L'aménagement de la méthode conflictuelle

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

L'aménagement de la méthode conflictuelle

Cette évolution des règles de conflit de lois répond aux limites énoncées ci-avant de la méthode classique définie par Savigny. Parfois, il est nécessaire d'aller encore plus loin soit en aménageant la méthode conflictuelle, soit en appliquant des méthodes correctives (§ I) par le renvoi (A), l'exception d'ordre public en matière internationale (B) ou la sanction de la fraude à la loi (C), ou encore en empêchant le raisonnement conflictuel. La doctrine parle alors de méthodes concurrentes (§ II) 1531575656321que sont les lois de police (A) et les règles matérielles (B).

Les méthodes correctives à l'application de la règle de conflit de lois

Le renvoi

La question du renvoi ne sera que très brièvement évoquée dans la mesure où la pratique notariale est principalement concernée dans deux matières : la lex societatis et, de façon très limitée aujourd'hui, les successions. Il est néanmoins utile de rappeler les principes généraux (I) avant d'évoquer le renvoi en matière notariale (II).
Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 3 janvier 1972, le renvoi était très favorablement admis en matière de filiation. Depuis, la question du renvoi est controversée en la matière 1510330593497.
Les opinions doctrinales majoritaires considéreraient que le recours au renvoi doit être admis dès lors que celui-ci atténue les effets préjudiciables à l'enfant que pourrait entraîner l'application de la loi personnelle de la mère, et également lorsqu'il est favorable à l'enfant en ce qu'il permettrait l'établissement de sa filiation.
À l'inverse, une partie de la doctrine estime que le renvoi n'a pas lieu de jouer en matière de filiation. Il convient de signaler que cette position semble être celle retenue par la jurisprudence 1512029127622.
Le renvoi, qui trouve son origine dans l'arrêt Forgo 1539611816415, est admis en droit français, en matière de succession, de statut personnel et de divorce. Il n'est pas admis en matière de contrats, de forme des contrats et de régime matrimonial. Il est discuté au sujet de la filiation.
Il résulte nécessairement d'un conflit de loi négatif, c'est-à-dire lorsque les États en présence ont chacun des éléments de rattachement qui désignent le système juridique de l'autre 1539611842131.
En matière successorale, il convient d'envisager le renvoi autour de la date charnière du 17 août 2015.
Le règlement Rome I exclut le renvoi par une disposition très claire : « Lorsque la présente Convention [le présent Règlement] prescrit l'application de la loi d'un pays, elle [sic] entend les règles de droit [matériel] en vigueur dans ce pays à l'exclusion des règles de droit international privé [sauf disposition contraire du présent Règlement] » 1546843474256 . Cette solution se comprend : si les parties ont choisi la loi applicable au contrat, le jeu du renvoi reviendrait à déjouer leur volonté ; si elles ne l'ont pas fait, le jeu du renvoi conduirait par hypothèse à l'application d'une loi avec laquelle le contrat présente des liens moins étroits que celle désignée le règlement.

Les principes généraux

Les différents systèmes juridiques utilisent des règles de conflit de lois nationales et la divergence des rattachements utilisés par chaque pays est à l'origine de conflits. Il s'agit d'un conflit entre deux systèmes de droit international privé. En l'occurrence, ce n'est pas un renvoi de compétence juridictionnelle, mais bien un renvoi qui porte uniquement sur la loi applicable. Pour donner un exemple, un juge français est saisi d'une question de statut personnel qui implique un Anglais domicilié en France. La règle de conflit de loi désigne la loi nationale, soit la loi anglaise, mais cette dernière désigne la loi du domicile, soit la loi française. La question se pose de savoir si le juge français doit accepter le renvoi de la règle de conflit anglaise à la loi française. Le renvoi peut être au premier degré (la loi du for désigne une loi étrangère et la loi étrangère désigne la loi du for) ou au second degré (la loi du for désigne une loi étrangère qui désigne une loi tierce que le juge du for accepte). Cette matière a fait l'objet d'un bouillonnement doctrinal pendant des années mais il ne sera repris en l'espèce que le droit positif.
La jurisprudence a admis le renvoi au premier degré par l'arrêt Forgo 1536414781088qui a été confirmé dans un arrêt Soulié 1536414798222en étendant cette acceptation au renvoi au deuxième degré dans un arrêt Marchi 1536414827327Le renvoi s'impose au juge qui doit le mettre en œuvre, si besoin d'office 1536414888579.
Les seules limites sont, d'une part, la mise en œuvre de la loi d'autonomie, qui est exclusive de tout renvoi (cette solution a été consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt Mobil North Sea) 1536414902692et, d'autre part, par l'application des règles à coloration matérielle 1544378804340.
En effet, dans ce dernier cas, la règle a pour objectif de retenir un rattachement permettant d'atteindre un résultat. L'application du renvoi s'avérerait contraire à cet objectif. À noter qu'une incertitude demeure sur l'application du renvoi en matière de filiation. Cette question est évoquée par la troisième commission 1544378844844.
Enfin, en droit de l'Union européenne et en droit conventionnel, la question se posera rarement de par le processus d'uniformisation mis en place. Le renvoi n'est donc pas à retenir par le notaire français par l'application de textes européens en matière de régimes matrimoniaux, de divorces et séparations de corps, de successions, de contrats et délits, de procédures collectives. Le seul cas de renvoi prévu par un texte européen est le règlement « Successions » du 4 juillet 2012.
En matière conventionnelle, le renvoi est également exclu en matière de contrats, de régimes matrimoniaux, d'accidents de la circulation, de responsabilité du fait des produits, de protection des incapables.
Après ce bref rappel sur les principes jurisprudentiels, les thèmes plus particulièrement concernés par le renvoi en matière notariale sont abordés.

