Les moyens de preuve de la loi étrangère à la disposition du notaire et les obstacles à son application

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

Les moyens de preuve de la loi étrangère à la disposition du notaire et les obstacles à son application

Depuis l'arrêt de principe du 28 juin 2005, le notaire a l'obligation de rechercher le contenu de la loi étrangère lorsque celle-ci doit s'appliquer. Dans le cadre de cette obligation, dansun premier paragraphe seront énoncés les moyens à la disposition du notaire pour y arriver (§ I), avant d'aborder, dans un second temps, les obstacles que le notaire peut rencontrer pour appliquer ce droit étranger à son dossier international (§ II).

Les moyens de preuve

Même si le principe réside dans une collaboration active à laquelle peuvent (et doivent) participer les clients dans la recherche du droit qu'ils entendent voir appliquer, le notaire sera bien souvent seul pour procéder aux investigations nécessaires.
Au-delà du fonds documentaire à sa disposition à l'Étude (collections desJurisClasseurs, parmi lesquelles les collectionsDroit international privé,Droit comparé ; ouvrages monographiques et autres…), le notaire français peut aussi compter sur un puissant soutien des Centres de recherche, d'information et de documentation notariale (Cridon) avec leurs propres fonds de documentation et leurs propres collaborations avec d'autres organismes ou établissements français ou étrangers.
Il pourra également mettre à profit les différents organismes et institutions qui ont été évoqués et analysés dans les travaux de la première commission 1543247289682, à l'exception toutefois du réseau judiciaire européen et des services d'information sur le droit étranger prévue par la Convention de Londres du 7 juin 1968 dont l'accès est exclusivement réservé aux services judiciaires 1543247686540.
Toutes ces recherches et possibilités ne permettront au notaire que de recueillir l'information. La preuve, quant à elle, se fait par tous moyens 1543246446777, notamment par la production d'un certificat de coutume ou d'un avis juridique (legal opinion).

Le certificat de coutume

Le certificat de coutume est un document émanant d'un juriste local qui atteste de l'existence d'un droit, en donne son contenu, et peut même en faire une interprétation 1543297109660.
Outre le fait que le notaire devra s'assurer que le certificat de coutume dont il demande la production corresponde bien à la loi applicable compétente 1543297209434, ce document est considéré comme un élément de fait, puisque sa valeur dépend essentiellement de la compétence du juriste local qui l'établit, d'une part (ce dernier devant avoir «une connaissance approfondie du droit international privé français, ainsi qu'une pratique des principes généraux de divers droits étrangers et de leurs systèmes de droit international privé») 1543736370012et que sa portée n'équivaut qu'à un simple avis, sans aucun caractère contraignant, ni aucune force probante, d'autre part. De surcroît, il ne lie ni les parties ni les autorités.
À plusieurs occasions, le Congrès des notaires de France a émis des propositions visant à renforcer la validité du certificat de coutume, en proposant la création au niveau européen d'un règlement qui donnerait les grandes lignes d'un certificat de coutume européen 1543737047015.
Le notaire doit donc rester particulièrement vigilant, et s'il juge que les informations qui lui sont données sont insuffisantes ou difficilement accessibles, il lui incombe de vérifier le sérieux du document.
Sa responsabilité pouvant se trouvée engagée dans l'instruction de son dossier, le certificat de coutume n'étant qu'un élément de fait, s'il émet des doutes sérieux sur son contenu, le notaire peut refuser d'instrumenter 1543297808018.
C'est précisément pour cette raison qu'en fonction des enjeux du dossier, le notaire préférera au certificat de coutume un document issu d'une pratique essentiellement anglo-saxonne du droit international des sociétés : l'avis juridique, autrement appelélegal opinion.

