L'enchevêtrement des législations : l'exemple de l'éolien
L'enchevêtrement des législations : l'exemple de l'éolien
– Un problème de frontière. –
En 1355, à la suite de conflits incessants, le traité de Paris fixa au lit du Guiers la frontière entre
le Dauphiné (donc, la France) et la Savoie. Redoutable imprécision, puisque le Guiers n'existe sous ce
nom qu'entre le Rhône et la commune d'Entre-deux-Guiers. En amont de ce village, se posa immédiatement
la question de savoir où était la frontière entre les deux cours d'eau similaires que sont le « Guiers
Mort » (en Isère) et le « Guiers Vif » (en Savoie). La question était d'autant plus cruciale que, au
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– Un problème de frontière. –
En 1355, à la suite de conflits incessants, le traité de Paris fixa au lit du Guiers la frontière entre
le Dauphiné (donc, la France) et la Savoie. Redoutable imprécision, puisque le Guiers n'existe sous ce
nom qu'entre le Rhône et la commune d'Entre-deux-Guiers. En amont de ce village, se posa immédiatement
la question de savoir où était la frontière entre les deux cours d'eau similaires que sont le « Guiers
Mort » (en Isère) et le « Guiers Vif » (en Savoie). La question était d'autant plus cruciale que, au
centre du territoire délimité par ces deux rivières, se situe le monastère de la Grande Chartreuse. Les
habitants en jouèrent évidemment, se réclamant de l'un ou de l'autre, selon qui leur exigeait l'impôt.
Et la région fut une terre de contrebandiers – dont le célèbre Mandrin – avant que la frontière ne soit
définitivement fixée au « Guiers Vif » par le Traité de Turin, en 1760.
Le principe d'indépendance des législations postule l'existence d'une frontière entre droit de
l'urbanisme et droit de l'environnement. Et, effectivement, il existe nombre d'hypothèses où cela ne
souffre pas la discussion. Et puis, il y en a d'autres où urbanisme et environnement sont « Guiers Vif »
et « Guiers Mort », où l'interprète ne sait pas vraiment où il est.
Dans cette situation de carrefour juridique sans territoire propre, il y a notamment la question
énergétique. Celle-ci, nonobstant l'existence d'un Code de l'énergie, reste régie par une mosaïque de
législations, avec souvent une importance prépondérante du droit de l'environnement : ainsi, le
nucléaire dépend principalement du Code de l'environnement, l'hydroélectricité du régime IOTA,
etc. Or, si la situation était déjà complexe pour les énergies traditionnelles, elle l'est encore
plus pour les « énergies nouvelles », qui ne possèdent pratiquement aucune législation spécifique, mais
qui sont entièrement régies par un cumul de législations, au carrefour notamment de l'urbanisme et de
l'environnement
0164
.
L'exemple paradigmatique de ce chevauchement confus est l'éolien terrestre. Cet exemple n'est pas
seulement la pointe avancée du problème. Il est aussi le lieu où essaye de s'expérimenter une
conciliation harmonieuse de la question de l'aménagement et de l'urbanisme, d'une part, de la protection
de l'environnement, d'autre part. Et s'il en va ainsi, ce n'est pas par appétence particulière des
juristes pour les moulins à vent. Non seulement l'éolien est nécessaire pour la transition énergétique,
mais, plus encore, il est nécessaire afin que le pays ne se trouve pas confronté à un « plafond »
énergétique aux conséquences incommensurables. L'éolien mérite d'autant plus une mention que, s'il est
le symbole iconique de la transition énergétique, il est aussi l'énergie renouvelable qui touche le plus
la pratique notariale : en effet, les champs d'éoliennes sont le plus souvent mis en œuvre par le biais
de baux emphytéotiques.
– L'énergie, besoin stratégique primordial. –
Comme nous l'indiquions en introduction, le recours aux énergies fossiles contribue largement au
réchauffement climatique, et la transition énergétique est donc désirable sous cet aspect – sans parler
du fait qu'il convient d'anticiper l'épuisement, à terme, de ces ressources fossiles, quand bien même
l'échéance ne cesse d'être repoussée. Le problème est que la consommation est à un tel niveau que son
remplacement par des énergies renouvelables n'est pas assuré.
