aux enchères est régi par la loi du pays où la vente aux enchères a lieu, si ce lieu peut être déterminé ;
h) le contrat conclu au sein d'un système multilatéral qui assure ou facilite la rencontre de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers pour des instruments financiers, au sens de l'article 4, paragraphe 1, point 17), de la directive 2004/39/CE, selon des règles non discrétionnaires et qui est régi par la loi d'un seul pays, est régi par cette loi.
2. Lorsque le contrat n'est pas couvert par le paragraphe 1 ou que les éléments du contrat sont couverts par plusieurs des points a) à h) du paragraphe 1, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle ».
Le législateur de l'Union a donc privilégié la prévisibilité et la sécurité juridique en édictant, à l'article 4, § 1, des règles de rattachement fixes pour toute une série de contrats et non de simples présomptions comme celles qui figurent aux paragraphes 2, 3 et 4 de l'article 4 de la convention (A) ; pour les contrats qui n'appartiendraient à aucune des catégories prévues au paragraphe 1 ou au contraire relèveraient à la fois de plusieurs de ces catégories, le paragraphe 2 donne compétence à la loi du pays dans lequel le débiteur de la prestation caractéristique a sa résidence habituelle ; là encore il s'agit d'une règle et non d'une simple présomption (B) ; un élément de souplesse est toutefois maintenu puisque l'article 4, § 3 admet le jeu d'une clause d'exception ; mais cette clause est entendue de façon restrictive : il faut que le contrat présente des liens « manifestement » plus étroits avec un autre pays que celui visé aux paragraphes 1 et 2 (C).
Les règles de rattachement fixes
– La vente de biens. – L'article 4, § 1, a) du règlement Rome I contient la règle générale selon laquelle la vente de biens est régie par la loi du pays de la résidence habituelle du vendeur. La convention de Rome parvenait elle aussi au même résultat. Le considérant 17 indique que l'interprétation du mot « biens » devrait être la même que celle adoptée pour l'article 5, § 1, du règlement Bruxelles I dont le b) vise la vente de « marchandises ». Comme la « vente de biens aux enchères », la vente immobilière, la vente d'instruments financiers sur un marché réglementé et la cession d'objets incorporels échappent à cette règle générale, il faut considérer que la « vente de biens » vise toute vente d'un objet ou d'objets, mobilier(s) corporel(s)
1545995993166. Cependant, en France, c'est l'article 3 de la Convention de La Haye du 15 juin 1955 qui s'appliquera, article qui désigne aussi la loi de la résidence habituelle du vendeur.
– La « vente de biens aux enchères ». – L'article 4, § 1, g) du règlement Rome I prévoit que la vente de biens aux enchères est soumise à la loi du pays où la vente aux enchères a lieu si ce lieu peut être déterminé. Si donc ce lieu ne peut être déterminé parce que les enchères se sont faites sur une place de marché « virtuelle », il faut revenir au rattachement prévu pour les ventes de biens ordinaires. En France, cependant, cette disposition du règlement sera écartée au bénéfice de la Convention de La Haye du 15 juillet 1955, laquelle dans son article 3, alinéa 3, donne également compétence à la loi du pays « dans lequel se sont effectuées les enchères ». Mais si, dans le cadre de la convention, la localisation reste impossible, il faut également revenir à la règle générale désignant la loi de résidence habituelle du vendeur
Conv. La Haye 15 juill. 1955, art. 3, al. 1er.
.
– La vente en bourse. – Le règlement prévoit une règle particulière, lorsque les parties n'ont pas choisi la loi, pour les contrats portant sur des instruments financiers, conclus au sein d'un système multilatéral entre acheteurs et vendeurs, et selon des règles non discrétionnaires
Règl. Rome I, art. 4, § 1, h.
. Lorsque ce système multilatéral est régi par une seule loi, cette loi sera également applicable aux contrats passés au sein de ce système. C'est donc la loi du marché financier qui s'applique, précision étant faite que cette règle ne s'applique pas aux contrats d'instruments financiers entre consommateurs et professionnels
Règl. Rome I, art. 6, § 4, e.
.
– La vente immobilière. – L'article 4, § 1, c) du règlement Rome I dispose que le contrat « ayant pour objet un droit réel immobilier ou un bail d'immeuble est régi par la loi du pays dans lequel est situé l'immeuble ». La règle rejoint la présomption posée par la convention de Rome, mais tandis que cette dernière visait aussi « un droit d'utilisation sur l'immeuble », le règlement ne vise que le « bail d'immeuble », laissant ainsi de côté les autres droits d'utilisation qui peuvent porter sur un immeuble et ne seraient pas des droits réels (prêt d'immeuble, convention d'occupation précaire par exemple). Cette règle particulière ne s'applique pas par ailleurs aux locations de vacances, l'article 4, § 1, d) précisant qu'un tel contrat est soumis à la loi du pays de résidence habituelle du propriétaire, à condition que le locataire soit une personne physique et qu'il ait sa résidence habituelle dans ce même pays.
