Le concours de planification

Le concours de planification

– Introduction. – Si l'on caricature l'ensemble du propos qui précède, comme une première forme de conclusion : pour le droit de l'urbanisme, le droit de l'environnement, c'est de l'urbanisme ; pour le droit de l'environnement, le droit de l'urbanisme, c'est du droit de l'environnement. Même si les disciplines ne se recouvrent pas (loin s'en faut), elles se recoupent néanmoins de manière importante. Aussi, le principe reste celui de l'indépendance des législations. Sauf que les exceptions sont si importantes que l'on peut quand même se demander si ce principe a encore du sens.
En réalité, c'est en matière de planification que les deux domaines concernés subsistent avec une relative autonomie. La planification environnementale balbutie beaucoup – c'est une litote. La planification en matière d'urbanisme, au contraire, a atteint le stade d'une maturité éprouvée. Une forme de collaboration a donc logiquement été trouvée, où la planification en matière d'urbanisme s'applique, plus ou moins, à réaliser les grandes orientations proposées par le droit de l'environnement. Là aussi, au lieu d'un examen exhaustif, on se focalisera sur le cas de l'éolienne pour illustrer ce qui précède.
– La difficile planification environnementale. – Face au risque d'éparpillement des énergies renouvelables dans le paysage, et spécialement des éoliennes, la loi prévoit des outils de planification à l'échelle régionale. Ainsi, il existe un schéma régional du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE), qui concerne notamment les énergies renouvelables. Ce schéma résulte du droit de l'environnement . Il est arrêté par le préfet de région. Il s'appuie sur un inventaire des émissions de polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre, un bilan énergétique, une évaluation du potentiel énergétique, etc. ; le tout à l'échelon de la région, en prenant en compte les aspects économiques et sociaux.
Ce schéma fixe, à l'échelon du territoire régional et à l'horizon 2050, les orientations permettant d'atténuer les effets du changement climatique et de s'y adapter. Sa portée juridique reste cependant ténue : le plan climat-air-énergie doit être compatible avec le SRCAE , et les plans locaux d'urbanisme doivent être compatibles avec le plan climat-air-énergie territorial . L'autorisation d'urbanisme reste néanmoins exclusivement délivrée au regard des règles du PLU, et non du SRCAE – même si ce dernier peut servir d'argument pour justifier du choix rationnel d'un site .
Pour ma îtriser l'installation des éoliennes sur leur territoire, les collectivités territoriales avaient la possibilité de mettre en place des zones de développement de l'éolien (ZDE). Cette possibilité avait été introduite par la législation environnementale, et plus spécialement par la loi du 12 juillet 2010, dite « Grenelle II ». Cette ZDE n'était pas un document d'urbanisme : en conséquence de quoi, elle ne contraignait pas l'édification des éoliennes dans le seul secteur considéré . Mais cette législation reposait sur un mécanisme très incitatif : seules les éoliennes en ZDE pouvaient bénéficier de l'obligation d'achat de leur production électrique . Ce dispositif des ZDE a toutefois été abrogé.
Il ne subsiste plus, aujourd'hui, que le schéma régional éolien (SRE). Ce document n'avait initialement qu'une valeur indicative et informative. Depuis la loi « Grenelle II », il est devenu un volet en annexe du SRCAE . Le SRE identifie les parties du territoire régional favorables au développement de l'énergie éolienne. Il tient compte du potentiel éolien et également des servitudes, des règles de protection des espaces naturels, du patrimoine naturel et culturel . La portée de ce schéma reste toutefois assez faible. La loi précise qu'il doit être tenu compte du SRE lors de l'autorisation du régime ICPE d'exploiter une éolienne . Par contre, la jurisprudence considère le SRE comme ne comportant pas directement de prescriptions d'urbanisme, de sorte que le droit d'édifier une éolienne n'est pas restreint aux zones identifiées par le schéma .
