Valorisation et régime de l’usufruit

Valorisation et régime de l’usufruit

Valorisation de l’usufruit et de la nue-propriété

– Libre valorisation, inopposable à l’administration fiscale. – La valeur d’un usufruit peut être fixée conventionnellement en utilisant toute formule financière choisie par les parties. Cependant, cette fixation amiable n’est pas opposable à l’administration fiscale par application de l’article 669 du Code général des impôts selon lequel :
  • pour la liquidation des droits d’enregistrement et de la taxe de publicité foncière, la valeur de la nue-propriété et de l’usufruit est déterminée par une quotité de la valeur de la propriété entière, conformément au barème fiscal ;
  • l’usufruit constitué pour une durée fixe est estimé à 23 % de la valeur de la propriété entière pour chaque période de dix ans de la durée de l’usufruit, sans fraction et sans égard à l’âge de l’usufruitier (sauf quand son usufruit viager a une valeur inférieure).
– Assiette de taxation de la nue-propriété en cas de levée d’option. – Dans l’hypothèse de travail qui est la nôtre, prévoyant une option d’achat de la nue-propriété, une attention particulière doit être portée sur l’assiette des droits de mutation de celle-ci. Pour les mutations de droits démembrés, la documentation fiscale précise que : « Les parties demeurent libres de fixer le prix de l’usufruit et de la nue-propriété comme elles l’entendent (…) En revanche, pour la liquidation des droits de mutation dus à cette occasion, l’administration fiscale retiendra la valeur telle qu’elle résulte de l’application du barème non seulement lorsque le prix stipulé sera inférieur à la valeur vénale, mais aussi lorsqu’il sera supérieur ». Ce principe doit, à notre avis, être combiné avec celui selon lequel les droits sont liquidés sur le prix exprimé dans l’acte constatant la mutation, ou sur la valeur vénale réelle de l’immeuble (par hypothèse au jour de la cession) si elle est supérieure. Ainsi, en cas de levée d’option pour l’acquisition de la nue-propriété, il nous semble que les taxes devront être perçues non pas sur le prix exprimé dans l’acte, mais par application du barème de l’article 669 du Code général des impôts à la valeur vénale du bien telle que déclarée par les parties.
– Valorisation d’un droit réel de jouissance spéciale. – Cette question n’est pas traitée par la documentation fiscale. En réalité, tout dépendra précisément du contenu du droit réel de jouissance spéciale et des utilités que ce droit conférera à son titulaire. La valorisation de ce droit pourra alors s’effectuer par comparaison avec la valorisation prévue par le barème fixé par l’article 669, II du Code général des impôts, lequel ne pourra toutefois pas être appliqué complètement, dans la mesure où, sauf risque de requalification, le droit réel de jouissance spéciale qui serait ainsi créé ne constituerait précisément pas un usufruit.

Autres causes d’extinction de l’usufruit

Deux autres causes d’extinction de l’usufruit ou du droit réel doivent en outre être étudiées.
– Perte de la chose. Assurance. – S’agissant d’un droit réel, la perte de la chose est une cause de son extinction. Se pose la question de l’assurance et de la valeur d’indemnisation de l’usufruit en pareil cas de destruction. L’obligation d’assurance pèse sur l’usufruitier et à travers lui sur la copropriété.
– Déchéance de l’usufruit. – Le démembrement de propriété impose à l’usufruitier diverses obligations, et notamment celle de conserver la substance de la chose. À défaut de s’y conformer, l’usufruitier encourt la déchéance de son droit prononcée par les tribunaux (C. civ., art. 618). Même si elle est relativement théorique, cette hypothèse doit être prise en considération par le rédacteur. Il faut tout d’abord prévoir la possibilité pour l’usufruitier de lever l’option d’achat de la nue-propriété en cas de mise en cause au titre de l’article 618 du Code civil. On a également rencontré des conventions ménageant en pareil cas à l’investisseur nu-propriétaire la faculté de mettre fin au démembrement par la mise en œuvre obligatoire de la cession de nue-propriété aux usufruitiers. Financièrement, la convention manque de réalisme : comment les usufruitiers qui n’ont pas eu les moyens d’entretenir correctement leur appartement trouveront-ils les ressources nécessaires pour procéder à cette acquisition ?

Droits de l’usufruitier. Clauses restrictives à la location

– Sur-rentabilité de la location. – Bien que le mécanisme ait vocation à permettre l’accession à la propriété en vue d’y installer sa résidence principale, la question de la mise en location doit être posée, car un usufruitier peut louer le bien démembré. Contrairement aux opérations d’usufruit locatif social (ULS), il y a là le gisement d’un fort effet d’aubaine.

