Le bail à construction

Le bail à construction

– Création. – Autre outil de dissociation économique de la valeur de l’immeuble, le bail à construction, créé par la loi no 64-1247 du 16 décembre 1964, est défini à l’article L. 251-1 du Code de la construction et de l’habitation comme « le bail par lequel le preneur s’engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d’entretien pendant toute la durée du bail ». C’est donc principalement un outil permettant la construction de bâtiments sur sol d’autrui, c’est-à-dire, pour rester dans le champ de ce rapport, plutôt un outil permettant l’accession à des logements neufs à prix réduit, dans la logique du portage économique que permettent les baux constitutifs de droit réel.
– Un outil tourné vers l’accession sociale. – Son application à l’accession sociale à la propriété de logements a été envisagée dès l’origine. En témoignent les alinéas 3 et 4 de l’article L. 251-1 du Code de la construction et de l’habitation qui disposent :
« Il est conclu pour une durée comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans. Il ne peut se prolonger par tacite reconduction.
Toutefois, lorsque le bail prévoit une possibilité d’achat du terrain par le preneur dans le cadre d’une opération d’accession sociale à la propriété dans les conditions prévues par la section 1 du chapitre III du titre IV du livre IV du présent code et que le preneur lève l’option, le bail prend fin à la date de la vente, nonobstant les dispositions du troisième alinéa ».
Nous verrons néanmoins que cette hypothèse est illusoire pour les immeubles collectifs, et a été abandonnée pour les maisons individuelles fin 2010 avec la suppression du montage dit du « Pass-Foncier ».
Après avoir étudié ses principales caractéristiques (Sous-section I), nous rechercherons en quoi il peut servir la cause de l’accession au logement (Sous-section II).

Caractéristiques

Le bail à construction emprunte au bail emphytéotique deux de ses principales caractéristiques : sa durée et la nature réelle du droit conféré au preneur. Il y ajoute deux obligations du preneur qui l’en distinguent nettement : l’obligation de construire (§ I) puis celle de conserver en bon état d’entretien (§ II) . Il se différencie aussi de son modèle par une plus grande souplesse quant à l’introduction de clauses restrictives du droit de propriété du preneur (§ III), et réserve un meilleur sort aux créanciers hypothécaires (§ IV).

L’obligation de construire du preneur

– Une obligation. – Le bail à construction n’existe que si le preneur contracte une obligation de construire. C’est là l’élément principal du contrat, ce qui suppose que son objet soit détaillé. Une jurisprudence constante indique que cette obligation ne peut se réduire à une simple modalité d’exécution du contrat. Elle doit, au contraire, constituer son objet principal.
– Une construction. – Il faut ensuite qu’il y ait bien construction. Cela semble évident, mais l’importante jurisprudence montre que le sujet n’est pas si simple, les parties pouvant avoir intérêt à faire requalifier un contrat nommé bail à construction en bail de longue durée si elles arrivent à établir l’absence d’un élément constitutif, généralement celui de l’obligation de construire. Une construction est évidemment l’édification d’un immeuble neuf. Ce peut être aussi une réhabilitation lourde, assimilable à la production d’un immeuble neuf. La jurisprudence confirme également la possibilité de conclure un bail à construction sur un volume immobilier dépendant d’un immeuble déjà bâti, dès lors que la réalisation de travaux de construction à l’intérieur de ce volume est possible.
Nature des constructions. Importance des travaux. La destination de l’immeuble et la nature des constructions sont indifférentes, mais l’importance des travaux reste un critère de qualification. La jurisprudence retient principalement leur caractère immobilier et substantiel pour caractériser un bail à construction, et exige en outre que les constructions soient clairement déterminées.

Point d’attention : rédaction d’un bail à construction ne concourant pas à l’édification d’un bâtiment neuf

Un bail à construction peut porter sur des travaux de construction qui ne se matérialisent pas par l’édification d’un bâtiment neuf. Dans un tel cas, son rédacteur veillera à stipuler clairement dans le contrat la nature des travaux à réaliser et à faire ressortir le fait qu’ils en constituent bien l’élément principal.

Bail à construction : de « l’importance… de l’importance » des travaux mis à la charge du preneur !