– La prestation de services. – L'article 4, § 1, b) du règlement Rome I dispose que : « Le contrat de prestation de services est régi par la loi du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence habituelle ». La présomption en faveur de la loi du pays du débiteur de la prestation caractéristique aboutissait au même résultat. S'agissant de la notion de « contrat de prestation de services », le considérant 17 du règlement renvoie à la « fourniture de services » mentionnée à l'article 5, § 1, b) du règlement Bruxelles I. Il faut donc se reporter à la jurisprudence de la Cour de justice qui, dans l'arrêt Falco du 23 avril 1999, a précisé que la notion de services implique « l'exercice d'une activité déterminée en contrepartie d'une rémunération »
1545996064127. Pour toute prestation de services à titre gratuit, il faudra donc faire application de la règle de l'article 4, § 2 du règlement Rome I, mais cela aboutira tout autant à la loi de la résidence habituelle du prestataire. Par ailleurs, dans ce même arrêt, la Cour a décidé que la licence de droits d'auteur n'est pas une fourniture de services au sens du règlement Bruxelles I, car « le titulaire du droit de propriété intellectuelle n'accomplit aucune prestation en en concédant l'exploitation et s'engage seulement à laisser son cocontractant exploiter librement ledit droit »
1545996074149. Ainsi, la licence du droit d'auteur, de brevets, de marques…, le bail mobilier, le prêt d'argent, le crédit-bail, le cautionnement ne relèvent pas de la règle particulière de l'article 4, § 1, b). Quant aux contrats de franchise et de distribution, bien qu'ils constituent des contrats de prestation de services, ils relèvent de rattachements particuliers
Règl. Rome I, art. 4, § 1, e et f.
, de même que les contrats de transport, qu'ils soient de marchandises
Règl. Rome I, art. 4, § 1.
ou de personnes
Règl. Rome I, art. 4, § 2.
.
– Contrats de franchise et distribution. – L'article 4, § 1, e) du règlement Rome I précise que : « Le contrat de franchise est régi par la loi du pays dans lequel le franchisé a sa résidence habituelle » et l'article 4, § 1, f) ajoute que : « Le contrat de distribution est régi par la loi du pays dans lequel le distributeur a sa résidence habituelle ». Il est donc mis fin aux controverses soulevées dans le cadre de la convention de Rome pour la détermination de la prestation caractéristique dans ces contrats-là. En revanche, les difficultés se déplacent quant à la définition du « contrat de distribution ». Faut-il y inclure toutes les commandes auxquelles il donne lieu ou faut-il les soumettre au rattachement de l'article 4, § 1, a) ? Cette question devra être tranchée par la Cour de justice
1545996169425.
La règle subsidiaire
L'article 4, § 2 du règlement Rome I prévoit que lorsque le contrat en cause ne relève d'aucune des catégories (par ex., le bail portant sur objet mobilier) énumérées à l'article 4, § 1, ou « lorsque les éléments du contrat sont couverts par plusieurs points » (hypothèse du contrat complexe comportant par exemple à la fois vente et la prestation de services), le contrat est régi par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle.
Pour l'identification de la prestation caractéristique en présence d'un contrat complexe, le considérant 19 du règlement Rome I donne une indication : « Dans le cas d'un contrat consistant en un faisceau de droits et d'obligations qui peuvent être rattachés à plusieurs des catégories de contrat définies, la prestation caractéristique du contrat devrait être déterminée par rapport à son centre de gravité ». Il appartient donc au juge de rechercher le centre de gravité du contrat. À cet égard, certains auteurs
1545996309060proposent, lorsque le contrat associe plusieurs catégories spéciales, de rechercher si, dans l'agencement contractuel, l'une des catégories apparaît comme principale et l'autre comme secondaire ou accessoire. Dans ce cas, il faudrait s'en tenir à la qualification principale et appliquer la règle particulière correspondante. Or, si cela aura peu d'impact dans le cas où une partie cumule les qualités de vendeur et de prestataire de services, puisque dans tous les cas ce sera la loi de la résidence habituelle qui sera appliquée, il en ira différemment lorsque le contrat est tiraillé entre règles spéciales qui désignent des lois différentes. Ces mêmes auteurs donnent l'exemple d'un vendeur d'un terrain qui accepte aussi de le dépolluer et d'y édifier un bâtiment : « En raison du transfert de propriété de l'immeuble ; par sa dimension entrepreneuriale, cependant, le contrat penche vers la loi de la résidence habituelle du vendeur, qui ne sera pas forcément établi dans le pays du situs de l'immeuble. Faudrait-il pour autant, si le transfert de propriété de l'immeuble paraît constituer la prestation caractéristique de cet arrangement, appliquer la loi de la résidence habituelle du vendeur ? Le bon sens impose de répondre par la négative. C'est la loi du lieu de situation de l'immeuble qui régira un tel contrat »
1545996330856. Tout dépend donc de l'agencement contractuel qui a été voulu par les parties. La recherche de la prestation caractéristique ne devrait donc intervenir que lorsqu'aucune des règles spéciales ne peut être appliquée.
Comme la convention, le règlement s'attache non pas au lieu d'exécution de la prestation caractéristique, mais au lieu de résidence habituelle de la partie qui la fournit, au moment de la conclusion du contrat. Et il est précisé que la résidence habituelle est pour une personne physique son établissement principal, et pour une personne morale le lieu où elle a établi son administration centrale
Règl. Rome I, art. 19.
.
La clause d'exception
Les rattachements spéciaux (les contrats de consommation)
Pour certaines catégories de contrats, la convention et le règlement ont prévu des rattachements spéciaux. Dans la convention de Rome, il ne s'agissait que des contrats conclus par les consommateurs et des contrats de travail. L'objectif à leur égard était d'assurer la protection de la partie faible. Le règlement reprend les rattachements spéciaux propres à ces contrats en leur apportant quelques modifications en vue d'assurer une protection renforcée de la partie faible. Il ajoute en outre une autre catégorie de contrats pour lesquels il a posé des règles de conflit particulières : les contrats de transport. Par ailleurs, alors que la convention de Rome ne traitait que du transport de marchandises et se contentait de poser une présomption à l'article 4, § 4, le règlement Rome I consacre un important article 5 à l'énoncé de règles de conflit concernant et le transport de marchandises et le transport de passagers. Enfin, le règlement innove en consacrant son article 7 à la détermination de la loi applicable aux contrats d'assurance alors que la convention de Rome ne couvrait que les contrats portant sur un risque localisé dans un pays tiers.
