Le bail emphytéotique

Le bail emphytéotique

– Un paradoxe. – Dans le paysage contractuel français, le bail emphytéotique s’illustre par un paradoxe : c’est un outil qui remonte aux origines du Droit, mais il ne donne lieu à quasiment aucune réglementation. Plus étrange encore, réglementé uniquement par le Code rural et de la pêche maritime, il est utilisé en toute autre matière, et notamment appliqué à tous types d’immeubles, y compris les logements, comme s’il était inséré dans le Code civil.
– Une histoire. – Le mot « emphytéose » vient du grec emphuteuien qui signifie « planter ». L’emphytéose était connue du Droit romain où les propriétaires de grands domaines mal cultivés décidèrent de transférer la charge de les améliorer et de les planter (d’où le nom) à des preneurs bénéficiant d’une très longue période de jouissance favorisant la valorisation de ces propriétés par la nécessaire succession des cycles végétaux. Le terme « bail emphytéotique » était utilisé sous l’Ancien Régime et a été conservé après la Révolution. En revanche, il est ignoré par le Code civil de 1804 et son existence officielle, maintenue par les pratiques rurales et les tribunaux, n’a été consacrée que par une loi du 25 juin 1902 relative aux baux emphytéotiques. Une variante dite « bail emphytéotique administratif » (BEA) a été créée en droit public.

Caractéristiques

– Définition. – Le bail emphytéotique est défini de manière très large comme étant un bail de biens immeubles conférant « au preneur un droit réel susceptible d’hypothèque ; ce droit peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière. Ce bail doit être consenti pour plus de dix-huit années et ne peut dépasser quatre-vingt-dix-neuf ans ; il ne peut se prolonger par tacite reconduction ». Il s’agit donc en premier lieu d’une variété de bail, « louage de chose » selon le Code civil. Son régime est très clairement supplétif, ce qui est très intéressant pour la pratique mais s’avère finalement peu utile pour l’accession au logement. Les deux caractéristiques essentielles du bail emphytéotique sont sa durée (§ I) et la nature réelle du droit du preneur (§ II).

La durée

– Dix-huit à quatre-vingt-dix-neuf ans. – La durée du bail emphytéotique doit être comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans. Un bail de moins de dix-huit ans ne peut jamais être qualifié d’emphytéotique. Un bail conclu pour plus de quatre-vingt-dix-neuf ans, ou prorogé par avenants pour une durée qui serait finalement supérieure à quatre-vingt-dix-neuf ans, sera ramené à la limite extrême permise par la loi. Si les parties font dépendre la cessation de l’emphytéose d’un événement indéterminé dans le temps, le contrat prend fin dès qu’il se sera écoulé quatre-vingt-dix-neuf ans sans que l’événement prévu se soit réalisé.
– Pas de tacite reconduction. – La tacite reconduction n’est pas possible, à une nuance près : une cour d’appel a confirmé de manière assez logique que « si le bail emphytéotique ne peut se prolonger par tacite reconduction, il n’est pas formellement interdit aux parties, dont la convention est la loi, de stipuler le contraire et de prévoir expressément sa reconduction dans certaines conditions ». Mais cette reconduction ne peut pas avoir pour effet de déroger à la durée maximale de quatre-vingt-dix-neuf ans. Par ailleurs, l’emphytéote ne saurait en aucun cas se prévaloir des législations particulières instituant au profit du preneur un droit au maintien dans les lieux ou un droit de renouvellement en matière de baux d’habitation, de baux commerciaux ou de baux ruraux soumis au statut du fermage.