Le renvoi en matière notariale

Le renvoi ne concerne que quelques matières notariales. Il concerne le règlement des successions, de façon limitée, et ce point est abordé en détail par la troisième commission 1544378893032en distinguant son admission pour un décès avant le 17 août 2015 et après cette date.
Il concerne également la lex societatis 1544378936172. L'arrêt Banque Ottoman 1539436796941illustre parfaitement cette question. Une banque étrangère se livrait à des opérations bancaires sur le territoire français. Son siège social statutaire se situait en Turquie et son siège social réel était situé au Royaume-Uni. Le litige portait sur les obligations d'informations dues par la personne morale à ses actionnaires. Celles-ci n'avaient pas la même étendue selon que l'on appliquait la loi anglaise ou la loi turque. Ces questions relèvent de la lex societatis. Il fallait en conséquence déterminer si la société était de loi française, de loi anglaise ou de loi turque. La cour d'appel de Paris a précisé que la lex societatis était la loi du siège réel, soit la loi anglaise. Or, le système juridique anglais n'est pas fondé sur la théorie du siège, mais sur la théorie de l'incorporation. La loi anglaise a donc décliné sa compétence au profit de la loi turque. Celle-ci détermine la lex societatis par la loi d'immatriculation. La loi turque a accepté sa compétence. La cour d'appel a en l'espèce accepté le renvoi. La portée du renvoi dans ce domaine a longtemps été limitée, car les systèmes juridiques retenaient majoritairement la loi du siège. Depuis une dizaine d'années, beaucoup de systèmes européens ont abandonné la théorie du siège pour adopter la théorie de l'incorporation pour des raisons de simplicité. Cette jurisprudence va donc en principe trouver une nouvelle jeunesse.
Le renvoi est un correctif à la règle de conflit de lois. La loi du for intègre un autre correctif, par l'application de la notion d'ordre public international.

