L'intérêt du droit de l'urbanisme pour l'environnement

L'intérêt du droit de l'urbanisme pour l'environnement

– Introduction. – La première chose dont il convient de prendre conscience est celle-ci : le droit de l'urbanisme s'intéresse à la question environnementale, et pas qu'un peu. Nombre de textes du Code de l'urbanisme auraient très bien pu figurer dans le Code de l'environnement. Cet attachement du droit de l'urbanisme aux préoccupations environnementales ne présente-t-il pas un risque de surabondance et répétitions de textes ? La question est trop vaste pour être examinée sous tous ses aspects ; on se bornera donc au cas de l'éolienne. Mais, du propos qui suit, il va se dégager la conclusion suivante : parfois, le droit de l'urbanisme protège mieux la Nature que le droit de l'environnement.
– L'application malaisée du droit de l'urbanisme aux éoliennes. – Les éoliennes sont une modalité d'utilisation du sol : le droit de l'urbanisme les concerne donc sans aucun doute possible . Néanmoins, cette application ne se fait pas sans difficulté, car l'éolienne est un type de construction original. Ce qui explique un certain nombre d'hésitations jurisprudentielles.
Ainsi, il a pu être jugé que la règle de l'article R. 111-17 du Code de l'urbanisme, qui impose une distance minimale entre le bâtiment et l'alignement opposé, ne s'applique pas aux éoliennes . Inversement, il a été jugé que l'éolienne doit respecter l'article R. 111-14 du même code, de sorte que sa construction ne doit pas favoriser une urbanisation dispersée incompatible avec la vocation des espaces naturels environnants .
Objet technologique moderne, l'éolienne pose donc des questions juridiques inédites : par exemple, sur le plan civil, sa partie mobile est-elle meuble ou immeuble ? Le plus problématique étant que, naguère encore, aucune législation environnementale spécifique n'encadrait son déploiement. Pourtant, l'éolienne pose des problèmes évidents – le plus visible étant l'atteinte aux paysages – sans compter les questions de sécurité. Aussi, au tout début, la réponse environnementale nécessaire fut exclusivement créée à partir du droit de l'urbanisme ! Cela n'avait pourtant rien d'évident, au regard de la jurisprudence sur le principe d'indépendance des législations.
– Le RNU et la sécurité. – La première source est l'article R. 111-2 du Code de l'urbanisme, au sein du règlement national d'urbanisme (RNU). Ce texte impose que le projet ne porte pas atteinte à la salubrité ou à la sécurité publiques. Ce principe est applicable y compris en présence d'un plan local d'urbanisme (PLU). Sur le fondement de celui-ci, la jurisprudence administrative reconna ît un pouvoir de contrôle au juge, en cas d'erreur manifeste d'appréciation.
Ce texte a été particulièrement utilisé dans le contentieux en matière d'éoliennes . En effet, il est admis que celles-ci présentent des risques d'accident, bien que limités. Il s'agit en particulier de rupture du mât et de détachement de tout ou partie de la pale. Sur le fondement du RNU, la jurisprudence a imposé une distance de 500 mètres environ entre une éolienne et les habitations alentour, en fonction de la topographie des lieux – règle reprise depuis par la législation environnementale, pour les éoliennes relevant de la catégorie des ICPE . Autre désagrément causé par ces machines : elles présentent des risques de perturbation du fonctionnement des radars de l'aviation civile, de la défense nationale ou de Météo-France . Aussi, toujours en vertu du même principe du RNU, il a été décidé que le permis peut être refusé si le risque de perturbation est avéré . Et depuis, là encore, le droit de l'environnement est venu, en relais, préciser les distances à respecter entre une éolienne et un radar .
– Le RNU et le respect de l'environnement. – Le RNU intègre des textes au potentiel environnemental encore plus important : les articles R. 111-26 et R. 111-27 du Code de l'urbanisme . Aux termes du premier texte : « Le permis ou la décision prise sur la déclaration préalable doit respecter les préoccupations d'environnement définies aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l'environnement ». Et le même texte de préciser que : « Le projet peut n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si, par son importance, sa situation ou sa destination, il est de nature à avoir des conséquences dommageables pour l'environnement ».
Le second texte (l'article R. 111-27) énonce qu'un projet peut être refusé si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou leur aspect extérieur sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains.
Là encore, ces principes ont donné lieu à contentieux pour les éoliennes . La jurisprudence se fonde sur deux critères pour déterminer si une construction porte ou non atteinte au caractère des lieux avoisinants, sur le fondement des textes précédents . Le premier est l'importance de l'altération des lieux, en quantité ou en qualité . Le second est le caractère réellement remarquable ou non des lieux avoisinants . Ont ainsi été refusés des permis de construire concernant des éoliennes portant une atteinte caractérisée soit au paysage d'un parc naturel régional , soit à la vue de plusieurs monuments historiques à la fois . Inversement, des éoliennes ont été admises dans un site déjà traversé par le TGV Méditerranée et l'autoroute A7 .
Le juge assure un équilibre des intérêts en cause. Par exemple, des éoliennes portant une atteinte visuelle à un site remarquable sont admises si le dommage reste proportionné et si leur installation satisfait un intérêt public . Mais au-delà de l'impact visuel, qui a un lien évident avec l'urbanisme, la jurisprudence administrative s'est également souciée, dans ce contexte, de la question de la biodiversité. Ainsi, un projet d'éoliennes respectant une distance suffisante entre les rangées et permettant aux oiseaux d'éviter les machines grâce à l'orientation des pales dans le sens de la migration a été admis .
– Conclusion. – De ce qui précède, il résulte que la jurisprudence a su créer tout un droit prétorien à portée environnementale, à partir du droit de l'urbanisme. Dès lors, ne fallait-il pas sauter le pas ? Et admettre que, dans le cadre du contentieux d'urbanisme, tout le droit de l'environnement s'applique ? Plutôt que chercher à en recréer un ersatz, sous l'étiquette d'un soi-disant droit de l'urbanisme ? La jurisprudence administrative s'y est refusée, en maintenant le principe d'indépendance des législations ! Ainsi le principe de précaution, admis en droit de l'environnement, a longtemps été considéré comme inapplicable en droit de l'urbanisme . Solution expressément confirmée dans le cas des éoliennes .
Pourtant, le Code de l'urbanisme renvoie explicitement à l'article L. 110-1 du Code de l'environnement. Et ce dernier énonce à son tour les grands principes du droit de l'environnement : dont le principe de précaution. Ce principe de précaution provient à l'origine de diverses conventions internationales, avec une portée juridique variable : tantôt une « approche », un « principe » ou une « mesure » . Il a ensuite été intégré au droit interne, par la loi « Barnier » du 2 février 1995. Depuis, il est codifié à l'article L. 110-1 du Code de l'environnement, susmentionné. Dans ce code, le principe de précaution est toutefois défini d'une manière très restrictive, ce qui implique que le droit de l'urbanisme a au départ refusé de s'en saisir : le texte précise qu'il n'est applicable que dans le cadre de lois qui en définiraient la portée.