La notion de « travaux substantiels » a été retenue pour rejeter de simples travaux d’aménagement. À la lecture de ces arrêts, on perçoit l’intérêt de cette qualification qui conditionne elle-même la nature réelle du droit conféré et la licéité de clauses incompatibles avec cette nature réelle. Les résumés JurisData des deux décisions de cour d’appel visées indiquent notamment que :
« C’est en vain qu’est demandée la requalification du contrat de bail à construction en contrat de bail commercial. Le bail à construction suppose, aux termes de l’article L. 251-1 du Code de la construction et de l’habitation, la réalisation de travaux ayant un caractère à la fois immobilier et substantiel. En l’espèce, le bail initial porte sur un terrain de 3 470 mètres carrés et sur deux volumes sans précision de constructions existantes. La qualification de bail à construction donnée par les parties correspond à la définition légale. Par conséquent, suite à la cession du bail à construction, la demande de validation de la clause d’agrément doit être rejetée, puisque cette clause, contraire à l’article L. 251-3 du Code de la construction et de l’habitation, est incompatible avec le droit réel immobilier du preneur sur le bien donné à bail ».
« Le bail doit être qualifié de bail commercial et non de bail à construction. En effet, selon l’article L. 251-1 du Code de la construction, l’obligation principale du preneur dans un bail à construction est l’édification de constructions sur le terrain du bailleur. Or, il ressort de l’examen des stipulations contractuelles que le preneur s’est engagé à réaménager les bâtiments existants en locaux à usage commercial et de bureaux et le permis de construire porte uniquement sur l’aménagement des locaux. Il s’agit donc de travaux de transformations de bâtiments existants sans construction nouvelle, ce qui exclut la qualification de bail à construction. Au surplus, la qualification de bail à construction est contredite par le maintien du loyer à un niveau correspondant à la valeur locative, loyer qui constitue la contrepartie de la jouissance des locaux. Par conséquent, la demande du bailleur tendant à l’exécution de travaux de construction doit être rejetée ».
– Une restriction du champ d’application du bail à construction. – Il résulte de cette jurisprudence que, dans de nombreux cas, le bail à construction ne pourra pas être utilisé. Il est ainsi exclu en cas de travaux de simple réaménagement de bâtiments existants, lesquels relèvent d’un bail à réhabilitation régi par les articles L. 252-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation… à condition qu’un tel bail puisse être conclu, compte tenu de son champ d’application, lui aussi, assez restreint.

Ouvrir le bail à construction aux opérations de réhabilitation ne produisant pas d’immeuble neuf

Compte tenu du champ d’application restreint du bail à réhabilitation, de l’absence de souplesse du bail emphytéotique inadapté à la stipulation de clauses contraignantes pour le preneur, et de l’impossibilité d’utiliser le bail à construction pour de simples réhabilitations, il nous semble utile d’ouvrir le champ du bail à construction à de telles opérations. Le bail à construction serait alors un bail à « obligation de travaux » qui ne produiraient pas un immeuble neuf, mais seraient bien entendu précisément décrits.

L’obligation d’entretenir

– Une obligation indiscutable… et non discutée. – Seconde obligation figurant dans la définition même du bail à construction, l’obligation d’entretien est moins sujette à discussion quant à son influence sur la qualification du contrat. Elle est essentielle, car le principe est le retour des ouvrages édifiés au bailleur en fin de bail. Il faut donc que le preneur conserve ces constructions « en bon état » d’entretien. Toutefois, elle ne se répercute pas sur la qualification du contrat. Sa méconnaissance est seulement susceptible d’entraîner soit la résiliation du bail (lorsque le constat du défaut d’entretien est possible pendant sa durée), soit des dommages et intérêts (notamment lorsque le défaut d’entretien n’est mis en évidence qu’en fin de bail).

Souplesse quant à l’introduction de certaines clauses restrictives

– Principe d’interdiction des clauses restrictives à la libre disposition du droit réel. – S’agissant d’un bail constitutif de droit réel, le principe reste que les clauses restrictives au libre exercice du droit de propriété du preneur ne sont pas autorisées. Néanmoins, l’utilisation du bail à construction permet plus de liberté de ce point de vue que le bail emphytéotique. Elle permet, en particulier, au bailleur de contrôler la nature et la destination des constructions. Il n’y a rien là que de très logique, si l’on se souvient que leur édification forme l’objet principal du contrat. Ainsi, il a notamment été jugé que le bailleur peut limiter l’usage de la construction édifiée par le preneur et dont il est propriétaire, dès lors qu’une clause précisant l’usage auquel l’immeuble à édifier est destiné est insérée dans le contrat. C’est l’une des raisons qui explique l’usage du bail à construction dans les appels à projets innovants visant à la transformation d’immeubles existants.
– Des solutions jurisprudentielles opposées à celles retenues pour le bail emphytéotique. – De manière surprenante, car non cohérentes avec celles retenues en matière de baux emphytéotiques, les positions jurisprudentielles sur les clauses restrictives au droit de céder du preneur (clauses d’agrément principalement) sont inverses : pareilles clauses ne remettent pas en cause la nature réelle du droit du preneur, mais sont annulées car incompatibles avec celle-ci. La rigueur de la Cour étonne néanmoins de nombreux commentateurs et praticiens, notamment au regard des restrictions admises en matière de bail réel solidaire, voire même dans la vente dès lors que la clause restrictive est limitée dans le temps et motivée par un intérêt légitime. La mise en cohérence de ces solutions divergentes est réclamée par de nombreuses voix.

