Dans l'arrêtEstima Jorgec/ Portugal, la Cour européenne des droits de l'homme a eu à se prononcer sur l'existence ou l'absence de hiérarchie entre la force exécutoire d'un acte notarié et la force exécutoire d'un jugement.
Dans cette affaire, MmeEstima Jorge consentit en 1978 à un couple, par acte notarié, un prêt garanti par une hypothèque prise sur un immeuble. Ce prêt n'a pas été remboursé. Elle introduisit le 27 novembre 1981 devant le tribunal de Lisbonne une procédure d'exécution en remboursement du prêt hypothécaire et des intérêts. Après plusieurs rebondissements étalés dans le temps (dont une adjudication en 1985, annulée à la demande des services fiscaux), le bien objet de l'hypothèque a finalement fait l'objet d'une procédure de saisie fiscale. Il a été vendu en 1989 sur saisie à la requête des services fiscaux portugais, avant que Mme Estima puisse voir aboutir sa procédure d'exécution sur saisie démarrée dès 1981. Et ce n'est que le 8 janvier 1993 que le tribunal fiscal saisit le produit restant, et le 29 novembre 1994, que la requérante reçoit une somme correspondant au dédommagement, bien moindre que ce qu'il avait été prévu au contrat de prêt. Elle saisit la Cour le 27 octobre 1993, et lui demande de conclure à la violation de l'article 6, § 1, et de condamner l'État à l'indemniser.
Avec l'affaireEstima Jorge, la Cour a l'occasion pour la première fois de connaître une procédure litigieuse qui ne porte pas sur un jugement, mais sur un autre titre exécutoire, à savoir un acte notarié garantissant une créance déterminée. De ce fait, la procédure litigieuse ne visait que le recouvrement de la créance, et non sa contestation. Par conséquent, la Cour indique que :
- l'esprit de la Convention commande de ne pas prendre le terme « contestation » dans une acception trop technique et d'en donner une définition matérielle plutôt que formelle ;
- elle a déjà considéré que c'est au moment où le droit revendiqué trouve sa réalisation effective qu'il y a détermination d'un droit de caractère civil ;
- quelle que soit la nature du titre exécutoire, jugement ou acte notarié, la loi portugaise en confie l'exécution, selon une procédure identique, aux tribunaux judiciaires. Cette procédure d'exécution a été déterminante pour la réalisation effective du droit de la requérante. Partant, l'article 6, § 1 trouve à s'appliquer ;
- au vu des circonstances de la cause, qui commandent une évaluation globale, elle estime qu'un laps de temps de treize ans pour obtenir une décision définitive sur une demande fondée sur un titre exécutoire ne peut passer pour raisonnable. Il y a donc eu violation de l'article 6, § 1.
Il résulte de ce qui précède que l'acte notarié contenant la formule exécutoire a la même valeur juridique qu'un jugement, et que la loi portugaise qui impose dans l'accomplissement des voies d'exécution une procédure exclusivement réservée aux tribunaux judiciaires n'y change rien : le titre de créance en la forme notariée, dans la mesure où il constate en son sein la reconnaissance de la dette par le débiteur, emporte pleine et totale force exécutoire.
Certains auteurs ont même pu en déduire que « du point de vue du droit européen des droits de l'homme, cette assimilation du notaire à un juge gardien de l'authenticité des actes ouvre des perspectives remarquables. Par référence à l'article 6 § 1, elle permet d'envisager un droit à un notariat équitable (...). L'article 6 § 1 comprend aussi un droit d'accès au notaire »
1520175521906.
Au-delà de l'analyse de la force exécutoire de l'acte notarié, la Cour a eu l'occasion de se prononcer sur le statut du notaire, en particulier sur deux des caractéristiques qui y sont attachées : l'impartialité et le devoir de conseil.