L'indépendance des législations remise en question par la constitutionnalisation du droit de
l'environnement

Le principe de précaution est énoncé à l'article L. 110-1 du Code de l'environnement. Mais également à l'article 5 de la Charte de l'environnement, dans une rédaction très générale : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
Le Conseil d'état reconna ît cette dualité des sources, ainsi que la double valeur législative et constitutionnelle qui en résulte . Il a aussi affirmé son invocabilité devant le juge administratif, conséquence de sa constitutionnalisation . Et nonobstant le principe d'indépendance, il admet l'examen d'une autorisation d'urbanisme au regard du principe environnemental de précaution, dans une espèce concernant des antennes-relais . La constitutionnalisation du principe de précaution rend ainsi sans objet l'indépendance des législations pour ce qui le concerne .
Le principe d'indépendance des législations ne fait pas non plus obstacle à l'applicabilité du principe de prévention aux autorisations d'urbanisme soumises à évaluation environnementale. Le principe de prévention est énoncé à l'article 3 de la Charte de l'environnement. Renvoyant à l'intervention du législateur, il n'a en principe pas d'effet direct. Il en va cependant différemment pour les projets entrant dans les prévisions de l'évaluation environnementale pour lesquels une telle législation existe : l'article L. 122-1 du Code de l'environnement soumet ces projets à des « mesures destinées à éviter, réduire et, lorsque c'est possible, compenser les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé », dites « ERC ». Par dérogation au principe d'indépendance des législations, le Conseil d'état estime par conséquent que les permis de construire soumis à évaluation environnementale relèvent en partie du Code de l'environnement et peuvent faire l'objet d'un contrôle des mesures « ERC » à ce titre .