Il ne sera question ici que des seuls contrats de consommation visés par les articles 5 de la convention de Rome et 6 du règlement Rome I.
L'article 5 de la convention de Rome dispose :
« 1. Le présent article s'applique aux contrats ayant pour objet la fourniture d'objets mobiliers corporels ou de services à une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, ainsi qu'aux contrats destinés au financement d'une telle fourniture.
2. Nonobstant les dispositions de l'article 3, le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi du pays dans lequel il a sa résidence habituelle :
- si la conclusion du contrat a été précédée dans ce pays d'une proposition spécialement faite ou d'une publicité, et si le consommateur a accompli dans ce pays les actes nécessaires à la conclusion du contrat ou
- si le cocontractant du consommateur ou son représentant a reçu la commande du consommateur dans ce pays ou
- si le contrat est une vente de marchandises et que le consommateur se soit rendu de ce pays dans un pays étranger et y ait passé la commande, à la condition que le voyage ait été organisé par le vendeur dans le but d'inciter le consommateur à conclure une vente.
3. Nonobstant les dispositions de l'article 4 et à défaut de choix exercé conformément à l'article 3, ces contrats sont régis par la loi du pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, s'ils sont intervenus dans les circonstances décrites au paragraphe 2 du présent article.
4. Le présent article ne s'applique pas :
a) au contrat de transport ;
b) au contrat de fourniture de services lorsque les services dus au consommateur doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle.
5. Nonobstant les dispositions du paragraphe 4, le présent article s'applique au contrat offrant pour un prix global des prestations combinées de transport et de logement ».
Et l'article 6 du règlement précise :
« 1. Sans préjudice des articles 5 et 7, un contrat conclu par une personne physique (ci-après "le consommateur"), pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, avec une autre personne (ci-après "le professionnel", agissant dans l'exercice de son activité professionnelle, est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle, à condition que le professionnel :
a) exerce son activité professionnelle dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, ou
b) par tout moyen, dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays, dont celui-ci, et que le contrat rentre dans le cadre de cette activité.
2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les parties peuvent choisir la loi applicable à un contrat satisfaisant aux conditions du paragraphe 1, conformément à l'article 3. Ce choix ne peut cependant avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui aurait été applicable, en l'absence de choix, sur la base du paragraphe 1.
3. Si les conditions établies au paragraphe 1, point a) ou b), ne sont pas remplies, la loi applicable à un contrat entre un consommateur et un professionnel est déterminée conformément aux articles 3 et 4.
4. Les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas :
a) au contrat de fourniture de services lorsque les services dus au consommateur doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle ;
b) au contrat de transport autre qu'un contrat portant sur un voyage à forfait au sens de la directive 90/314/CEE du Conseil du 13 juin 1990 concernant les voyages, vacances et circuits à forfait (1) ;
c) au contrat ayant pour objet un droit réel immobilier ou un bail d'immeuble autre qu'un contrat ayant pour objet un droit d'utilisation à temps partiel de biens immobiliers au sens de la directive 94/47/CE ;
d) aux droits et obligations qui constituent des instruments financiers, et aux droits et obligations qui constituent les modalités et conditions qui régissent l'émission ou l'offre au public et les offres publiques d'achat de valeurs mobilières, et la souscription et le remboursement de parts d'organismes de placement collectif, dans la mesure où ces activités ne constituent pas la fourniture d'un service financier ;
e) au contrat conclu dans le cadre du type de système relevant du champ d'application de l'article 4, paragraphe 1, point h) ».
On le voit, le mécanisme mis en place par ces deux textes ne protège pas tous les consommateurs. Son champ d'application y est en effet rigoureusement circonscrit (§ I). Si le contrat litigieux en fait partie, l'idée, dans les deux cas, est que les parties puissent librement décider de soumettre leur contrat à une loi et qu'à défaut de choix de loi, la loi de la résidence habituelle du consommateur trouve à s'appliquer (§ II). La protection du consommateur se traduit par un développement du droit dérivé qui n'est pas sans soulever des problèmes d'articulation avec la convention et le règlement (§ III).
Le champ d'application des articles 5 de la convention de Rome et 6 du règlement Rome I
– Un consommateur et un professionnel. – La convention et le règlement définissent le consommateur comme celui qui agit « pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle », mais le règlement précise qu'il doit s'agir d'une personne physique
1545996851632. Ainsi, le professionnel qui agit pour les besoins de son activité mais en dehors de sa spécialité (par ex., le médecin qui achète un ordinateur) n'est pas un « consommateur » au regard de la convention de Rome ou du règlement Rome I. Le cocontractant du consommateur doit, quant à lui, agir dans le cadre de son activité professionnelle. L'article 6, paragraphe 1, du règlement le dit expressément en imposant que le contrat soit passé entre une personne physique consommateur et un professionnel agissant dans l'exercice de son activité professionnelle. La vente d'occasion entre deux particuliers ou le contrat conclu entre deux consommateurs ne relèvent donc pas du champ d'application de la règle spécifique. En revanche, peu importe le lieu de résidence habituelle du consommateur. Les règles posées par la convention et le règlement s'appliquent qu'il ait sa résidence habituelle sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne ou sur le territoire d'un État tiers.