L'ordre public français en matière internationale

À titre liminaire, il faut préciser la notion d'ordre public français en matière internationale. Cette notion maintient le raisonnement conflictuel. Ce n'est que parce que le résultat concret de la loi étrangère heurte la conception française que la loi étrangère est écartée, au contraire des lois de police 1540565466124qui sont d'application immédiate. L'ordre public international permet de corriger l'application des règles de conflit de lois, qui sont, comme cela a déjà été évoqué, abstraites et neutres 1540565500171. Si les conséquences de l'application de la loi étrangère sont inacceptables pour le droit du for, le juge opposera l'ordre public qui mènera à l'éviction de la loi étrangère normalement compétente et à l'application de la loi du for au titre de sa vocation générale subsidiaire.
La Cour de cassation vient également de préciser 1536415549741qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire « n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d'espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ».
L'arrêt Lautour 1536415453961a précisé que la loi étrangère ne devait pas « heurter des principes de justice universelle considérés dans l'opinion française comme doués de valeur internationale absolue ». Aujourd'hui, le critère retenu s'apparente à « la défense des grands principes à portée universelle et la sauvegarde d'une politique législative française » 1544380157106.
La Cour de cassation précise que les principes essentiels du droit français sont en particulier illustrés dans le domaine de l'état des personnes et du droit de la famille.
La conception française de l'ordre public international est aujourd'hui fortement influencée par la Convention européenne des droits de l'homme, par la Charte de l'Union européenne (vérifiée à l'aune du principe de la proportionnalité) ou encore par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), parfois directement visée par la Cour de cassation. Cette notion s'est fortement européanisée. Elle s'est renouvelée en fonction de l'évolution sociologique de notre société et a accompagné les grandes évolutions législatives. Ainsi, en matière de divorce, le droit français l'a d'abord ignoré, au contraire d'autres législations. Puis le droit français a admis le divorce pour des causes limitées et a exclu le divorce pour consentement mutuel, jusqu'en 1975. Plus récemment, s'agissant du mariage de personnes du même sexe, le rejet autrefois de lois étrangères plus libérales a été introduit dans le droit du for. La conception française de l'ordre public international a suivi cette évolution.
L'arrêt Patino 1536415603955a précisé les effets de l'application de l'ordre public international. La loi étrangère est écartée pour lui substituer la loi française. Cependant, cette substitution devrait être limitée à la disposition contraire à l'ordre public. Cette question a été abordée par la Cour de cassation sur la notion de réserve : l'ordre public international ne peut être mis en œuvre que lorsque la loi étrangère l'ignore et « conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels », laissant les héritiers dans le besoin. Cette question est abordée plus longuement par la troisième commission 1544380247140.
La jurisprudence Rivière 1536415670231a mis en avant la notion d'ordre public atténué en admettant que la notion d'ordre public soit tempérée en fonction du moment et du lieu où est née la situation à l'origine du litige. Dans cet arrêt, la cour a considéré que le divorce prononcé selon une loi étrangère qui admettait le divorce par consentement mutuel devait être reconnu en France (ce type de divorce n'était pas possible dans notre pays à cette époque). « La réaction à l'encontre d'une disposition contraire à l'ordre public n'est pas la même suivant qu'elle met obstacle à l'acquisition d'un droit en France ou suivant qu'il s'agit de laisser produire en France les effets d'un droit acquis, sans fraude, à l'étranger et en conformité de la loi ayant compétence en vertu du droit international privé français. »
MM. Bernard Ancel et Yves Lequette 1536415695429justifient l'effet atténué des exigences de l'ordre public par deux éléments : l'élément spatial (la situation est née à l'étranger) et l'élément temporel (la situation est déjà née, il s'agit simplement de reconnaître ses effets en France). L'effet atténué de l'ordre public international revient finalement à appliquer la loi étrangère.
La jurisprudence, influencée par la doctrine, a mis en avant une notion d'ordre public de proximité, qui tend à renforcer les effets de l'ordre public atténué. Le critère spatial n'est pas suffisant pour mettre en œuvre un ordre public atténué, il faut également prendre en compte les liens réellement entretenus avec le for (le droit allemand appelle ce lien : Inlandsbeziehung). Ces liens peuvent notamment être constitués par la nationalité ou le domicile de l'une ou de l'autre partie. D'autres critères factuels peuvent aussi être retenus. Ainsi, en matière de filiation, les conséquences de l'application d'une loi étrangère dont l'application ne permet pas l'établissement de la filiation n'est pas contraire en soi à l'ordre public. Cependant, si la situation concerne un enfant français ou domicilié en France, la notion d'ordre public de proximité conduira le juge français à appliquer la loi française au titre de sa vocation générale subsidiaire.
Il peut cependant paraître choquant que l'ordre public international soit plus ou moins mis en avant, selon la proximité de la situation juridique, et ce d'autant plus que l'ordre public protège les valeurs fondamentales. L'interrogation de Mme Horatia Muir Watt et M. Dominique Bureau 1536415743526peut ici être reprise : « Y a-t-il paradoxe à reconnaître la relativité de valeurs qualifiées par ailleurs d'essentielles, ou est-ce au contraire manquer de respect à l'égard de l'altérité que de ne pas doser la vocation de valeurs culturelles du for ? ».
Enfin, un dernier correctif peut également être utilisé par les sanctions prévues en cas de fraude à la loi.