La nature réelle du droit du preneur

– Une caractéristique déterminante. – C’est l’essence même du bail emphytéotique. Il confère au preneur un droit réel susceptible d’hypothèque, qui peut être cédé ou saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière. « L’emphytéote profite du droit d’accession pendant la durée de l’emphytéose ». L’emphytéote est donc un « quasi-propriétaire » au sens où il n’est pas propriétaire de l’immeuble, mais titulaire d’un droit réel sur l’immeuble lui conférant accession aux constructions qu’il édifie. La Cour de cassation tient depuis toujours la faculté de libre cession pour l’une des caractéristiques majeures et essentielles du bail emphytéotique : la suppression d’une telle faculté n’est pas réputée non écrite mais disqualifie le bail. Ont ainsi été cassés les arrêts d’appel qui retiennent la qualification d’emphytéose alors que le contrat interdit de céder le bail ou subordonne le droit de cession à l’autorisation du propriétaire. Dans le même sens, a été confirmée la décision d’une cour d’appel selon laquelle un bail ne présente pas les caractéristiques de l’emphytéose dès lors, notamment, que la liberté de sous-louer ou de le céder y était très atténuée par une clause de responsabilité solidaire du locataire avec le cessionnaire ou le sous-locataire. Trois questions particulières méritent quelques commentaires rapides à propos des conséquences de la nature réelle du droit : les servitudes, les hypothèques, et le sort des baux consentis par l’emphytéote.
– Les servitudes. – L’article L. 451-9 du Code rural et de la pêche maritime dispose que : « L’emphytéote peut acquérir au profit du fonds des servitudes actives, et les grever, par titres, de servitudes passives, pour un temps qui n’excédera pas la durée du bail à charge d’avertir le propriétaire ». On reconnaît une application simple et de bon sens de l’adage nemo plus juris . Pour aller au-delà du bail emphytéotique, le bailleur devra intervenir à l’acte de constitution de servitudes pour grever l’immeuble de manière perpétuelle, ce que le preneur n’est pas en capacité de faire..
– Les hypothèques. – Objet même de la définition du droit réel, la capacité d’hypothéquer limitée dans le temps implique de prendre néanmoins en considération la sécurité du créancier inscrit. Contrairement à la réglementation relative au bail à construction, rien n’est indiqué dans les textes relatifs au bail emphytéotique, mais il est évident que la règle nemo plus juris fait obstacle au maintien des droits des créanciers au-delà de la durée du bail. Ce qui n’est pas sans poser quelques difficultés dans des cas limites.
– Le sort des baux consentis par l’emphytéote. – L’adage nemo plus juris rappelé ci-dessus fait inévitablement disparaître tous les droits conférés à des tiers par le preneur sur l’immeuble, sauf une importante exception : les baux d’habitation. Cette solution de protection du locataire d’habitation a, dans un premier temps, été adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juin 2010 qui a déclaré le bail d’habitation opposable au propriétaire malgré l’expiration d’un bail emphytéotique au motif qu’aucun texte n’affranchissait ce propriétaire de l’obligation de respecter les dispositions d’ordre public de la loi du 6 juillet 1989 qui lui étaient applicables, et alors qu’il n’avait pas été constaté que le propriétaire avait mis fin au bail conformément aux dispositions de cette loi. Elle a été entérinée par la loi dite « Alur » du 24 mars 2014 qui a complété l’article L. 451-2 du Code rural et de la pêche maritime de la manière suivante : « Concernant les locaux à usage d’habitation, régis par les dispositions d’ordre public de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 (…), les contrats de bail conclus par l’emphytéote avec les locataires se poursuivent automatiquement avec le propriétaire de l’immeuble jusqu’au terme de chacun des contrats de bail signés avec les locataires », innovation qui concerne également les baux consentis par un preneur à bail à construction et un preneur à bail à réhabilitation. Il faut comprendre ce texte comme maintenant le bail d’habitation jusqu’à ce que ce bail ait pris fin pour l’une des causes admises par la loi du 6 juillet 1989.