– Contrats visés par l'article 5 de la convention de Rome. – La convention ne vise que les « contrats ayant pour objet la fourniture d'objets mobiliers ou de services » ou les « contrats destinés au financement d'une telle fourniture ». Entrent donc dans le champ de l'article 5 le contrat de vente de marchandises, le contrôle de prêt, de crédit-bail, de fourniture d'enseignement et les opérations à terme dans une bourse étrangère
1545996875662. En revanche, le crédit immobilier n'y est pas inclus
1545996883756. Il relève donc des règles générales des articles 3 et 4 sous réserve de l'application des lois de police. Par ailleurs, le contrat de transport est expressément exclu de l'article 5, car la compétence privilégiée de la loi de résidence habituelle du consommateur n'est pas appropriée pour ce type de contrat
1545996904208, de même que « le contrat de fourniture lorsque les services dus au consommateur doivent être fournis exclusivement dans un pays autre que celui dans lequel il a sa résidence habituelle »
1545996898614. En revanche, l'article 5 s'applique au contrat portant sur un « voyage organisé » comprenant transport, mais aussi hébergement, nourriture, conférences, etc.
Conv. Rome, art. 5, § 5.
.
– Les circonstances dans lesquelles le contrat peut donner lieu à protection dans la convention de Rome. – L'article 5, § 2, énumère trois circonstances dans lesquelles les règles protectrices du consommateur doivent s'appliquer.
Le premier cas est celui où la conclusion du contrat a été précédée dans le pays de la résidence habituelle du consommateur d'une proposition spécialement faite (démarchage à domicile, envoi d'un catalogue ou d'une proposition personnelle par courrier ou par intermédiaire)
1545997072120ou d'une publicité (par voie de radio, télévision, presse écrite, affichage) si le consommateur a accompli dans ce pays les actes nécessaires à la conclusion du contrat. Peu importe où le contrat a été juridiquement conclu, du moment que c'est dans le pays de résidence habituelle que la consommateur a signé les documents qui lui étaient présentés ou a envoyé sa commande au fournisseur
1545997081152. La protection du consommateur se comprend facilement dans cette hypothèse, le consommateur ayant été sollicité chez lui.
Le deuxième cas dans lequel les règles protectrices s'appliquent est celui où le cocontractant du consommateur ou son représentant a reçu la commande dans le pays de résidence habituelle du consommateur. Là aussi, la protection du consommateur se comprend aisément.
Enfin, le troisième cas visé par l'article 5 est celui où le contrat est une vente de marchandises et où le consommateur s'est déplacé du pays de sa résidence habituelle dans un pays étranger et y a passé la commande, à la condition que le voyage ait été organisé par le vendeur dans le but d'inciter le consommateur à conclure une vente. Sont ici visées les ventes effectuées dans le cadre « d'excursions transfrontières »
1545997197959.
Dans ces trois situations, seul le consommateur « passif » est protégé. Le consommateur « mobile » ou « actif » qui, lors d'un séjour à l'étranger, effectue des achats ou qui, de retour chez lui, adresse une commande à fournisseur rencontré sur son lieu de vacances, est quant à lui soumis aux règles générales des articles 3 et 4.
– Contrats visés par l'article 6 du règlement Rome I. – Le champ d'application du règlement est plus large que celui de la convention. A priori tous les contrats de consommation bénéficient de l'article 6 du règlement ; la restriction aux contrats de fournitures d'objets mobiliers corporels et aux contrats de services au consommateur qui figurent dans la convention de Rome a disparu dans le règlement. La protection pourra maintenant s'étendre à des contrats comme les contrats de crédit même non affectés à la fourniture de marchandises ou de services. Toutefois, le paragraphe 4 exclut les catégories de contrat auxquelles les règles de l'article 6 ne s'appliquent pas. Comme dans la convention de Rome, sont exclus le contrat de transport et le contrat de fourniture de services lorsque les services doivent être fournis au consommateur exclusivement dans un pays autre que celui de sa résidence habituelle. De même, sont exclus des règles protectrices les contrats portant sur des droits réels immobiliers ou droit d'utilisation d'un immeuble autres que le time-sharing, les contrats concernant des instruments financiers dès lors qu'il ne s'agit pas de fourniture de services financiers, et enfin les contrats conclus dans des systèmes multilatéraux.