Une formule plus protectrice des droits des créanciers hypothécaires

Ainsi qu’il a été mentionné dans l’étude du bail emphytéotique, les créanciers hypothécaires du preneur à bail à construction voient par principe leur droit disparaître à l’expiration du bail.
Une importante exception est toutefois prévue : si le bail prend fin par résiliation judiciaire ou amiable, les privilèges et hypothèques inscrits avant la publication de la demande en justice tendant à obtenir cette résiliation ou avant la publication de l’acte ou de la convention la constatant ne s’éteignent qu’à la date primitivement convenue pour l’expiration du bail.
Par ailleurs, dans l’intéressante hypothèse du bail à construction à l’envers, évoquée infra, no , c’est-à-dire « lorsque le bail prévoit une possibilité d’achat du terrain par le preneur dans le cadre d’une opération d’accession sociale à la propriété et que le preneur lève l’option conformément au quatrième alinéa de l’article L. 251-1">Lien », l’hypothèque conserve son effet jusqu’à sa date d’extinction et s’étend de plein droit au terrain.

Utilisation du bail à construction pour favoriser l’accession au logement

– Un outil utile à l’accession locative au logement, mais pas à l’accession en propriété… – Comme le bail emphytéotique, le bail à construction est un outil utilisé par les bailleurs sociaux, preneurs à bail, pour réaliser des logements locatifs sociaux à un prix de revient allégé de la valeur foncière lissée sur la durée du bail à construction. La réglementation est d’ailleurs protectrice des baux d’habitation conclus par le preneur qui se maintiennent malgré l’extinction du bail à construction.
– Immeuble collectif. – Au sein d’un immeuble collectif, le bail à construction est difficilement utilisable dans une logique d’accession individuelle à la propriété, logement par logement. L’obligation de construire est impossible à réaliser pour les preneurs individuels à bail. C’est ce point qui rend illusoire l’hypothèse de la levée d’option prévue à l’article L. 251-1 du Code de la construction et de l’habitation, et c’est bien toute l’idée du bail réel solidaire notamment de permettre la constitution d’un droit réel logement par logement, en organisant la période de construction par un tiers opérateur sur l’ensemble de l’immeuble.
– Maison individuelle. – La technique a été utilisée avec le Pass-Foncier, adossée à un contrat permettant la réalisation de la construction dans des conditions protégeant l’accédant (donc soit un contrat de construction de maison individuelle, soit une Vefa avec la nécessité dans ce cas de conclure le bail à construction avec le promoteur qui cède ensuite le droit réel en EFA). Pour régler le problème lié à l’extinction du droit réel, et donc à la perte de son logement par l’accédant, peu compatible avec le désir d’accéder, il a pu être imaginé de mettre en place un bail à construction « à l’envers ».
– Le bail à construction à l’envers. – Le bail à construction à l’envers est un bail à construction aux termes duquel il est stipulé qu’en fin de bail, ce ne sont pas les constructions qui deviennent la propriété du bailleur, mais c’est le terrain qui deviendra la propriété du preneur. Comme le rappelle un auteur, le principe retenu par la réglementation du bail à construction (comme, d’ailleurs, pour le bail emphytéotique) est celui prévu à l’article 555 du Code civil : le bailleur, propriétaire du sol, a vocation à devenir propriétaire des constructions édifiées par le preneur. C’est le jeu naturel de l’accession. Mais l’article L. 251-2 du Code de la construction et de l’habitation laisse aux parties le soin de décider du sort des constructions en disposant que : « Les parties conviennent de leurs droits respectifs de propriété sur les constructions existantes et sur les constructions édifiées. À défaut d’une telle convention, le bailleur en devient propriétaire en fin de bail et profite des améliorations ». Il est donc possible d’utiliser le bail à construction comme un outil d’accession progressive à la propriété : celle des constructions dans un premier temps pendant la durée du bail, puis celle du terrain pour reconstituer la pleine propriété sur la tête du preneur en fin de bail. C’est d’ailleurs ce que prévoit expressément l’article L. 251-1, alinéa 4 du même code en ouvrant la possibilité de stipuler une levée d’option d’achat du terrain, ce qui a permis la mise en place d’un dispositif innovant, quoique déjà disparu : le Pass-Foncier.
Limite. Quoiqu’il n’existe pas d’exclusion de principe, une telle technique d’accession progressive à la propriété ne se conçoit pas pour la construction de logements dépendant d’un immeuble collectif. On ne voit pas comment, dans ce cadre, gérer la maîtrise d’ouvrage de la construction qui, pratiquement, ne peut se partager en autant de maîtres d’ouvrages qu’il existe de logements !