Principales obligations des parties

Les principales obligations des parties sont assez succinctement décrites dans les textes.
– Mise en valeur du bien par le preneur. – Il est généralement admis que le preneur doit mettre en valeur l’immeuble. Cette obligation résulte de l’origine même du contrat, qui était un contrat de défrichement et de mise en culture (plantation de vignes ou d’oliviers sous l’Antiquité romaine). Même si la cause a disparu du droit des obligations depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, cette notion persiste en droit et l’on n’imagine pas qu’un preneur prenne un immeuble à bail emphytéotique pour ne rien en faire… Néanmoins, rien n’impose au preneur, dans les textes, d’investir sur le fonds loué. La jurisprudence indique que l’emphytéote n’est tenu d’améliorer, de planter ou de construire que si une clause spéciale du bail le prévoit : l’absence d’une telle clause ne saurait, à elle seule, entraîner la disqualification du contrat. Inversement, si la convention interdit au preneur de faire des travaux de construction ou de démolition sans l’autorisation du bailleur et prévoit que les améliorations à apporter resteront à la charge de ce dernier, le bail ne peut être qualifié d’emphytéose.
– Caractère onéreux du contrat : redevance et améliorations. – Si le caractère onéreux du contrat est une évidence, s’agissant d’un louage de chose, une question demeure faussement controversée : celle de la modicité du loyer, le fameux « canon emphytéotique ». Pour certains, cette modicité est un élément essentiel de la qualification du bail emphytéotique, qui le distingue d’un simple bail de longue durée. En l’absence de réglementation sur le sujet, la doctrine s’affronte sur ce thème et la Cour de cassation n’a pas vraiment pris position. Nous nous bornerons, pour notre part, à observer que la définition posée par l’article L. 451-1 du Code rural et de la pêche maritime ne vise que les deux principales caractéristiques de la durée et du caractère réel du droit conféré.
– Un instrument de portage du foncier. – Pour en revenir aux solutions de portage financier destinées à alléger le prix d’accession à la propriété du logement, seuls comptent l’accord des parties et l’équilibre de l’opération selon la méthode du bilan à rebours qu’utilisent les promoteurs, aménageurs, et plus généralement tous les opérateurs économiques immobiliers chargés de construire, rénover, réhabiliter des immeubles pour créer des logements à mettre sur le marché, dont le point de départ est de savoir à quel prix les logements doivent être rendus accessibles. Selon cette méthode, et conformément à la théorie du canon emphytéotique modique, il peut bien sûr être tenu compte des améliorations que l’emphytéote laissera au bailleur en fin de bail.

Utilisation du bail emphytéotique pour favoriser l’accession au logement

Le bail emphytéotique utile pour favoriser l’accès à des logements locatifs sociaux…

– Un cadre relativement simple. – L’utilisation du bail emphytéotique pour favoriser l’accession au logement est bien connue des bailleurs sociaux. En effet, de nombreuses collectivités locales, après avoir exercé leur droit de préemption, notamment à des prix élevés dans des zones tendues, confèrent à un bailleur social un bail emphytéotique moyennant une redevance dite « redevance foncière » relativement modique. L’organisme de logement social évite, par ce moyen, d’avoir à financer l’acquisition du foncier, qui reste porté par la collectivité bailleresse. Il optimise son bilan nonobstant le faible niveau des loyers qu’il perçoit. L’intérêt du bail emphytéotique dans cette hypothèse est évident : le contrat est simple, souple dès lors qu’on ne remet pas en cause ses caractéristiques essentielles. Il laisse donc une assez grande liberté à l’emphytéote, ce qui est acceptable compte tenu, d’une part, des liens existant entre le bailleur social et la collectivité locale et, d’autre part, de la réglementation HLM qui encadre très largement l’activité du bailleur social preneur à bail emphytéotique.
– La sécurisation des baux de logements. – L’hypothèse est suffisamment répandue pour que la loi Alur ait fini par prendre en compte la problématique de l’impact de la fin du bail emphytéotique sur un bail d’habitation conféré par l’emphytéote en ajoutant à l’article L. 451-2 du Code rural et de la pêche maritime l’alinéa suivant : « Concernant les locaux à usage d’habitation, régis par les dispositions d’ordre public de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, les contrats de bail conclus par l’emphytéote avec les locataires se poursuivent automatiquement avec le propriétaire de l’immeuble jusqu’au terme de chacun des contrats de bail signés avec les locataires ».

