– Rappel : définition de l’usufruit. – L’usufruit est défini comme « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance ». L’usufruitier d’un immeuble a le droit de l’occuper ou de le louer mais non celui d’en disposer. Il peut seulement disposer de son usufruit.
Durée de l’usufruit
Durée de l’usufruit
La durée viagère de l’usufruit, un obstacle financier
– Extinction légale de l’usufruit. – L’article 617 du Code civil, auquel il est également renvoyé en matière de droit d’usage et d’habitation, dispose que l’usufruit s’éteint :
- par la mort de l’usufruitier ;
- par l’expiration du temps pour lequel il a été accordé ;
- par la consolidation ou la réunion sur la même tête, des deux qualités d’usufruitier et de propriétaire ;
- par le non-usage du droit pendant trente ans ;
- par la perte totale de la chose sur laquelle l’usufruit est établi.
L’article 619 du Code civil dispose que l’usufruit qui n’est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans. L’article 620 dispose quant à lui qu’il est possible d’accorder un usufruit jusqu’à ce qu’un tiers ait atteint un âge fixe, cet usufruit durant alors jusqu’à cette époque même si le tiers meurt avant l’âge fixé. Cet article ne permet pour autant pas de déroger au caractère viager de l’usufruit qui s’éteint en tout état de cause au décès de l’usufruitier.
Ainsi, par principe, l’usufruit ne peut pas être constitué de manière absolue, « détachée » de son titulaire. Si l’acquéreur est une personne morale, l’usufruit ne peut durer plus de trente ans. Si l’acquéreur est un particulier, l’usufruit est soit viager, soit d’une durée fixe plus courte. Or, ce caractère viager de l’usufruit affecte le dispositif étudié d’une difficulté financière.
– Difficulté liée au caractère viager de l’usufruit consenti à une personne physique. – L’acquéreur d’un usufruit temporaire doit bien avoir à l’esprit que même lorsqu’il est constitué pour une durée fixe, l’usufruit est toujours un droit viager. Il ne survivra pas à l’accédant en cas de décès prématuré.
Comprendre et bien faire comprendre les particularités liées à l’acquisition d’un usufruit constitué pour une durée fixe
Le rôle pédagogique du notaire est, en la matière, tout à fait essentiel. Le client profane (parfois aidé par les arguments de certains commerciaux) peut croire en toute bonne foi acquérir une période de jouissance prédéfinie, sans réaliser que son décès prématuré y mettra fin immédiatement. Le notaire doit donc lui rappeler qu’il acquiert un droit temporaire qui, nonobstant la fixation d’une durée, prendra fin quoiqu’il arrive au jour de son décès.
Pour bien faire comprendre la situation, on peut exposer que, par exemple, si l’usufruitier a acquis et donc payé un droit de jouissance de vingt ans et que, par accident, il vient à décéder au bout d’un an, ses héritiers ne pourront ni poursuivre la jouissance conférée à leur auteur, ni prétendre à une quelconque restitution du prix mis à sa charge.
Éléments de solution
Des éléments de solution se présentent en droit positif (§ I) tandis que des suggestions ont été formulées en droit prospectif (§ II).
Les solutions du droit positif
Elles peuvent résider en la stipulation d’usufruits successifs (A), ou en la constitution d’une société (B).
Constitution d’usufruits successifs
– Une parade possible. – À cet inconvénient est la constitution ab initio d’usufruits successifs. Si le premier usufruitier veut éviter que l’usufruit acquis s’éteigne avec lui dans l’hypothèse où il décéderait avant l’écoulement de la période « acquise », il lui faudra faire acquérir simultanément un ou plusieurs usufruits successifs sur la tête de tiers tels que son conjoint, ses enfants ou des proches. Cela suppose cependant l’identification immédiate de tous les acquéreurs.
Constitution d’une société
– Une solution aux effets limités. – Faire constituer aux accédants une société pour acquérir l’usufruit permet de s’affranchir du caractère viager de ce droit, qui est propre aux personnes physiques. L’accédant serait alors titulaire de parts sociales librement cessibles et transmissibles. Mais, outre une complexité accrue, cette solution se heurte à deux autres limites : d’une part, la limite temporelle des trente ans, fixée à l’article 619 du Code civil ; d’autre part, la restriction au seul usufruit, le droit d’usage et d’habitation ne pouvant avoir pour titulaire qu’une personne physique, seule apte à utiliser et habiter le bien qui en fait l’objet. Elle implique enfin l’intervention de deux associés au moins lors la constitution de la société.
