La mutabilité automatique

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

La mutabilité automatique

Les époux concernés

Si la mutabilité volontaire concerne les époux mariés avant ou après le 1er septembre 1992, la mutabilité automatique elle, ne s'applique qu'aux époux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019.
Cette mutabilité automatique n'est pas non plus applicable aux époux, même mariés entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019, qui ont signé un contrat de mariage ou ont choisi la loi applicable à leur régime matrimonial.
Cependant, si les époux ont fait un choix de loi applicable seulement pour une partie de leurs biens (immeubles par exemple), la mutabilité automatique s'appliquera pour les autres biens dont la loi applicable n'a pas été désignée.
Il est à noter que cette mutabilité automatique peut se produire même après l'entrée en vigueur du règlement, concernant des époux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 29 janvier 2019.

À quel moment ?

Dans les cas où la mutabilité automatique s'applique, c'est la loi de l'État dans lequel les époux ont fixé leur résidence habituelle qui va se substituer aux lieu et place de la loi à laquelle leur régime matrimonial était antérieurement soumis. Cette mutabilité automatique est toutefois encadrée dans trois hypothèses.
Premièrement, la mutabilité automatique est prévue dans le cas où les époux fixent leur résidence habituelle dans l'État dont ils ont la nationalité commune, ou dès qu'ils acquièrent la nationalité de cet État.
Cette règle concerne donc les couples immigrés qui retournent dans leur pays d'origine ou qui prennent la nationalité de leur pays de résidence.
Ainsi deux époux de nationalité française, qui avaient leur première résidence habituelle commune au Luxembourg où ils se sont mariés sans contrat le 5 mai 1995, se trouvaient soumis au régime légal luxembourgeois. Quatre ans après leur mariage, en raison de leur déménagement pour la France, ils se retrouvent donc soumis automatiquement au régime légal français, loi de leur nationalité commune, et ce sans délai.
Me Richard Crône a précisé à ce sujet : « Ce que les rédacteurs de la Convention ont entendu privilégier est ici la convergence entre résidence et nationalité » 1528969460231.
Deuxièmement, le régime matrimonial des époux est également automatiquement modifié si, après le mariage, les époux ont fixé leur résidence habituelle depuis plus de dix ans dans un autre État : la loi de cet État est alors applicable.
Ainsi, un couple ayant eu sa première résidence habituelle commune en France au moment de son mariage se retrouve automatiquement soumis à un autre régime s'il déménage dans un autre pays (en Espagne par exemple) et y réside durant dix ans, au terme de cette période. La loi applicable à leur régime matrimonial est automatiquement modifiée et c'est la loi espagnole qui s'applique à leur régime matrimonial, à compter du premier jour qui suit l'expiration du délai de dix ans.
Troisièmement, si des époux, au moment du mariage, n'ont pas établi de résidence habituelle dans le même État, leur régime matrimonial est soumis à leur loi nationale commune en vertu de l'article 4, alinéa 2, 3° de la Convention de La Haye du 14 mars 1978. Cependant, dès lors que les époux définissent leur résidence habituelle, la loi de l'État de leur résidence habituelle se substitue à la loi anciennement applicable 1528969544799.
Ainsi, deux époux de nationalité anglaise se marient le 28 octobre 2012 sans contrat de mariage au Portugal mais n'ont, au moment de leur mariage, pas de résidence commune habituelle : l'un habite au Portugal et l'autre en Angleterre. C'est la loi de leur nationalité commune qui s'applique, soit la loi anglaise. Puis l'époux qui habitait en Angleterre rejoint son conjoint au Portugal. Leur première résidence habituelle étant située au Portugal, les époux sont désormais soumis au régime légal portugais.
C'est ce qu'a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 12 février 2014 1528969721625 : il s'agissait d'un couple turc marié en 1997, dont monsieur avait sa résidence habituelle en France et madame était restée dans son pays d'origine après le mariage. Un an après le mariage, madame déménage en France. En 2006, une instance en divorce est introduite en France. Bien que les époux n'aient pas soulevé la mutabilité automatique de la loi applicable à leur régime matrimonial, la cour d'appel de Colmar a appliqué l'article 7 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 pour en déduire que le régime matrimonial des époux avait été soumis à la mutabilité automatique. L'époux forme un pourvoi en cassation arguant que les époux n'étaient pas tous deux Français et qu'ils n'avaient pas tous deux résidé en France plus de dix ans afin d'écarter la mutabilité automatique. La Cour de cassation rejette le pourvoi et décide que « la cour d'appel a exactement décidé, hors toute dénaturation, qu'à la suite de l'arrivée en France de l'épouse, la loi française était applicable, pour l'avenir, à leur régime matrimonial ».
Ainsi, dans cette espèce, il y aura lieu d'effectuer deux liquidations :
  • une liquidation du régime légal turc au moment de l'installation de madame en France ;
  • et une liquidation du régime légal français au moment du divorce.
Dans cette affaire, une seconde mutabilité automatique a été évitée. En effet, depuis la réforme du Code civil turc du 22 novembre 2001 entrée en vigueur le 1er janvier 2002, le régime légal turc n'est plus le régime de la séparation de biens, mais celui de la participation aux acquêts. Dans le cadre de cette réforme, si les époux mariés avant le 1er janvier 2002 n'avaient pas fait de déclaration d'option dans le délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la loi, ils étaient automatiquement soumis au nouveau régime légal turc, sans rétroactivité. Ainsi, si l'épouse s'était installée en France après le 1er janvier 2002, les époux auraient été soumis à trois régimes différents : séparation de biens, puis participation aux acquêts, puis communauté d'acquêts.
Pour anticiper ces risques, le notaire a pu conseiller à des époux mariés sans contrat entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019 de désigner la loi applicable à leur régime matrimonial.
Rappel des situations pouvant entraîner une mutabilité automatique :
  • les époux de même nationalité se sont mariés sans avoir de résidence habituelle commune, et souhaitent déménager afin de fixer leur résidence habituelle dans un seul État ;
  • les époux ont la même nationalité, mais ont leur résidence habituelle dans un État étranger à leur nationalité commune. Ils font part de leur souhait de déménager prochainement dans leur État d'origine ;
  • les époux se sont mariés dans un État et y ont habité pendant plusieurs années puis ont déménagé ensemble dans un autre État depuis bientôt neuf ans.
Il conviendra dans ces situations de procéder à la désignation de la loi applicable.