– Les circonstances dans lesquelles le contrat peut donner lieu à protection dans le règlement Rome I. – Les circonstances dans lesquelles le contrat doit avoir été conclu ont été largement simplifiées. Il suffit, pour que l'article 6 s'applique, que le professionnel exerce son activité professionnelle dans le pays de la résidence habituelle du consommateur, ou « par tout moyen, dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays dont celui-ci ». La première situation vise le consommateur qui contracte avec un professionnel étranger mais ayant des établissements sur le territoire de sa résidence. Ce serait par exemple le cas d'un consommateur français se rendant en Allemagne pour contracter un crédit auprès d'une banque allemande qui a également des établissements en France
1545997360889. Mais l'article 6 du règlement Rome I pose comme condition que le contrat « rentre dans le cadre de cette activité » (exigence posée pour les deux situations visées par l'article). Il faudrait donc que le contrat conclu par le consommateur entre dans le cadre de l'activité professionnelle exercée dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle (ce que le considérant 25 invite à penser puisqu'il pose comme condition que le « contrat de consommation ait été conclu dans le cadre des activités commerciales ou professionnelles exercées par le professionnel dans le pays en question (pays de la résidence habituelle du consommateur) ». La seconde situation vise, outre le premier cas visé par la convention de Rome (publicité, démarchage, vente à distance), l'hypothèse du commerce électronique. Le considérant 24 du règlement précise que la notion « d'activité dirigée », présente également dans le règlement Bruxelles I, doit faire l'objet d'une interprétation harmonieuse dans les deux règlements. Et ce même considérant fait expressément référence à une déclaration conjointe du Conseil et de la Commission à propos de l'article 15 du règlement Bruxelles I selon laquelle : « Il ne suffit pas qu'une entreprise dirige ses activités vers l'État membre du domicile du consommateur, ou vers plusieurs États dont cet État membre, il faut également qu'un contrat ait été conclu dans le cadre de ces activités » et « le simple fait qu'un site internet soit accessible ne suffit pas (...), encore faut-il que ce site internet invite à la conclusion de contrats à distance et qu'un contrat ait effectivement été conclu à distance, par tout moyen. À cet égard, la langue ou la monnaie utilisée par un site internet ne constitue pas un élément déterminé ». Il faut donc se référer à la jurisprudence de la Cour de justice relative à l'article 15 du règlement Bruxelles I. À cet égard, la Cour a, dans un arrêt du 7 décembre 2010
1546002338951, fourni des précisions importantes : « Les éléments suivants, dont la liste n'est pas exhaustive, sont susceptibles de constituer des indices permettant de considérer que l'activité du commerçant est dirigée vers l'État membre du domicile du consommateur, à savoir la nature internationale de l'activité, la mention d'itinéraires à partir d'autres États membres pour se rendre au lieu où le commerçant est établi, l'utilisation d'une langue ou d'une monnaie autres que la langue ou la monnaie habituellement utilisées dans l'État membre dans lequel est établi le commerçant avec la possibilité de réserver et de confirmer la réservation dans cette autre langue, la mention de coordonnées téléphoniques avec l'indication d'un préfixe international, l'engagement de dépenses dans un service de référencement sur internet afin de faciliter aux consommateurs domiciliés dans d'autres États membres l'accès au site du commerçant ou à celui de son intermédiaire, l'utilisation d'un nom de domaine de premier niveau autre que celui de l'État membre où le commerçant est établi et la mention d'une clientèle internationale composée de clients domiciliés dans différents États membres. Il appartient au juge national de vérifier l'existence de tels indices. En revanche, la simple accessibilité du site internet du commerçant ou de celui de l'intermédiaire dans l'État membre sur le territoire duquel le consommateur est domicilié est insuffisante. Il en va de même de la mention d'une adresse électronique ainsi que d'autres coordonnées ou de l'emploi d'une langue ou d'une monnaie qui sont la langue et/ou la monnaie habituellement utilisées dans l'État membre dans lequel le commerçant est établi ». La condition de direction des activités repose donc sur un faisceau d'indices et implique une démarche, assez proche de celle mise en œuvre pour apprécier les liens étroits, consistant à analyser in concreto un grand nombre de données factuelles
1546002404309.
Par ailleurs, à la différence de ce qui était prévu dans la proposition du 15 décembre 2005, l'article 6 du règlement ne réserve pas la possibilité pour le professionnel de prouver qu'il ignorait le lieu de résidence habituelle du consommateur et que cette ignorance ne lui était pas imputable.
Les règles protectrices des articles 5 de la convention de Rome et 6 du règlement Rome I
La convention et le règlement autorisent le choix de loi applicable, mais limitent la portée du principe d'autonomie de la volonté (A). À défaut de choix de loi, la loi de la résidence habituelle du consommateur est applicable (B). La question s'est par ailleurs posée de savoir comment articuler ces règles protectrices avec le mécanisme des lois de police (C).
Limitation de la portée de l'autonomie de la volonté
La convention et le règlement prévoient tous deux que le choix par les parties de la loi applicable au contrat ne peut avoir pour effet de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi de sa résidence habituelle
1546002542130. Il faut dès lors se livrer à une comparaison concrète de la loi choisie par les parties et de la loi de résidence habituelle du consommateur. Si les dispositions impératives de la loi de résidence habituelle du consommateur sont plus protectrices que la loi choisie, il faudra les appliquer. En revanche, si les dispositions de la loi choisie sont au moins aussi protectrices que celles de la loi de résidence habituelle du consommateur, elles demeurent applicables
1546002549060.
La loi applicable à défaut de choix
Articulation des règles protectrices et des lois de police
Tant la convention que le règlement réservent le jeu des lois de police
1546002652251. Dans le cadre de la convention, la question s'est posée de savoir si l'article 5, § 2 devait être compris comme « une clause spéciale de lois de police » excluant le jeu de la règle générale de l'article 7 lorsqu'on se trouve en présence d'un contrat couvert par l'article 5 mais qui n'a pas été conclu dans les circonstances visées par le paragraphe 2. En d'autres termes, le consommateur « actif » qui est allé chercher le professionnel peut-il se prévaloir de la protection offerte par la loi de sa résidence habituelle appliquée en tant que loi de police ?
La question a été très débattue
1546002749930. En faveur de la qualification de l'article 5 en tant que clause spéciale de lois de police, l'on a souvent cité un arrêt du Bundesgerichtshof en date du 19 mars 1997 se ralliant à cette qualification
1546002759164, et fait valoir que la solution inverse conduirait à laisser lettre morte les dispositions de l'article 5, § 2
1546002772219. Mais cette qualification aurait pour conséquence paradoxale que la protection des lois de l'État de résidence habituelle du consommateur est plus accessible lorsque le contrat litigieux est totalement exclu du dispositif conventionnel de protection (libre jeu de l'article 7 et des seules conditions de la loi de police) que s'il en relève expressément (jeu de l'article 5 et de ses exigences de consommation passive)
1546002793273.
