– Introduction. –
Nous venons de voir que, en dépit d'un principe affiché d'indépendance des législations, la
jurisprudence en est arrivée à faire du droit de l'environnement avec du droit de l'urbanisme. Dans le
même temps, au fur et à mesure que le problème écologique se faisait plus visible, le droit de
l'environnement n'a cessé de prendre de l'importance. La valeur constitutionnelle de la Charte de
l'environnement est là pour en témoigner. Suivant cette orientation, le droit de l'environnement a
développé une tendance hégémonique, afin de régir l'ensemble des questions liées à l'écologie. Et,
implicitement, il n'est pas loin de considérer que, finalement, le droit de l'urbanisme n'est qu'une
forme d'appendice du droit de l'environnement. Ce qui amène le système juridique à un niveau supérieur
de confusion, où l'on se demande bien ce qui subsiste du principe d'indépendance des législations. Là
encore, pour ne pas rendre l'exposé trop long, nous illustrerons tout ceci à partir du droit de
l'éolien.
La semi-prééminence du droit de l'environnement
La semi-prééminence du droit de l'environnement
– Application du régime ICPE aux éoliennes. –
Les éoliennes causent différents troubles : atteintes esthétiques aux paysages, nuisances sonores,
dommages aux populations d'oiseaux, risques pour la sécurité en cas de rupture de la pale ou du mât,
bétonnisation massive du socle. En conséquence, la loi no 2010-788 du 12 juillet 2010, dite «
Grenelle II », a étendu le régime ICPE aux éoliennes. Les éoliennes exploitées antérieurement
conservent toutefois leur autorisation antérieure, sur le seul fondement du droit de l'urbanisme.
L'application de ce régime ICPE dépend de la hauteur et de la puissance de l'installation. Le régime
de l'autorisation s'applique si l'un des mâts a une hauteur supérieure à 50 mètres
. Il s'applique également pour les champs d'éoliennes dont la hauteur est entre 12 et 50 mètres, dès
lors que la puissance est supérieure à 20 MW – ce qui représente un ensemble de 6 à 10 éoliennes,
environ. Sinon, les autres éoliennes de plus de 12 mètres relèvent d'un régime de déclaration. A
contrario, les éoliennes d'une hauteur inférieure à 12 mètres sont en dehors du régime ICPE.
L'avantage de ce changement est qu'il n'est plus nécessaire de fonctionner avec des
prescriptions ad hoc, justifiées par les principes généraux du RNU, et mobilisées seulement à
l'occasion d'une demande d'autorisation d'urbanisme. Le régime ICPE est bien plus adapté que la
législation d'urbanisme : il fixe un cadre juridique, qui s'applique au-delà du seul début de
l'installation en se souciant de toute la durée de vie de l'exploitation, y compris son démantèlement
final.
Dans ce régime ICPE, on retrouve logiquement la même règle de distance qu'en droit de l'urbanisme, à
500 mètres des habitations
. Mais toute une série de règles supplémentaires s'applique, au titre de la législation
environnementale : notamment, prévention de la gêne visuelle par l'effet stroboscopique lors de la
rotation des pales, prévention du risque incendie, suivi environnemental pour les effets sur le
milieu, gestion de l'interférence avec les radars
. Et, pour assurer le futur démantèlement de l'éolienne, en plus du régime ICPE applicable à la
cessation de l'exploitation, des garanties financières doivent être constituées
.
– Création de l'autorisation environnementale « unique ». –
Les éoliennes du régime ICPE relèvent désormais d'une autorisation environnementale
. Mais le risque évident, pour ces éoliennes ICPE, était de complexifier le sujet, en créant une
nouvelle autorisation en plus des autres – ce qui n'était pas de bonne politique, eu égard à
l'impératif de transition énergétique. Pour ce motif, le souhait du législateur a été de faire de
cette autorisation la plus importante, et d'embarquer les autres avec elle.