Les suggestions du droit prospectif
Une brève réflexion prospective fait entrevoir deux possibilités d’évolution, l’une sur un fondement jurisprudentiel (A), l’autre pouvant résulter d’une adaptation de la législation (B).
Évolution possible en direction du droit réel de jouissance spéciale
– Fondement jurisprudentiel. – Dans un arrêt du 28 janvier 2015, la Cour de cassation indique : « Lorsque le propriétaire consent un droit réel, conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien, ce droit, s’il n’est pas limité dans le temps par la volonté des parties, ne peut être perpétuel et s’éteint dans les conditions prévues par les articles 619 et 625 du Code civil ». Cet arrêt a été suivi du fameux arrêt dit Maison de Poésie II
qui pose quant à lui qu’un droit réel de jouissance spéciale consenti à une fondation est doté d’une durée déterminée et donc valable dès lors qu’il est prévu précisément pour la durée de la fondation. Il en résulte que, par le biais des droits réels de jouissance spéciale, il serait possible de déroger, par une clause claire, aux principes posés par les articles 619 (usufruit) et 625 (droit d’usage et d’habitation) du Code civil, mais à condition toutefois, si ce droit réel de jouissance spéciale octroie des utilités proches de celles d’un usufruit (et non d’une servitude), que ce droit reste limité dans le temps.
– Un usufruit à durée fixe mais non viagère. – Il convient d’être prudent quant à la portée de cette jurisprudence. Elle signifie clairement que lorsque le titulaire du droit de jouissance spéciale est une personne morale, la durée de ce droit n’est pas enfermée dans la limite de trente ans imposée par l’article 619 du Code civil dans le cas d’un usufruit. La question se pose alors en doctrine de savoir s’il serait possible d’aller au-delà, et d’imaginer, par exemple, un droit réel de jouissance stipulé au profit d’une personne physique, pour une durée fixe (dans notre exemple, de vingt ans) et non viagère. L’avantage résiderait évidemment dans la transmissibilité du droit de jouissance spéciale ainsi créé aux héritiers, pour la durée restant à courir, en cas de décès prématuré de son titulaire. Certains auteurs ouvrent la porte à la validation de telles conventions. Pour autant, la doctrine majoritaire reconnaît que la question présente encore d’importantes incertitudes dont la pratique ne peut guère se satisfaire, puisque c’est là le point clé du dispositif envisagé… et de son financement !
Création, par la loi, d’un usufruit sans caractère viager
– Institution d’un usufruit non viager. – Reste une possibilité, peu étudiée à ce jour. Il s’agirait, au prix d’une réforme du Code civil, de permettre la constitution d’un usufruit à durée fixe, mais dépourvu de caractère viager. Les parties devraient, par une clause claire et précise, écarter conventionnellement cette caractéristique de l’usufruit, qui deviendrait alors transmissible à titre gratuit ou onéreux, pour la durée restant à courir au jour de la transmission.
L’option d’achat de la nue-propriété
– Schéma à l’attention des rédacteurs. – Dans la logique de notre réflexion, destinée à favoriser l’accession progressive à la propriété, une option d’achat de la nue-propriété viendra compléter l’usufruit constitué. Le délai de rétractation accordé aux acquéreurs non professionnels n’est pas à nouveau applicable, les modalités de levée d’option ayant été prévues dès le contrat initial, seul à donner lieu à leur application.
Clause d’option pour l’acquisition de la nue-propriété accompagnant l’acquisition de l’usufruit d’un logement
Schéma rédactionnel
1. Date d’option : à tout moment, sauf la contrainte du délai de cinq ans pour demander une prorogation de l’usufruit dans le cas d’un montage avec SCI (pour ne jamais dépasser la durée de trente ans de l’article 619 du Code civil). Des contraintes particulières pourront être ajoutées selon le modèle financier du nu-propriétaire, telles que la suppression de l’option après une certaine durée.
2. Modalités d’option : mécanisme de courrier recommandé avec avis de réception, suivi de la signature d’un acte authentique – clauses de déchéance (contre l’usufruitier) ou d’exécution forcée (contre le nu-propriétaire) à prévoir en cas d’inaction après mise en demeure.
3. Prix : il doit être déterminé ou déterminable. La fixation d’un prix ab initio qui suivrait l’évolution d’un indice est possible. L’indice Insee Notaires pourrait être retenu.