La fraude à la loi

La théorie de la fraude à la loi, déjà évoquée comme exemple déviant de la modification de l'élément de rattachement (V. supra, n° ), a été fondée par le célèbre arrêt Princesse de Bauffremont 1536415801599.
On rappellera que dans cette affaire, le prince et la princesse de Bauffremont, de nationalité française, étaient séparés de corps judiciairement. La princesse souhaitait pouvoir se remarier avec le prince de Bibesco. Or, à cette époque, le droit français ne permettait pas à un époux dans cette situation juridique de divorcer. Elle décida donc de fixer son domicile dans le Duché de Saxe-Altenbourg afin d'y obtenir la nationalité allemande. Le droit allemand lui ouvre le divorce. Elle peut donc épouser le prince Bibesco. Cependant, les tribunaux français, saisis par le prince de Bauffremont, décident que les actes faits en fraude de la loi française (acquisition de la nationalité) ne lui étaient pas opposables et le second mariage est annulé.
L'arrêt Lafarge du 17 mai 1983 1536415835099a précisé la notion. Pour qu'il y ait fraude, il faut que les parties aient « volontairement modifié un rapport de droit dans le seul but de le soustraire à la loi normalement compétente ».
Trois éléments sont nécessaires.
L'élément matériel : la manipulation d'un élément de rattachement, tel que la nationalité ou la résidence habituelle ainsi que cela a été le cas dans l'affaire Princesse de Bauffremont. Il peut également résulter de la manipulation de la qualification d'un bien. Ce fut le cas d'affaire Caron 1536415870745. M. Caron, de nationalité française, domicilié aux États-Unis, possède notamment des immeubles en France. À cette époque, la loi applicable était la loi du dernier domicile pour les meubles, et la loi de situation pour les immeubles. Afin d'échapper à la réserve héréditaire connue en droit français, M. Caron apporte les immeubles à une société civile immobilière, afin que les parts sociales, biens meubles, se trouvent soumises à la loi du dernier domicile, les États-Unis, qui ne connaissent pas la réserve. La Cour de cassation a retenu en l'espèce la fraude à la loi, par la modification de l'élément de rattachement dans le seul but d'éluder l'application de la loi compétente.
L'élément intentionnel : la démarche est entreprise dans le seul but d'échapper à la loi normalement applicable.
L'élément légal : le fraudeur cherche à échapper à une disposition du droit du for (interdiction de divorce dans le cas de l'affaire Princesse de Bauffremont) ou à une disposition du droit étranger applicable selon les règles de conflit de lois.
La sanction de la fraude est en principe l'inopposabilité de l'acte frauduleux 1542450248305. Mais cette sanction est quelquefois inappropriée, notamment lorsque la situation est constituée et que l'intérêt d'un tiers est en jeu.
À noter qu'aujourd'hui, dans un contexte d'européanisation, cette notion est de plus en plus difficile à cerner. D'une part, le principe de l'autonomie de la volonté est largement pris en compte dans les règlements européens. D'autre part, le principe de la libre circulation entre États membres est protégé. La mobilité est la règle. Or, la fraude est également fondée sur la notion de mobilité. Il faudra donc insister plus particulièrement sur l'élément intentionnel, qui, dans le cas d'une fraude à la loi, a une place prépondérante. En tant que notaire, il est néanmoins essentiel de prendre en compte cette notion et d'être vigilant dans son activité quotidienne.
Le raisonnement conflictuel peut au besoin être corrigé. Dans certaines situations, il n'est pas du tout mis en œuvre. En amont de tout raisonnement conflictuel, des méthodes concurrentes sont adoptées.
L'une ou les deux parties obtiennent l'application d'une loi étrangère qui, en principe, n'est pas compétente. Des époux français changent de nationalité et obtiennent un jugement de divorce dans un pays étranger alors qu'en France le divorce était interdit et que la loi applicable au divorce était la loi nationale. Il y a une intention de fraude qui s'accompagne souvent d'un forum shopping. Pour refuser de reconnaître ces jugements, il convient de vérifier la loi appliquée par le juge étranger. Or, cette vérification n'existe plus en droit français.
Cette fraude ne pourra être invoquée qu'au moment de la reconnaissance du jugement, en tant que fraude au jugement.