… mais peu utile pour l’accession à la propriété des logements

– Le droit réel du bail emphytéotique ne répond pas au désir d’accession à la propriété des particuliers. – Mais le bail emphytéotique n’est pas utilisé pour l’accession à la propriété du logement par des particuliers, car il présente un inconvénient majeur : la propriété conférée n’est pas perpétuelle. On comprend qu’il soit acceptable pour un preneur exploitant le bien, qui lui procure une rentabilité financière (le preneur rural exploite la terre à moindre coût, le bailleur social exploite l’immeuble d’habitation à moindre coût). Mais le particulier qui souhaite accéder à la propriété de son logement n’exploite pas le bien : il l’occupe. Et les raisons qui incitent les particuliers à devenir propriétaires disparaissent avec un tel montage.
– La possibilité de consentir un bail emphytéotique sur un lot de copropriété dans un immeuble bâti est par ailleurs questionnée. – Or l’accession à la propriété d’un logement dans un immeuble collectif suppose de pouvoir raisonner au niveau du lot de copropriété.
– Incompatibilité des clauses anti-spéculatives avec un bail emphytéotique. – Les travaux de la première commission sur les appels à projets et les chartes promoteurs ont abordé la question des clauses anti-spéculatives dont les formes peuvent être très variées. Incluses dans des actes de vente, de telles clauses ont été validées par la Cour de cassation dans les mêmes conditions que celles que l’on peut stipuler dans les actes à titre gratuit en vertu de l’article 900-1 du Code civil, et dans des termes très simples et clairs : « Mais attendu que, dès lors qu’elle est limitée dans le temps et qu’elle est justifiée par un intérêt sérieux et légitime, une clause d’inaliénabilité peut être stipulée dans un acte à titre onéreux ». En revanche, elles sont clairement incompatibles avec la libre disposition du droit réel qui est une caractéristique essentielle du bail emphytéotique, comme l’ont notamment rappelé les rapporteurs du 109e Congrès des notaires de France. D’où la très grande prudence de la pratique notariale qui évite toute clause restrictive du droit de propriété dans les baux emphytéotiques alors qu’elles sont possibles dans les ventes, ce qui est pour le moins paradoxal car le droit de propriété concernant le droit réel d’un bail emphytéotique devient ainsi plus protégé que le droit de propriété concernant directement un bien.
– Vers une possibilité de contractualiser l’équilibre économique initial du bail emphytéotique. – Peut-on, dès lors, imaginer des clauses n’allant pas jusqu’à entraîner une inaliénabilité ou une restriction au droit de disposer, mais en vertu desquelles les parties contractualiseraient l’équilibre économique ayant permis leur accord financier ? Le bailleur accepterait ainsi de consentir le bail emphytéotique sur la base d’un projet présenté par le preneur, ce dernier s’obligeant « spontanément » au respect de contraintes présentées par lui-même comme étant de l’essence même de son projet. Nous renvoyons aux travaux de la première Commission sur cette question.
Dans les appels à projets innovants à Paris, en Île-de-France et dans certaines métropoles régionales, ces clauses sont principalement :
  • la mise en œuvre du projet de travaux sur la base duquel l’emphytéote a pu réaliser ses hypothèses de bilan financier. En matière de logements, cela permet de garantir que les logements seront bien produits et mis sur le marché ;
  • le maintien des usages et modes d’exploitation anticipés pour le même bilan. En matière de logements locatifs, cela concerne inévitablement le niveau de commercialisation locative (logement intermédiaire par exemple). Mais on pourrait également envisager des clauses anti-spéculatives dans un montage où le bail emphytéotique permettrait un accès à la propriété, fût-elle temporaire.
De telles clauses nécessitent inévitablement la contractualisation d’une sanction ou d’une faculté de rachat (l’emphytéote paie un complément de prix pour ne plus respecter la clause). Ces clauses sont pratiquées dans les ventes et d’autres types de baux, mais ont été disqualifiées pour l’instant par la pratique compte tenu du risque consistant en la perte du caractère réel du bail conféré.

Débloquer l’utilisation des baux emphytéotiques en autorisant les clauses restrictives du droit de propriété sans faire perdre au bail sa nature réelle

Faute de jurisprudence supprimant ce paradoxe selon lequel on ne peut pas restreindre les droits de l’emphytéote sans faire perdre sa nature réelle au droit conféré, alors qu’il est possible de le faire sur la pleine propriété immobilière par des clauses limitées dans le temps et justifiées par un intérêt légitime, il nous semble indispensable de débloquer l’utilisation des baux emphytéotiques en autorisant de telles clauses restrictives, l’intérêt légitime de la production de logements se suffisant à lui-même.