Lalegal opinion(avis juridique)

Unelegal opinionconstitue un avis émis par un juriste qui éclaire sur un point de droit particulier, spécifiquement rapporté à l'espèce soumise à examen.
Tandis qu'un certificat de coutume peut être délivré pour indiquer une situation juridique générale, lalegal opinionest plus qu'une simple consultation juridique.
Ce document, qui n'est défini par aucun texte dans notre système, a fait l'objet d'une étude fouillée par le Cridon de Paris, qui a fait ressortir certaines précautions à respecter pour le notaire qui accepte de le délivrer, au regard du statut du notariat, d'une part, et de la responsabilité attachée à sa rédaction, d'autre part 1543740243467.
Il est de principe que le juriste qui est amené à l'établir justifie non seulement de sa qualification à pouvoir le faire, mais encore, justifie, savoir :
  • de ses qualifications professionnelles qui relèvent bien d'une fonction qu'il exerce dans un ordre reconnu auquel il appartient ;
  • de son ancienneté dans cet ordre, ou dans la spécialité pour laquelle il est sollicité ;
  • parfois, de sa production intellectuelle antérieure ayant contribué à acquérir ses compétences (ou sa réputation) ;
  • de la souscription d'une assurance couvrant sa responsabilité civile professionnelle, ainsi que le plafond au-dessus duquel il pourrait y avoir exclusion de la couverture.
De ce fait, lalegal opinionremplit habituellement plusieurs critères 1543302136143 :
  • elle décrit d'abord, dans une introduction, le contexte dans lequel le juriste est sollicité : dans un exposé préalable, il analyse le contexte qui lui permet de comprendre la question posée ;
  • dans un deuxième temps, le juriste décrit et analyse les éléments de fait et de droit (étayés par la liste des documents utilisés) sur le fondement desquels il émet son avis juridique (cette partie de l'avis juridique est habituellement dénomméeAssumptions) ;
  • à la suite de cette analyse dans laquelle il décrit les différentes hypothèses de fait et de droit qu'il a retenues, le juriste émet une prise de position, de manière pouvant être plus ferme et détaillée qu'un certificat de coutume 1543301437142. La position prise par le rédacteur ( appeléeopinion), est fondée sur des références sérieuses de jurisprudence, textes de loi ou de doctrine qui peuvent être référencées avec précision ;
  • la conclusion de cet avis juridique peut être réservée à d'éventuelles réserves tout aussi référencées et détaillées que celles ayant servi à bâtir l'analyse de l'opinion. Cette dernière partie constitue lesqualificationsde lalegal opinion.
Cet avis juridique vaut en quelque sorte attestation de régularité ou certificat de conformité. Lalegal opinionpeut se limiter à confirmer que le signataire ou l'intervenant étranger a la pleine capacité ainsi que les pouvoirs pour que l'acte qu'il signe ou auquel il intervient ait sa pleine efficacité et que rien ne s'oppose à son exécution 1543303434155.
Après avoir respecté son devoir de recherche du droit étranger, après avoir accédé à son contenu au moyen de véhicules factuels et empiriques éprouvés, le notaire doit effectuer un dernier contrôle : vérifier l'absence d'obstacle pouvant empêcher l'application de la loi étrangère dans son dossier.

Les obstacles à l'application de la loi étrangère

Ces obstacles peuvent être classés en deux catégories : les éléments correctifs, habituellement rencontrés en droit international privé, tels que l'ordre public ou la fraude (A), et un obstacle plus particulièrement attaché à la recherche du droit étranger jusqu'à pouvoir amener à son éviction : l'impossibilité matérielle ou technique de pouvoir y accéder (B).

Les correctifs habituels en droit international privé

Les obstacles traditionnels en droit international privé peuvent se rencontrer bien entendu dans les dossiers. Afin d'illustrer les propos, il sera évoqué successivement l'ordre public (I)et la fraude à la loi (II).