La sobriété est d'autant moins plausible que la consommation énergétique permet de faire face aux
premiers effets du changement climatique. Il en va ainsi de l'air conditionné, qui tend à se
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– Vers une surcharge du système électrique ? –
Le document servant de boussole est « Futurs énergétiques 2050 », élaboré par le Réseau de transport
d'électricité (RTE). Dans sa dernière mouture, en 2023, actant l'électrification croissante, en faisant
le pari d'une consommation réellement plus sobre et en faisant l'hypothèse d'une « réindustrialisation »
du pays, le document estime un besoin d'électricité augmentant de 60 % par rapport à la situation
actuelle. Le défi est donc de produire prochainement plus d'électricité, alors que le système électrique
repose sur un parc nucléaire vieillissant, dont on prolonge la durée de vie au-delà du terme initial
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. Les deux leviers retenus sont, d'une part, une relance de la...
– Transition énergétique. –
La « transition énergétique » est donc pour le moins urgente : il ne s'agit plus seulement d'avoir une
énergie plus « propre » ; il s'agit aussi et surtout d'avoir une électricité suffisante pour couvrir
l'ensemble des besoins. Le principal frein à cette « transition énergétique » est aujourd'hui moins
économique, politique ou environnemental que juridique – avec un droit inadapté à l'urgence. L'exemple
de l'éolien nous permet de constater qu'il est possible de traverser l'ensemble des grands problèmes
posés par l'articulation de l'urbanisme et de l'environnement.
– Plan. –
Par le prisme de l'éolien, on va constater que le défi environnemental induit une réponse qui donne la
préséance au droit de l'environnement (§ II). En
même temps, la question environnementale n'est pas l'exclusivité d'une législation particulière : le
droit de l'urbanisme, notamment, vise aussi la protection de l'environnement (§ I). Il s'ensuit un chevauchement de
planifications (§ III). La chose est rendue plus
difficile encore par l'intervention du droit de l'Union européenne, qui vient en partie contredire le
droit interne (§ IV). Dans le même temps, la mise
au pinacle du droit de l'environnement est en partie une illusion : l'idée de « développement durable »,
expression qui tient de l'oxymore, prend de plus en plus le pas sur celle de sauvegarde de la
nature (§ V).
L'intérêt du droit de l'urbanisme pour l'environnement
– L'application malaisée du droit de l'urbanisme aux éoliennes. –
Les éoliennes sont une modalité d'utilisation du sol : le droit de l'urbanisme les concerne donc sans
aucun doute possible
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.
La semi-prééminence du droit de l'environnement
– Application du régime ICPE aux éoliennes. –
Les éoliennes causent différents troubles : atteintes esthétiques aux paysages, nuisances sonores,
dommages aux populations d'oiseaux, risques pour la sécurité en cas de rupture de la pale ou du mât,
bétonnisation massive du socle. En conséquence, la loi no 2010-788 du 12 juillet 2010, dite «
Grenelle II », a étendu le régime ICPE aux éoliennes.
Le concours de planification
– La difficile planification environnementale. –
Face au risque d'éparpillement des énergies renouvelables dans le paysage, et spécialement des
éoliennes, la loi prévoit des outils de planification à l'échelle régionale. Ainsi, il existe un
schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE), qui concerne notamment les énergies
renouvelables. Ce schéma résulte du droit de l'environnement
L'influence du droit européen
– Le rôle essentiel de l'évaluation environnementale. –
Pour notre propos, qui est l'articulation du droit de l'urbanisme et du droit de l'environnement
via
la question des éoliennes, l'influence européenne se manifeste sur le sujet de l'évaluation
environnementale, ou « étude d'impact ». Cette matière tire largement sa source des directives de
l'Union
La sauvegarde relative de la biodiversité
– Les espaces protégés. –
Autant l'aménagement reste en principe dans le giron du droit de l'urbanisme, autant l'environnement
s'empare d'une planification « négative » en organisant, peu ou prou, la sanctuarisation de certains
espaces du territoire.