La Cour de cassation a finalement tranché la question dans un arrêt du 23 mai 2006
1546002800318en déclarant applicable l'article 7 de la convention de Rome à un consommateur dans une affaire où les conditions de l'article 5 faisaient défaut. Un couple de consommateurs domiciliés en France avait contracté un emprunt auprès d'une banque allemande qui les avait assignés en remboursement du prêt soumis au droit allemand par une clause de choix de la loi, devant le tribunal de grande instance de Sarreguemines (domicile de l'emprunteur). Les emprunteurs avaient alors invoqué l'article L. 311-37 du Code de la consommation français, en réclamant la compétence du tribunal d'instance et la cour d'appel de Metz avait rejeté cette exception d'incompétence au motif que l'article 5 ne trouvait pas à s'appliquer dès lors que les consommateurs n'avaient pas contracté avec la banque, à la suite d'une publicité faite en France et que tous les actes nécessaires à la conclusion du contrat avaient eu lieu en Allemagne. La Cour de cassation censure une telle décision au visa de l'article 7 de la convention de Rome et de l'ensemble de l'article (ancien) L. 311-37 du Code de la consommation. Cette solution est plus protectrice du consommateur : un consommateur qui a contracté dans d'autres circonstances que celles visées par les articles 5 et 6 de la convention et du règlement pourra néanmoins se prévaloir des dispositions protectrices de sa loi de résidence habituelle par le jeu des lois de police
1546002813381. La Cour de justice, quant à elle, ne s'est pas prononcée pour l'instant.
Développement du droit dérivé de la consommation
La protection du consommateur est devenue ces dernières années une priorité du droit de l'Union européenne. Elle s'est traduite par la multiplication de directives sectorielles (A) qui soulèvent des problèmes d'articulation avec l'article 5 de la convention de Rome et 6 du règlement Rome I (B).
La multiplication des directives de protection du consommateur
Depuis le traité de Maastricht, la protection du consommateur intra-européen est devenue l'une des principales missions de la Communauté. L'article 3 du Traité CE a fait expressément référence à « une contribution au renforcement de la protection des consommateurs », et un nouveau titre intitulé « Protection des consommateurs »
1546003220373a été institué conférant à la Communauté le pouvoir d'adopter des mesures aux fins d'« assurer un niveau élevé de protection des consommateurs »
1546003230436. Cette nouvelle base juridique s'est traduite par la multiplication des directives sectorielles, dont la plus célèbre est la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives.
Dans un premier temps, cette harmonisation est restée « minimale », laissant aux États membres la possibilité de maintenir ou d'adopter des mesures plus protectrices allant au-delà du niveau minimum de protection instauré par la directive. Elle est ensuite devenue « maximale », le législateur de l'Union préférant l'adoption de directives dont les règles de protection constituent le minimum mais aussi le maximum pour les États membres
1546003307090.
Le Livre vert sur la révision de l'acquis communautaire soumis à la consultation en mars 2007 proposait, quant à lui, une intervention du type « approche mixte », consistant en un instrument horizontal combiné au besoin avec une action verticale, c'est-à-dire l'amélioration des huit directives existantes. Mais la proposition de directive du 8 octobre 2008, relative aux droits des consommateurs, ne proposa de réviser que quatre directives : la directive 85/577/CEE du 20 décembre 1985, relative aux contrats négociés en dehors des établissements commerciaux, la directive précitée sur les clauses abusives, la directive 97/7/CE du 20 mai 1997 sur les contrats à distance et la directive 1999/44/CE du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation. Finalement, après de longues discussions au Parlement européen et au Conseil, cette proposition fut fortement amendée. Si la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011, relative aux droits des consommateurs, a maintenu le principe de l'harmonisation « maximale » en y apportant cependant de nombreuses dérogations, elle se limite en revanche à l'introduction d'une obligation générale d'information, à une refonte et à une uniformisation des obligations d'information et du droit de rétractation en matière de contrats à distance et de contrats hors établissement ainsi qu'à l'introduction de quelques « autres droits des consommateurs », sans modifier les règles en matière de conformité des biens de consommation de la directive 1999/44/CE et le régime des clauses abusives de la directive 93/13/CEE.
Quant à la proposition de règlement relatif à un droit commun de la vente du 11 octobre 2011, qui se voulait également applicable aux contrats de consommation, elle a été finalement retirée
1546003367213. Cette proposition avait pour objet de favoriser les conditions d'établissement et de fonctionnement du marché intérieur par la création d'un corps uniforme de règles en matière contractuelle qui pouvaient être utilisées dans le cadre de transactions transfrontalières portant sur la vente de biens, la fourniture de contenus numériques et la prestation de services connexes lorsque les parties contractantes convenaient de les appliquer, d'où la qualification d'« instrument optionnel ». Son abandon a néanmoins été accompagné de deux autres propositions de directives en date du 9 décembre 2015
1546003378065concernant certains aspects des contrats de vente en ligne et de toute autre vente à distance de biens instaurant des règles touchant à la conformité du bien ou du contenu au contrat, ainsi que les remèdes disponibles en cas de non-conformité dans ces deux types de contrats
1546003408064afin de supprimer les principaux obstacles au commerce électronique transfrontière dans l'Union. Et, plus récemment, la Commission a lancé en 2016 un vaste projet de refonte du droit européen de la consommation portant sur six directives : la directive de 1993 sur les clauses abusives, la directive 98/6/CE du 16 février 1998 sur l'indication des prix, la directive de 1999 sur la vente et les garanties de biens de consommation, la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales, la directive 2006/114/CE du 12 décembre 2006 en matière de publicité trompeuse (entre professionnels) et de publicité comparative et, finalement la directive 2009/22/CE du 23 avril 2009, relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs.