L'ordre public

La notion d'ordre public international a beaucoup évolué et poursuit avec le temps son évolution. Pour preuve, la notion de réserve héréditaire et les successions internationales médiatisées telles que les successionsJarreetColombier 1543308723573.
L'ordre public international fait barrage à l'application d'une loi étrangère qui heurte les principes essentiels de notre droit positif ou de nos règles sociales.
Typiquement, il y aura lieu d'analyser les difficultés engendrées par la réception en France des droits musulmans 1543309421763, comme des notions telles que la polygamie 1543309192314, la répudiation 1543309307388ou lakafala 1543309539997.
C'est dans ces circonstances qu'il appartiendra au notaire de considérer s'il y a lieu ou pas de faire appel à l'ordre public international.
Il devra procéder à l'analyse de la situation, au regard notamment de l'effet atténué pouvant être reconnu à l'ordre public, d'une part, et compte tenu de la proximité avec laquelle peuvent être entretenus les liens entre la loi étrangère et française, d'autre part 1543310399993.
La loi applicable « ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l'ordre public du for » 1535552110095.
Les rédacteurs du règlement ont voulu que l'exception d'ordre public soit établie de façon restrictive. En effet, l'article 31 du règlement ne permet d'écarter la loi désignée que si elle est manifestement contraire à l'ordre public.
L'ordre public peut être entendu de deux façons :
Il peut tout d'abord être constitué de principes universels communs à toutes les nations civilisées, tel le principe d'égalité des droits entre hommes et femmes ; cela n'exclut pas le fait que le droit des régimes matrimoniaux est très hétéroclite et est le reflet pour chaque pays de ses conceptions culturelles, religieuses ou familiales.
Il existe en effet un droit fondamental relatif à l'absence de discrimination. Ainsi, la Cour de cassation, dans un arrêt de 1998 1535896690593, a accepté de faire jouer l'exception d'ordre public contre la loi suisse qui organisait une répartition discriminatoire des biens au regard du sexe des époux 1542470064113. Il est certain que le règlement autoriserait dans des cas similaires le déclenchement de l'ordre public.
L'ordre juridique de référence est celui du for : si le juge français est saisi, c'est au regard de l'ordre juridique français que sera appréciée la contrariété à l'ordre public.
Ainsi, une loi étrangère établissant une inégalité fondée sur le sexe, la religion, la nationalité ou l'appartenance à une minorité pourrait être écartée sur le fondement d'une contrariété à l'ordre public. Il sera alors appliqué la loi du for.
Toutefois, le considérant 54 du règlement n° 2016/1103 1535902010132prévoit que la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne devra en tout état de cause être respectée.
Ainsi un pays contractant ne connaissant pas le mariage entre personnes de même sexe (par ex., la Bulgarie) pourrait au titre de son ordre public vouloir écarter une loi étrangère reconnaissant des effets patrimoniaux à une telle union. Cependant, ce refus ne pourrait pas être mis en œuvre, le principe de non-discrimination étant un droit fondamental contenu dans l'article 21 de la Charte.
Il faut noter que, dans ce cas, le juge saisi aurait toujours la possibilité de décliner sa compétence en vertu de l'article 9.1. du règlement 1535903051075.

La fraude à la loi

L'impossibilité d'appliquer la loi

Il peut arriver que la teneur de la loi étrangère soit impossible à connaître, que cette impossibilité soit matérielle (I)ou technique (II).

Impossibilité matérielle

L'impossibilité matérielle empêchant le notaire de connaître le contenu d'un droit interne étranger peut résulter par exemple de carences constatées dans le système juridique, rendant de la sorte impossible l'accès à son droit (problèmes géopolitiques, ou structures étatiques insuffisantes ou défaillantes...). En outre, l'impossibilité pour le notaire d'avoir accès au droit étranger peut également résulter de difficultés ou d'un coût excessif qui viendraient y faire obstacle 1543316577987.

Dans la pratique notariale

Si le notaire rencontre une difficulté rendant impossible l'accès au contenu du droit étranger, alors que le client en revendique pourtant l'application, ce sera alors à ce dernier d'en apporter la preuve
<sup class="note" data-contentnote=" P. Meyer et V. Heuzé,&lt;em&gt;op. cit.&lt;/em&gt;, p. 145, n° 192.">1543317248413</sup>.

À défaut, et à titre subsidiaire, c'est la loi matérielle française qui a vocation à s'appliquer.

En tout état de cause, le notaire devra veiller à conserver au dossier les différentes recherches effectuées par ses soins, surtout si elles se sont avérées infructueuses, afin de pouvoir justifier en tant que de besoin les diligences au regard de cette obligation de recherche d'office.

Impossibilité technique

Il peut arriver que le notaire rencontre des espèces où la mise en œuvre de la loi étrangère est purement impossible, parce qu'elle prévoit l'intervention d'une autorité administrative ou religieuse qui n'existe pas en France, ou dont l'activité est strictement limitée 1543317659749.