Le partage « vertical » de la valeur du logement : techniques de démembrement par création de droits réels

Le partage « vertical » de la valeur du logement : techniques de démembrement par création de droits réels

En partageant le poids de l’accession
– Contexte économique. – De nombreux territoires font face à un marché du logement qualifié de « tendu » pour signifier que, dans ces secteurs géographiques, l’offre de logements reste inférieure à la demande. Il en résulte que le logement, et particulièrement l’acquisition du logement, devient difficilement accessible pour un grand nombre de ménages. Dans ce contexte sont apparues des solutions de partage du poids économique de l’accession au logement reposant sur un droit différent de la location ou de l’acquisition de la pleine propriété. Ces solutions mettent en œuvre des techniques que le juriste qualifie de « démembrement » lorsque l’économiste parle, lui, de « dissociation ». Il convient d’insister sur le fait que le terme « dissociation », utilisé dans ce contexte, doit rester cantonné au champ économique. On peut se représenter ces techniques comme opérant un « partage vertical », qui place au-dessous de l’accédant un acteur financier, titulaire d’un droit différent et complémentaire, dont la mission est généralement le portage économique d’une partie de la valeur du logement (souvent considérée comme étant la valeur foncière). Pour l’accédant, le prix du logement est alors décoté, ce qui est juridiquement justifié par le fait qu’il n’est pas pleinement propriétaire de son logement, mais seulement titulaire d’un droit réel immobilier qui lui a été conféré par le propriétaire. Ce droit réel peut trouver son origine dans une acquisition effectuée, ab initio, en démembrement de propriété. Il peut aussi naître d’un contrat spécifique, en l’occurrence un bail constitutif de droit réel.
– Usufruit et droit d’usage et d’habitation. – Les premiers droits réels qui viennent à l’esprit sont l’usufruit et le droit d’usage et d’habitation, modèles bien connus proposés par le Code civil. D’un point de vue financier, ces démembrements autorisent une répartition du prix d’acquisition du logement entre usufruit et nue-propriété. L’évaluation de ces droits peut être faite soit selon le barème fiscal, qui est simple mais manque de précision, soit en utilisant une méthode dite « évaluation économique » de l’usufruit, qui intègre notamment les différences d’espérance de vie entre hommes et femmes et le taux de rendement réel du bien concerné. Il s’agit bien d’un procédé d’accession au logement, puisque l’usufruitier peut occuper le logement ; toutefois, le droit réel et cessible dont il est titulaire a vocation à s’éteindre. Aussi, si l’objectif est de permettre une accession progressive à la propriété « complète », il faut lui adjoindre d’autres mécanismes conférant à l’usufruitier une option d’achat de la nue-propriété. Nous étudierons cette idée dans un premier chapitre (Chapitre I).
– Baux constitutifs de droits réels. – Les baux constitutifs de droits réels sont un autre mode de création de tels droits particuliers. Lorsque l’opération est envisagée ab initio pour accompagner une accession, le bailleur s’approprie un immeuble, non pour conclure avec l’accédant une vente en pleine propriété, mais pour lui conférer un bail constitutif de droits réels lui permettant d’accéder à un logement. Dans cette hypothèse, le prix de l’accession est, logiquement, décoté pour l’accédant titulaire d’un simple droit réel et non d’un droit de propriété. La décote correspond à la valeur des droits réservés par le bailleur (les économistes diraient « à la valeur portée » par le bailleur). On peut regrouper ces contrats en deux catégories. D’une part, les classiques : baux emphytéotiques, baux à construction et baux à réhabilitation, qui tous présentent certaines limites (Chapitre II). D’autre part, les modernes : le bail réel immobilier relatif au logement (Brilo), et le bail réel solidaire (BRS) qui semble promis à un bel avenir (Chapitre III).
Un récent dossier sur les constructions sur sol d’autrui fait un point intéressant sur le sujet, et pose la question d’une « certaine forme de rationalisation » du régime de ces baux constitutifs de droit réel, constituant une technique performante de valorisation du patrimoine immobilier, apte également à répondre à la problématique de l’accès à la propriété à prix réduit.
L’usufruit comme outil d’accession progressive à la propriété
– Présentation. – Un ménage accédant achète l’usufruit (ou un droit d’usage et d’habitation) pour une durée fixe (disons vingt ans pour les besoins de la réflexion), la nue-propriété restant appartenir à une société d’investissement. En termes économiques, on dit que la société assure le « portage » d’une partie de la valeur du logement.
Les baux constitutifs de droits réels classiques
L’intérêt et la perfectibilité des nouveaux baux constitutifs de droit réel
Le constat étant fait des limites des baux constitutifs de droits réels classiques, deux nouveaux baux basés sur le même concept ont été successivement créés par le législateur : le bail réel immobilier relatif au logement (Brilo) (Section I), qui n’a rencontré que fort peu de succès, puis le bail réel solidaire (BRS) (Section II) dont les acteurs du logement s’emparent si massivement sur l’ensemble des territoires que certains y voient l’avenir du logement social.