Effets de la mutabilité automatique

En vertu de l'article 8 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978, le changement automatique ne vaut que pour l'avenir. Ainsi, lors de la liquidation du régime matrimonial des époux, « il convient de procéder à une double liquidation du régime matrimonial, sous l'empire de lois distinctes ». La mutabilité automatique a donc un effet immédiat mais non rétroactif 1528969993977.

Quid après le 28 janvier 2019 ?

La mutabilité automatique du régime matrimonial instaurée par la Convention de La Haye du 14 mars 1978 a été qualifiée de « bombe à retardement » 1528970082351. En effet, les États tiers à la convention ne connaissent pas cette mutabilité automatique et il peut en résulter des situations « boiteuses » 1528970114799.
Par ailleurs, le cas de mutabilité automatique prenant effet dix ans après que les époux ont fixé leur résidence habituelle dans un État peut se réaliser plusieurs fois si le couple est amené à déménager à plusieurs reprises. Il faudrait alors liquider successivement trois ou quatre régimes matrimoniaux. À cela s'ajoute le fait que les praticiens rencontrent des difficultés pour fixer le point de départ du délai de dix ans et que les documents permettant d'établir avec certitude le patrimoine des époux à une date trop lointaine font souvent défaut.
Le considérant 46 du préambule du règlement n° 2016/1103 précise : « Afin d'assurer la sécurité juridique des transactions et d'empêcher que des modifications de la loi applicable au régime matrimonial soient introduites sans que les époux en soient informés, aucun changement de la loi applicable au régime matrimonial ne devrait intervenir sans demande expresse des parties ».
Autrement dit, le principe est désormais celui de la permanence du rattachement. Ce principe est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation avant la convention de La Haye. Par exemple, elle a pu juger, s'agissant d'époux mariés en Arménie en 1970 sous le régime arménien de la séparation de biens qui se sont ensuite établis en France, dont ils ont acquis la nationalité, que « s'agissant d'époux mariés avant l'entrée en vigueur de la Convention de La Haye du 14 mars 1978, le rattachement du régime matrimonial légal ou conventionnel à la loi choisie par les époux est permanent et qu'un changement de leur nationalité est sans effet à cet égard » 1528970202097.
La doctrine se félicite de la suppression de la mutabilité automatique. Pour autant, cette mutabilité automatique ne disparaît pas pour les époux qui se sont mariés sans contrat entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019.
Le notaire devra continuer, après l'entrée en application du règlement du 24 juin 2016, à détecter toute mutabilité automatique possible pour les époux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019.