Progressivement se met donc en place un droit européen des consommateurs. L'articulation de ce grand nombre de directives avec la convention de Rome et le règlement Rome I soulève parfois des difficultés.
L'articulation des directives avec l'article 5 de la convention de Rome et l'article 6 du règlement Rome I
La convention de Rome et le règlement Rome I réservent la priorité au droit communautaire. La convention le fait dans son article 20 et le règlement dans son article 23 qui dispose que « (...) le présent Règlement n'affecte pas l'application des dispositions de droit communautaire qui, dans des domaines particuliers, règlent les conflits de lois en matière d'obligations contractuelles ». Or, les directives sectorielles relatives à la protection du consommateur contiennent généralement une clause d'applicabilité dans l'espace destinée à éviter que le choix par les parties de la loi d'un pays tiers n'aboutisse à priver le consommateur de la protection que lui assure le droit de l'Union européenne. Si l'objectif apparaît louable, en pratique, une telle clause a donné lieu à des interprétations et des transpositions très divergentes.
Le prototype en est l'article 6, § 2, de la directive sur les clauses abusives qui dispose que : « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que le consommateur ne soit pas privé de la protection accordée par la présente directive du fait du choix du droit d'un pays tiers comme droit applicable au contrat, lorsque le contrat présente un lien étroit avec le territoire des États membres ». L'interprétation du terme vague de « lien étroit », que l'on retrouve dans d'autres directives
1546003598286, a fait surgir immédiatement des interrogations. Dans quels cas peut-on dire que le contrat présente un lien étroit avec le territoire des États membres ? Faut-il se référer aux critères d'application de l'article 5 de la convention de Rome ? Si certains États se sont contentés d'imposer l'application de leur loi de transposition à l'encontre de la loi choisie d'un État tiers en cas de lien étroit avec le territoire d'un État membre, d'autres ont frappé de nullité la clause abusive contenue dans un contrat qui, à défaut de choix de la loi d'un État tiers, aurait été soumis à la loi d'un État membre. D'autres enfin, comme la France
1546003644245, ont défini de manière autonome le critère du lien étroit. Cette situation, contraire à l'objectif de protection uniforme poursuivi par le législateur communautaire, a été largement dénoncée par la doctrine
1546003628043. Et la Cour de justice a, dans un arrêt du 9 septembre 2004, Commission c/ Espagne
1546003654176, condamné le mode de transposition consistant à substituer à la notion de lien étroit avec le territoire communautaire retenue par la directive des rattachements rigides, au motif que : « Si la notion délibérément vague de "lien étroit" que le législateur communautaire a retenue peut éventuellement être concrétisée par des présomptions, elle ne saurait en revanche être limitée par une combinaison de critères de rattachement prédéfinis, tels que les conditions cumulatives relatives à la résidence et à la conclusion du contrat visées à l'article 5 de la Convention de Rome ». Or l'autorité de la chose interprétée attachée à cet arrêt, rendu à la suite d'un recours en manquement contre l'Espagne, conduirait à penser que les lois de transposition qui s'écartent des règles posées par les directives de protection du consommateur sur leur champ d'application, doivent être jugées caduques par le juge, qui doit se référer directement aux dispositions de la directive
1546003758369.
Les transpositions du droit français n'ont pourtant pas immédiatement respecté les exigences posées par la Cour de justice. L'ordonnance du 17 février 2005 transposant la directive 1999/44/CE du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation a défini l'existence de liens étroits avec le territoire d'un État membre par la résidence habituelle de l'acheteur dans un État membre ainsi que par les modalités entourant la conclusion du contrat
1546003771580. Se conformant davantage aux exigences de souplesse de la jurisprudence communautaire, l'ordonnance du 6 juin 2005 transposant la directive du 23 septembre 2002 sur la commercialisation à distance des services financiers s'est bornée à établir une présomption simple de lien étroit par la résidence habituelle du consommateur
1546003785352. Plus récemment, la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, dite « loi Hamon », à l'origine de l'article L. 231-1 du Code de la consommation, a, pour l'application des dispositions relatives aux contrats conclus à distance et hors établissement, aux contrats conclus à distance portant sur des services financiers, aux clauses abusives et aux contrats conclus par des acheteurs résidant dans un État membre de l'Union européenne, établi une série de critères permettant « notamment » de réputer établie l'existence d'un lien étroit, ce qui devrait permettre au juge de retenir tout autre critère pour caractériser le lien étroit. Autant dire que « le droit de la consommation français contient désormais autant de dispositions d'application spatiale qu'il existe de directives, dispositions dont la rédaction et les critères varient »
1546003801283.
Les difficultés subsistent avec le règlement Rome I puisque ce texte n'a pas pris le parti d'abroger toutes les règles de conflit contenues dans les directives de protection de consommateurs et laisse donc subsister la règle générale contenue dans son article 6 et les règles particulières figurant dans certaines directives et dans les textes de transposition de ces dernières. La situation s'est améliorée depuis la directive 2011/83 du 25 octobre 2011 dont le considérant 10 indique que la directive « doit s'entendre sans préjudice du règlement 593/08 sur la loi applicable aux obligations contractuelles » de sorte que si le droit applicable au contrat est celui d'un État tiers, le règlement Rome I devrait s'appliquer afin de déterminer si le consommateur continue de bénéficier de la protection garantie par la directive (consid. 58). Mais cette directive n'ayant refondu que la directive sur les contrats négociés en dehors de l'établissement et celle des contrats à distance, les difficultés subsistent pour les clauses d'application dans l'espace contenues dans les autres directives.