Mathématiques financières élémentaires : démembrement de propriété et sur-rentabilité du logement mis en location

Dans le cas d’un usufruit valorisé à 70 % de la pleine propriété, et si l’on admet que le taux de rentabilité du logement est de l’ordre de 2,5/100, l’acquisition du seul usufruit le porte à :
2,5/70 ou 3,57 %.
La progression de la rentabilité est donc de plus de 40 %.
– Clauses restrictives du droit de louer. – Peut-on alors, conventionnellement, restreindre le pouvoir de location de l’usufruitier ? Plusieurs solutions ont été évoquées. La manière la plus simple d’interdire la mise en location est de ne conférer à l’accédant qu’un droit d’usage et d’habitation. On pourrait aussi concevoir un mécanisme contractuel de limitation des loyers et/ou l’obligation de ne louer qu’à des locataires respectant certains plafonds de ressources. Reste une solution qui semble à la fois la plus simple et la plus conforme au but recherché : sanctionner la mise en location par la déchéance de l’option d’acquisition de la nue-propriété, plaçant de ce fait l’accédant devant une alternative : sacrifier la rentabilité de l’opération à la consolidation, sur sa tête, de l’entière propriété ; ou obtenir temporairement une rentabilité plus forte des capitaux investis, mais en sacrifiant sa mise de départ. Ce mécanisme aura, naturellement, pour conséquence immédiate d’inciter fortement l’usufruitier à exercer son option d’acquisition de la nue-propriété avant toute mise en location. Quelle que soit la solution adoptée, pareilles conventions, restrictives du droit de propriété (ou plus précisément de l’exercice de l’un de ses attributs, le fructus), devront faire l’objet d’une rédaction attentive pour justifier d’un intérêt légitime.
– Sort des baux. – Il est souhaitable, en cas de location, et à défaut de levée d’option pour acquérir la nue-propriété, de prévoir conventionnellement l’application du mécanisme mis en place en matière d’usufruit locatif social par les articles L. 253-3 et suivants du Code de la construction et de l’habitation, qui ne sont d’ordre public que pour les logements sociaux et intermédiaires.

Garantie hypothécaire

– Difficile financement hypothécaire. – Le financement bancaire de l’acquisition de l’usufruit posera inévitablement la question de la garantie. Certes, une hypothèque conventionnelle ou légale peut être inscrite sur un usufruit (mais non sur un droit d’usage et d’habitation), mais les droits du créancier inscrit seront limités par les conditions du droit hypothéqué. La question posée n’est donc pas celle de la possibilité juridique, mais de l’acceptabilité du mécanisme par les banques. Or, l’établissement financeur souhaite le plus souvent pouvoir saisir et faire vendre l’intégralité du bien financé, et non seulement un usufruit dont la valeur décroît inexorablement avec le temps. Deux solutions sont alors suggérées.
– Autoriser la levée d’option en cas de défaillance de l’emprunteur. – On peut, tout d’abord, autoriser dès l’origine la levée de l’option d’achat de la nue-propriété au profit du financeur saisissant et de tout adjudicataire désigné sur ses poursuites.
– Affecter hypothécairement la nue-propriété. – On peut aussi affecter hypothécairement la nue-propriété au profit du financeur, ce qui implique qu’en cas de vente sur saisie, celui-ci soit payé en premier en rang. Viendront ensuite le nu-propriétaire, puis, à concurrence du solde éventuel, l’usufruitier. Il en coûtera à l’emprunteur une taxe de publicité foncière (0,715 %) sur le montant garanti en capital et accessoires.

Absence de droit de préemption urbain

La cession d’un immeuble est soumise au droit de préemption, sauf exceptions légales, mais pas la cession d’un droit réel. Ainsi, la vente de la nue-propriété est soumise au droit de préemption, car il s’agit de la vente d’un immeuble grevé d’un droit réel d’usufruit et non de la cession d’un droit réel. En revanche, la cession de l’usufruit ou d’un droit réel de jouissance spéciale n’est pas soumise à ce droit.

Démembrement et copropriété

Quel que soit le montage retenu (droit réel de jouissance spéciale ou usufruit), le rédacteur de la convention pourra utilement renvoyer aux articles L. 253-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation qui, dans notre cas, ne sont pourtant pas d’ordre public. Pour la répartition des droits de vote, il pourra aussi renvoyer à la règle fixée par la loi Elan pour les opérations en bail réel solidaire (BRS).