Le deuxième correctif à l'application de la loi étrangère réside dans la volonté manifeste des clients de contourner la loi française par la modification volontaire d'un élément de rattachement comme par exemple un changement de nationalité ou de résidence habituelle.
La fraude repose sur deux éléments qui la caractérisent, s'agissant d'un élément matériel (changement de résidence habituelle) combiné à un élément intentionnel (la volonté de déshériter, par exemple) 1543310602439.
Rien ne sera plus difficile pour le notaire confronté à un dossier dans lequel les parties entendent frauder que de déceler l'aspect psychologique qui sous-tend les éléments du dossier.
Outre les correctifs traditionnels qui relèvent du droit international privé général, le notaire peut rencontrer une difficulté spécifique à la recherche du contenu du droit étranger l'impossibilité matérielle ou technique d'y accéder.
En droit international privé, la fraude à la loi repose sur une modification de l'élément de rattachement qui détermine la loi applicable dans le seul but de soustraire la situation à l'application de celle-ci pour échapper à une disposition nationale défavorable.
Pour que la fraude soit caractérisée, il faut la réunion de trois éléments :
  • un élément matériel qui consiste en la modification de l'élément de rattachement ;
  • un élément moral : il faut caractériser la volonté de fausser la règle de conflit ;
  • un élément légal : une personne recherchant l'application d'une loi plus favorable tente par conséquent d'échapper à la loi dont l'application de la règle de conflit aboutit à la désignation.
On ne distingue plus selon que cette manœuvre aboutit à l'application ou à l'éviction de l'application de la loi française.
En matière successorale, dans le cadre de décès intervenus avant l'entrée en vigueur du règlement « Successions », la fraude à la loi a été caractérisée dans l'arrêt Caron 1539611673538, affaire au cours de laquelle un bien immobilier a été régulièrement ameubli dans le seul et unique but d'éviter l'application de la réserve héréditaire prévue par la loi française qui devait normalement s'appliquer conformément à une utilisation régulière de la règle de conflit.
Une telle fraude demeure exceptionnelle en ce qu'en l'espèce, la fraude aux droits des héritiers réservataires était flagrante (il existait en l'espèce une preuve tangible de l'intention fraudeuse).
Il convient de ne pas considérer systématiquement que l'apport ou la vente d'un immeuble situé en France à une société française ou étrangère constitue une fraude à la loi, dans la mesure où ce type d'opérations peut être motivé valablement par des circonstances familiales, économiques ou fiscales découlant notamment d'une stratégie d'estate planning 1539611712384.
Notamment, la Cour de cassation l'a récemment rappelé dans les arrêts Jarre et Colombiers, dont il sera question ci-après 1540060523057.
L'entrée en application du règlement (UE) n° 650/2012, qui conduit à ne plus opérer de distinction entre les biens mobiliers et les biens immobiliers dépendant de la succession, comme il sera expliqué ci-après, suscite nécessairement des interrogations sur la possibilité de voir en pratique intervenir une fraude à la loi.
En effet la jurisprudence, en matière successorale, ne vise à ce jour qu'une manipulation, sans infraction légale, des critères de rattachement ayant pour but de faire migrer un bien de nature immobilière vers une nature mobilière pour échapper à une loi plus défavorable qui serait normalement applicable.
Ainsi la fraude à la loi, en matière successorale, ne pourrait aujourd'hui être caractérisée que par un déplacement de résidence habituelle ou un choix de nationalité, réalisé légalement, dans le seul but de soustraire la succession du défunt à la loi normalement compétente.
Mme Marie-Laure Niboyet et M. Géraud de Geouffre de la Pradelle précisent que « l'exception de fraude à la loi est donc un instrument judiciaire de moralisation des comportements des parties pour empêcher que celles-ci ne profitent de la dimension internationale de la situation pour se jouer de l'autorité des lois » 1539611741082.
Les hypothèses de fraude à loi aboutissent à une application immédiate de la loi contournée par la fraude, et sont à ce jour extrêmement rares.
Beaucoup plus fréquemment intervient un autre correctif : le renvoi.