Mécanismes pouvant bouleverser l'application des règles sur la détermination de la loi applicable
À l'instar de la convention de Rome, le règlement Rome I contient des dispositions relatives au renvoi (§ I), à l'ordre public (§ II) et aux lois de police (§ III).
Le renvoi
L'exception d'ordre public
Le règlement réserve la possibilité d'écarter la loi désignée si son application est « manifestement incompatible avec l'ordre public du for »
1546843489110. Il faut donc se livrer à une appréciation in concreto de la conformité avec l'ordre public international du for : une loi qui, in abstracto, serait contraire à l'ordre public n'entraînerait pas forcément dans l'espèce dont le juge est saisi une application contraire à l'ordre public. En pratique, il est rare qu'en matière contractuelle la loi étrangère soit écartée pour sa non-conformité à l'ordre public local.
Le jeu des lois de police
La convention de Rome et le règlement Rome I réservent également le jeu des lois de police. La convention le fait dans son article 7, le règlement dans son article 9 qui, s'inspirant directement de la définition qui en est donnée classiquement
1546004025156, définit la loi de police comme « une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent Règlement ». A priori donc, les dispositions protectrices des intérêts privés d'une partie au contrat ne devraient pas pouvoir être qualifiées de lois de police.
Les deux instruments distinguent le jeu des lois de police du for (A) et le jeu des lois de police étrangères (B).
Les lois de police du for
L'article 7, § 2 de la convention de Rome prévoit que : « Les dispositions de la présente Convention ne pourront porter atteinte à l'application des règles de la loi du pays du juge qui régissent impérativement la situation quelle que soit la loi applicable au contrat ». L'article 9, § 2 du règlement précise en des termes assez proches que : « Les dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l'application des lois de police du juge saisi ». Autrement dit, en présence d'une loi de police du for, la règle de conflit de lois est écartée.
Toute la difficulté est d'identifier la loi de police. Une disposition impérative en droit interne ne l'est pas forcément en droit international. Le législateur ne prenant généralement pas le soin de préciser si telle ou telle loi constitue une loi de police, la qualification des lois de police revient normalement au juge. L'article 9 du règlement offre une définition des lois de police, mais qui n'est pas de nature à éviter toute difficulté.
Dans le cadre de la convention de Rome, la Cour de justice a eu l'occasion de préciser que le dispositif de protection issu de la directive du 18 décembre 1986 sur les agents commerciaux devait s'appliquer impérativement à un agent travaillant sur le territoire communautaire, nonobstant le contenu différent de la loi californienne choisie par les parties au contrat
1546004146395. D'après la Cour, le régime communautaire de l'agence commerciale poursuivait le double objectif d'assurer la liberté d'établissement et d'éviter les distorsions de concurrence. Il a pu être considéré que cet arrêt retenait une conception trop large des lois de police, laissant entendre que toutes les dispositions nationales de transposition des directives seraient des lois de police. Quelques jours plus tard, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé cependant qu'un tel dispositif n'était pas constitutif d'une loi de police
1546004164683, ce qu'elle a encore confirmé récemment
1546004171331. Mais le statut des agents commerciaux a ultérieurement conduit la Cour de justice
1546004331442à juger que le juge d'un État membre pouvait appliquer sa propre loi de transposition de la directive et celle d'un autre État membre ayant transposé la directive dans des termes moins favorables au demandeur dès lors que « la juridiction saisie constate de manière circonstanciée que, dans le cadre de cette transposition, le législateur du for a jugé crucial, au sein de l'ordre juridique concerné, d'accorder à l'agent commercial une protection allant au-delà de celle prévue par ladite directive, en tenant compte à cet égard de la nature et de l'objet de telles dispositions impératives ». L'existence de directives d'harmonisation minimale laisse donc place au jeu des lois de police.
Ont été jugées en France comme des lois de police, la loi du 8 février 1995 sur le surendettement des particuliers
1546004343722, les règles relatives à l'action en revendication à l'encontre d'une société en procédure collective
1546004351682ou encore les dispositions de l'ancien article L. 311-37 (ancien) du Code de la consommation
1546004358128.
Les lois de police étrangères
L'article 7, § 1 de la convention de Rome prévoit l'application des lois de police étrangères en ces termes : « Lors de l'application, en vertu de la présente convention, de la loi d'un pays déterminé, il pourra être donné effet aux dispositions impératives de la loi d'un autre pays avec lequel la situation présente un lien étroit, si et dans la mesure où, selon le droit de ce dernier pays, ces dispositions sont applicables quelle que soit la loi régissant le contrat. Pour décider si effet doit être donné à ces dispositions impératives, il sera tenu compte de leur nature et de leur objet ainsi que des conséquences qui découleraient de leur application ou de leur non-application ».
Ce texte accorde au juge la possibilité d'appliquer une loi de police étrangère à quatre conditions : que la disposition en cause émane d'un État « avec lequel la situation présente un lien étroit », que la disposition en cause soit effectivement considérée comme loi de police dans son État d'origine, que l'application des dispositions impératives étrangères se justifie par « leur nature et leur objet », et qu'il soit tenu compte des conséquences qui découleraient de l'application ou de la non-application de la loi de police étrangère. Il lui impose donc de se livrer à une appréciation in concreto de la situation particulière.
L'article 9, § 3 du règlement Rome I a durci les conditions d'application des lois de police étrangères : « Il pourra également être donné effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police rendent l'exécution du contrat illégale. Pour décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non-application ». Il réduit donc le domaine d'intervention des lois de police étrangères à celles-là seules du pays dans lequel les obligations du contrat doivent être ou ont été exécutées et limite l'effet des lois de police étrangères à la seule hypothèse où elles rendraient l'exécution du contrat illégale.