Un exemple d’ingénierie juridique reposant sur le bail emphytéotique : la propriété à vie

– Un mécanisme inspiré de la common law . – L’idée a émergé d’offrir à l’accédant, placé sur le marché libre, une sorte de « propriété à vie », plus restreinte que la pleine propriété mais plus accessible financièrement, inspirée du leasehold anglais. Un ménage qui cherche à se loger est généralement amené à faire un choix binaire entre la location classique et la pleine propriété. La location est simple, flexible, accessible, mais n’est pas le meilleur choix financier sur le long terme. Elle se conçoit plutôt en début de carrière, en période de transition professionnelle ou personnelle. L’achat en pleine propriété permet inversement au ménage de se constituer un patrimoine à transmettre et de préparer la retraite, donc de sécuriser l’avenir. Mais il est peu accessible. D’où l’idée de se placer entre ces deux alternatives. Le montage ambitionne de réunir la volonté d’un ménage d’accéder à la propriété pour sécuriser un lieu de vie, et celle d’un investisseur (forcément institutionnel compte tenu des garanties notamment de rachat à apporter) de réaliser un profit sur le long terme. Du côté de l’accédant, l’accent est mis sur les besoins de flexibilité et d’épargne, en sacrifiant la fonction de transmission. Ce montage, développé par une société privée d’investissement et de placement immobilier, associe le bail emphytéotique, l’usufruit et une garantie de revente en cours de bail. Une rapide présentation de cette formule (A) permettra, ensuite, d’apporter quelques observations à son égard (B).

Présentation : un ensemble contractuel

– Un bail emphytéotique. – L’investisseur, porteur du foncier, confère à l’accédant à la propriété du logement un bail emphytéotique lui permettant d’obtenir un droit réel, proche de la propriété, sur le logement concerné. L’accédant dispose du logement en vertu de ce droit réel ; il peut librement y faire des travaux, le louer, le céder ou l’hypothéquer. Le financement de l’accession peut donc être opéré au moyen d’un prêt hypothécaire souscrit par l’accédant. Ce droit réel est transmissible à titre gratuit, entre vifs ou en cas de décès. Le contrat est conclu pour une durée de cinquante ans, qui correspond peu ou prou à l’espérance de vie de l’accédant au moment de l’achat.
– Un usufruit viager. – À la fin du bail emphytéotique, dans l’hypothèse où l’accédant n’aurait pas souhaité quitter le logement (par le jeu de la garantie de rachat) avant le terme convenu, mais plutôt voulu continuer de jouir de son logement jusqu’à la fin de sa vie, un usufruit viager prend le relais du bail emphytéotique, pour éviter la perte du droit de propriété et le retour de l’immeuble entre les mains du bailleur. Pour y parvenir, une promesse synallagmatique de cession d’usufruit est conclue dès l’origine, sous les conditions suspensives que le preneur n’ait pas cédé son droit au bail et qu’il soit en vie à l’expiration du bail. En cas de réalisation des conditions suspensives, la constitution d’usufruit est opérée par un acte réitératif, pour l’euro symbolique. À partir de cette date, l’accédant est donc assuré de demeurer dans son logement, mais sans pouvoir le transmettre, puisque son usufruit s’éteindra inévitablement avec lui.
– Une garantie de revente. – L’accédant qui aurait besoin de flexibilité peut céder le contrat qui le lie à l’investisseur, avant le terme du bail emphytéotique, et de sa seule initiative. Aucune clause anti-spéculative ou d’affectation ne le contraint : la cession peut donc se faire au profit d’un tiers, sans condition de ressources et moyennant un prix librement déterminé. Si l’accédant ne trouve pas acquéreur, il bénéficie d’une garantie de revente qui lui permet de céder ses droits à l’investisseur, moyennant un prix fixé à l’avance, qui décroît à mesure que les années s’écoulent, jusqu’à atteindre une valeur nulle au bout de cinquante ans.

Appréciation : une bonne idée, mais qui ne trouve pas de marché suffisant

Force est de constater qu’une telle formule n’a pas connu, pour l’instant, un déploiement à grande échelle, bien que ses promoteurs aient parié sur une adaptation du marché aux évolutions sociétales et tenté de satisfaire à la fois les volontés de l’accédant et celles de l’investisseur. Il semble que, pour le moment, les accédants restent attachés à la simplicité et aux avantages de la pleine propriété et que les évolutions sociétales soient plus lentes en matière de propriété immobilière qu’en bien d’autres domaines. Pour autant, ces expériences sont précieuses car elles permettent de mieux comprendre dans quelles conditions de marché il pourrait être possible d’offrir une alternative à la location ou à la pleine propriété.