Les méthodes concurrentes

Les lois de police

Les lois de police, encore appelées « lois d'application immédiate » ou « d'application impérative », désignent l'application d'une loi à une situation internationale, sans passer par l'application des règles de conflit de lois. Le raisonnement conflictuel est exclu a priori.
Phocion Francescakis (1910-1992) 1531576523387a donné une définition fondée sur le contenu de ces lois : « lois dont l'observation est nécessaire pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale et économique du pays ». Ces lois seront d'application impérative, quelles que soient les circonstances de l'espèce. Ces lois de police s'expliquent par la finalité qu'elles poursuivent, et non par la matière dans laquelle elles interviennent. C'est le plus souvent à la jurisprudence de la déterminer. Généralement, une loi est qualifiée de police dans des domaines où le juge a voulu protéger une partie faible, comme le salarié, le consommateur, en matière de sous-traitance 1531641858046ou encore dans les domaines où le juge a souhaité assurer le respect de certaines politiques législatives. Ainsi, les règles du régime primaire défini par les articles 212 et suivants du Code civil ont été qualifiées de « règles d'application territoriale » 1531642154320. Par exemple, l'article 146-1 du Code civil oblige la présence de deux époux pour leur mariage. Cette règle a pour objectif de lutter contre la pratique des procurations.
En 1999, la Cour de justice de l'Union européenne 1531640146404a précisé la notion de loi de police en utilisant le terme « cruciale » aux lieu et place de « nécessaire » dans la définition de Francescakis. La définition des lois de police semble donc aujourd'hui plus restrictive. Leur application doit rester étroite afin de ne pas remettre en cause le système entier des règles de conflit de lois 1531576666314.
Par ailleurs, le droit de l'Union européenne a quelque peu modifié l'approche fonctionnelle des lois de police. En effet, la Cour de justice de l'Union européenne se pose préalablement la question de savoir si l'application d'une loi de police n'est pas susceptible de contrarier les libertés communautaires. En cas d'atteinte disproportionnée aux objectifs des traités, si celle-ci constitue un obstacle limitant la libre circulation des personnes, des services ou des marchandises, les lois de police ne pourront pas s'appliquer.
Les règles de droit communautaire sont parfois elles-mêmes identifiées comme des lois de police européennes. L'arrêt Ingmar de la Cour de justice de l'Union européenne a octroyé une telle portée impérative à une disposition protectrice de l'agent commercial issue d'une directive 86/653/CEE du Conseil 18 décembre 1986 1531642800804.
À noter que le règlement Rome I du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles prévoit que lorsqu'une situation contractuelle internationale ne possède de liens qu'avec les pays membres de l'Union, toutes les dispositions impératives issues du droit de l'Union européenne s'appliquent, même si les parties ont choisi de soumettre leur relation à la loi d'un État tiers 1531643428332en se référant à la notion d'intérêts publics.
L'article 30 du règlement n° 2016/1103 1535904532919précise que l'application de la loi désignée peut être évincée par le jeu des lois de police. Le règlement (contrairement à la Convention de La Haye de 1978 et à d'autres règlements en matière familiale) pose une définition de la loi de police.
Au titre du règlement, certaines dispositions du régime primaire français sont susceptibles d'être qualifiées de loi de police 1535905215341.
Ces dispositions seront directement applicables dès lors que la situation présente un rattachement avec la France, et ce même si le régime matrimonial est régi par une loi étrangère. Ce sera notamment le cas de l'article 215, alinéa 3 du Code civil sur la protection du logement de la famille : il s'appliquera si ce logement est situé en France et sans considération de la loi par ailleurs applicable au régime matrimonial.

Les règles matérielles

Ces règles tranchent directement les questions de droit privé au fond. Le raisonnement conflictuel n'est pas utile. Ces règles restent encore très marginales, mais certaines dispositions du droit positif français, internes ou internationales, sont aujourd'hui qualifiées de règles matérielles.
En droit interne, le droit matériel est issu de la loi ou de la jurisprudence.
Est notamment qualifiée de droit matériel interne issu de la loi, la législation sur la nationalité et la condition des étrangers 1540566821424. Les articles 171-1 et suivants du Code civil sur les mariages des Français à l'étranger 1540566862572, ou l'article 311-15 du Code civil qui permet l'application directe des dispositions françaises sur la possession d'état en matière d'établissement de la filiation lorsque les parents et l'enfant ont leur résidence en France 1540566930371.
Quelques rares arrêts de la Cour de cassation énoncent des règles qualifiées de « matérielles ». Il s'agit de l'arrêt Messagerie Maritimes 1531645160630qui a validé la liberté de choix de la monnaie de compte dans un contrat international, ou encore de l'arrêt Galakis 1531645297104, qui a décidé que la prohibition de compromettre qui existe pour les personnes morales de droit public en droit interne n'est pas applicable pour les contrats internationaux.
En droit notarial, le seul exemple de règle matérielle est le certificat successoral européen 1544380858358.
Au niveau international, diverses conventions édictent des règles matérielles, notamment dans le domaine du commerce international par l'application de la lex mercatoria 1544380883628, ou encore par la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises.
Ces règles d'origine étatique ou adoptées au niveau international se sont répandues dans toutes les matières de droit privé et pas seulement dans celles qui se trouvent à la lisière du droit privé et du droit public.