Étendre la possibilité de conclure un bail à construction à l’envers sur un logement d’un immeuble collectif

Permettre la conclusion d’un bail à construction à l’envers, sur le modèle du Pass-Foncier, non pas sur un terrain en vue de construire une maison individuelle, mais sur un logement d’un immeuble collectif, nous semble une piste intéressante pour compléter la panoplie des modes d’accession progressive à la propriété, en complément de la location-accession (qui ressemble fortement à ce bail à construction à l’envers, mais sans constitution de droit réel) et du BRS (qui ne permet pas l’accès à la pleine propriété).

Le Pass-Foncier, un mécanisme fondé sur le bail à construction à l’envers

Supprimé à compter de 2011, le Pass-Foncier avait été mis en place en septembre 2006 sous deux formes :
  • Un mode d’acquisition progressif permettant d’acquérir une maison individuelle en deux temps : signature d’un bail à construction autorisant la construction d’une maison neuve, puis option possible pour l’acquisition du terrain.
  • Un prêt à remboursement différé utilisable tant pour l’acquisition d’une maison individuelle que pour celle d’un appartement (à partir de mars 2009).
Le prêt Pass-Foncier a été remplacé par d’autres prêts aidés (PTZ+ notamment), et le Pass-Foncier proprement dit a été supprimé fin 2010. Son mécanisme était le suivant :
  • une structure porteuse (filiale d’un comité interprofessionnel du logement [ CIL ou collecteur 1 % logement ] ou d’une chambre de commerce et d’industrie [ CCI ]) acquiert le terrain ;
  • puis, elle consent un bail à construction, soit directement au ménage accédant à la propriété, qui est alors maître d’ouvrage de la future maison (et met en place un contrat de construction de maison individuelle), soit à un promoteur-constructeur qui, dans un second temps, cède au ménage accédant son droit au bail et les constructions envisagées en leur état futur d’achèvement, avec toutes les garanties attachées à ce régime en secteur protégé.
Le bail à construction devait être consenti à titre gratuit au profit de l’accédant à la propriété, pour dix-huit ans minimum et vingt-cinq ans maximum, selon la durée de remboursement du prêt nécessaire au financement de la construction. Il contenait une promesse de cession du terrain au terme du bail, avec une option d’achat.
En cas d’exercice de l’option, le ménage accédant devait payer le prix fixé à l’origine du contrat, auquel s’ajoutaient des intérêts (pour les salariés du secteur assujetti à la PEEC, au taux de 1,5 %, pour les autres ménages, au taux d’inflation, dans une double limite inférieure de 2 % et supérieure de 4,5 %). S’il n’exerçait pas l’option, le bail à construction était prorogé et le ménage versait un loyer foncier d’un montant égal à la mensualité d’un prêt aux « meilleures conditions de marché » sur quinze ans. À l’issue des quinze ans, le ménage devenait pleinement propriétaire du terrain.
L’accédant avait toutefois la faculté d’acheter le terrain à toute date à sa convenance avant l’expiration de la période de portage foncier (d’où la nécessité de modifier l’article L. 251-1 du Code de la construction et de l’habitation) et aux mêmes conditions qu’à l’issue de la période de portage, le bail à construction restant valable malgré sa durée abrégée et finalement inférieure à dix-huit ans.
Pour favoriser la mise en œuvre de ce dispositif, un taux de TVA à 5,5 % et un mécanisme de sécurisation de l’accédant (garantie de rachat et garantie de relogement) avaient en outre été mis en place.
Une intéressante question ministérielle fait le bilan du Pass-Foncier et indique que « c’est de surcroît ce dispositif et sa logique de prêt à remboursement différé qui constituent un des fondements du prêt à taux zéro plus (PTZ+), le nouveau dispositif d’aide à l’accession qui a été mis en place à compter du 1er janvier 2011. Ce nouvel outil, qui répond à des objectifs de simplification du nombre d’aides existantes, de renforcement de l’efficacité des aides et d’une meilleure intégration des aides à la politique du logement, contribuera à la poursuite et à la relance de la politique de l’accession à la propriété, soutenue par la mobilisation des professionnels, des collectivités et des ménages ».