Le logement confronté aux évolutions sociétales : arguments et réfutation

1. Il est, selon certains, nécessaire d’adapter la propriété aux évolutions suivantes :
1.1 – L’allongement de la durée de la vie humaine. Certains estiment qu’il a « transformé l’expérience de la transmission », puisque l’on hérite désormais d’un logement plutôt au moment de la retraite qu’en cours de vie professionnelle. Dans la plupart des cas, le réflexe est alors de le vendre.
1.2 – La mobilité accrue des parcours familiaux et professionnels, plus volatils que par le passé. Cette propension croissante au changement viendrait déstabiliser la durée de détention d’un logement. La jeune génération tendrait à se loger au meilleur endroit, à un prix plus attractif, peu lui important de n’être titulaire, sur son logement, que d’un droit « dégradé », puisque temporaire. En d’autres termes, privilégier la valeur dite « d’usage » plutôt que la propriété. Ou encore replacer le logement dans sa fonction première d’abri, de lieu de vie, en renonçant à la dimension patrimoniale et, plus encore, spéculative qu’il peut receler.
2. Ces arguments méritent la plus grande attention, et devront être soigneusement observés à l’avenir. Pour ce qui est du présent, ils nous paraissent, pour le moins, prématurés. À l’heure où ces lignes sont écrites, notre pratique notariale ne les rencontre que très exceptionnellement.
2.1 – Le logement n’est pas un bien de consommation comme un autre ; de ce fait, sa valeur ne peut se réduire à son simple usage. On peut aisément comprendre qu’un bien de consommation tel qu’une automobile, dont la valeur disparaît du fait de son utilisation, présente essentiellement une valeur d’usage. Mais cette affirmation ne correspond pas à ce que nos clients recherchent en voulant accéder à la propriété de leur logement. Dans leur immense majorité, leur comportement, sinon leur discours, traduit au contraire un grand attachement à la pérennité de cet élément majeur (et parfois unique) de leur patrimoine.
2.2 – Ainsi, affirmer que la volonté de transmission du logement s’estompe est à notre avis une erreur. Certes, du point de vue de l’accédant, l’héritage du logement arrive trop tard (d’où la vente), mais du point de vue du disposant, nous constatons quotidiennement que le souhait de transmettre reste très vivace pour sécuriser la vie de sa descendance face aux incertitudes de l’avenir.
– Cible économique et acceptabilité de la propriété à vie. – Le dispositif que nous venons de décrire cible essentiellement les ménages désirant accéder à un logement autrement qu’en location, et qui perçoivent des revenus stables mais insuffisants pour accéder à la pleine propriété de leur logement, dans les quartiers qu’ils désirent, faute d’apport et de capacité d’emprunt suffisants. Ce mécanisme peut les aider à choisir un cadre de vie proche de leur lieu de travail, des écoles et des lieux de transport… Il suppose de privilégier la « valeur d’usage » au seul détriment de la transmission de leur logement. Consentir ce sacrifice n’a de sens que s’il coûte sensiblement moins cher que la pleine propriété. Dès lors, c’est seulement dans les zones les plus tendues que semble pouvoir se développer ce nouveau segment de marché qui subira, en outre, inévitablement la concurrence de territoires proches, mais permettant un achat classique en pleine propriété, qui pour l’instant reste la norme dans la demande des accédants.

Propriété à vie : une formule en manque d’encadrement législatif

Avec la propriété à vie, on touche aux limites d’un dispositif dépourvu de cadre légal propre, et reposant exclusivement sur un ensemble de contrats. Sa nouveauté et sa complexité peuvent intimider les accédants (et, parfois, leurs notaires). Mais elle interroge surtout les banques, qui n’accordent le financement nécessaire qu’après un examen très attentif par leurs services juridiques. Seul un encadrement législatif de cette formule intéressante paraît pouvoir en assurer le développement.