Aussi, l'autorisation environnementale dite « unique » est entrée en vigueur le 1er mars 2017
. Elle rassemble les autorisations concernant les installations classées pour la protection de
l'environnement (ICPE) et les installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) soumis à la
législation sur l'eau
. Elle regroupe également une douzaine d'autres autorisations relevant de l'état
. En particulier, l'autorisation environnementale vaut autorisation d'exploiter une installation de
production d'électricité, en application du Code de l'énergie
. Et elle dispense les projets concernés de permis de construire
.
Il n'y a toutefois aucune dérogation sur le fond. Notamment, lorsque l'autorisation environnementale
tient lieu d'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité, elle prend en
compte les critères du droit de l'énergie
. Par contre, sur le plan procédural, tout s'articule autour d'une seule demande, avec une instruction
unique et une seule enquête publique. L'autorisation unique vaut accord pour tous les aspects du
projet respectant les prescriptions applicables. Le souhait du législateur est la réduction des délais
d'obtention des autorisations nécessaires.
Le droit de l'environnement n'a cependant pas supprimé tout autre type d'autorisation. Pour les «
petites » éoliennes, l'autorisation se sollicite toujours sur le seul fondement du droit de
l'urbanisme. Par principe, il n'y a pas d'autorisation à demander pour une installation dont la
hauteur du mât est inférieure à douze mètres
. Mais une déclaration préalable est nécessaire lorsqu'il s'agit de les implanter dans les sites
classés, dans les sites patrimoniaux remarquables et aux abords des monuments historiques
. Les éoliennes en mer, de leur côté, relèvent du Code général de la propriété des personnes publiques
lorsqu'elles sont implantées sur le domaine public maritime, et de textes spéciaux si elles sont
installées sur la zone économique exclusive. Ces dernières ne relèvent ni du droit de l'environnement
, ni du droit de l'urbanisme
.
Le droit de l'environnement considère le droit de l'urbanisme comme une part de lui-même
Dans ce nouveau système, la principale question reste celle de l'articulation du droit de
l'environnement et du droit de l'urbanisme. En principe, une éolienne de plus de 12 mètres de haut
nécessite un permis de construire
. En première version, une ordonnance de 2014 prévoyait, à titre expérimental, une autorisation «
unique » pour les énergies renouvelables relevant de la législation ICPE, et notamment les éoliennes
. Cette autorisation unique valait à la fois autorisation au titre des ICPE et permis de construire.
Ce dispositif a été abrogé en 2017.
Par principe, l'autorisation environnementale ne dispense pas de solliciter une autorisation
d'urbanisme
. Par exception, toutefois, les éoliennes relevant de la législation ICPE et ayant obtenu une
autorisation environnementale sont dispensées de permis de construire
.
La nuance est importante. L'autorisation valant permis de construire était attaquable sur le plan
du droit de l'urbanisme, comme tout permis de construire. L'autorisation dispensant de permis de
construire ne devait plus être contestable que sur le fondement de la législation environnementale,
et selon les seuls recours en cette matière. Le texte prévoyant la dispense de permis de construire
est de nature réglementaire. Le décret qui en est la source fit l'objet d'un recours en excès de
pouvoir. Le principal argument invoqué était le principe de non-régression du droit de
l'environnement.
Le principe de non-régression n'a pas une valeur constitutionnelle. Il provient de la déclaration
du 19 juin 2012, intitulée « L'avenir que nous voulons », dans le contexte de la conférence
internationale dite « Rio+20 ». Prévu désormais au Code de l'environnement, ce principe, de valeur
législative, affirme que « la protection de l'environnement, assurée par les dispositions
législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une
amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment »
.
Le Conseil d'état a finalement rejeté le recours contre ce texte, qui dispense les éoliennes
soumises à autorisation environnementale de permis de construire. En effet, il estime que ce texte
n'a ni pour objet ni pour effet de dispenser les éoliennes ICPE du respect des règles d'urbanisme
. Cette solution qui postule, sans soutien textuel explicite, que l'autorisation environnementale
doit prendre en compte le droit de l'urbanisme, est quand même, là encore, une négation du principe
d'indépendance des législations. L'affirmation prétorienne revient à dire, a contrario, que
l'éviction du droit de l'urbanisme aurait été une régression du droit de l'environnement. Pour le
dire autrement le droit de l'urbanisme, finalement, c'est du droit de l'environnement.