En dépit de leur faible intérêt, les SRE ont quand même fait l'objet d'un abondant contentieux, et tous ceux qui furent initialement élaborés ont été annulés par le juge administratif, au motif de l'absence d'évaluation environnementale préalable . Aujourd'hui, seules la Corse et l' île-de-France restent concernées par ces schémas. Mais, en l'absence de véritable portée, dans un sens ou dans l'autre, les annulations de ces SRE n'ont créé aucun empêchement à la délivrance des autorisations nécessaires pour le déploiement d'éoliennes.
– L'environnement dans la planification urbanistique. – En raison des limites de la planification proprement environnementale, la question est organisée par les mécanismes généraux d'aménagement du territoire, et, plus spécialement, par le droit de l'urbanisme. Ainsi, manifestation de ce phénomène, la loi du 7 août 2015, dite « loi NOTRe », a fusionné le SRCAE au sein du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) .
Ce sont donc surtout le schéma de cohérence territoriale (SCoT) et le plan local d'urbanisme (PLU) qui se trouvent promus au rang de vecteurs de la transition énergétique et de l'adaptation au changement climatique . En effet, parmi les objectifs du droit de l'urbanisme, la loi mentionne « la lutte contre le changement climatique et l'adaptation à ce changement, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l'économie des ressources fossiles, la ma îtrise de l'énergie et la production énergétique à partir de sources renouvelables » .
En conséquence de quoi, le SCoT devient de plus en plus « vert », particulièrement depuis 2021 et la dernière ordonnance de modernisation. Il comprend un document d'orientation et d'objectifs (DOO), qui définit des orientations à propos, notamment, de la transition énergétique et de la lutte contre le changement climatique . En outre, le SCoT a la possibilité de valoir plan climat-air-énergie territorial (PCAET).
De son côté, le PLU, suivant la dynamique engagée en 2000 avec la loi « SRU », devient également de plus en plus « vert ». Il contient désormais un projet d'aménagement et de développement durables (PADD) exposant le projet que la réglementation cherche à favoriser. Ce document définit notamment les orientations générales quant au développement des énergies renouvelables . Là encore, le droit de l'urbanisme se trouve mobilisé sur des questions environnementales, même si cela n'était pas son enjeu premier, et même s'il n'y parvient pas toujours.
Sur le plan du règlement du PLU, l'adaptation à la transition énergétique ne pose pas de difficulté. Ainsi, le règlement prévoit usuellement des prescriptions pour assurer le prospect entre les édifices : hauteur maximale des constructions, implantation des bâtiments, distances séparatives entre eux . Ce type de règle est aisément mobilisable afin d'assurer, par exemple, un ensoleillement minimum de panneaux photovoltaïques . Le règlement peut même imposer une production minimale d'énergie renouvelable en fonction des caractéristiques du projet . Il est possible d'édicter cette obligation sur tout un secteur de la ville, par exemple dans le cadre de l'aménagement d'un écoquartier .
L'urbanisme se voit en tout cas érigé en auxiliaire de la transition énergétique. Cela se fait, tout d'abord, avec un certain nombre de règles du RNU. Ainsi, l'installation de dispositifs favorisant la production d'énergie renouvelable est de droit lorsqu'elle correspond aux besoins de la consommation domestique des occupants de l'immeuble . Ce droit prévaut sur les règles relatives à l'aspect extérieur des constructions contenues au règlement. L'autorisation d'urbanisme est néanmoins susceptible de comporter des prescriptions destinées à assurer la bonne intégration architecturale du projet dans le bâti existant et dans le milieu environnant. En outre, l'application de ce texte est écartée dans certains secteurs protégés : abords des monuments historiques, site patrimonial remarquable, site inscrit ou classé, cœur d'un parc national .
Ensuite, toujours pour le même objectif environnemental, la loi édicte un certain nombre de dérogations possibles aux règles des plans locaux d'urbanisme, afin de permettre la mise en œuvre d'une isolation en saillie des façades des constructions existantes , d'installer des dispositifs de végétalisation des façades et des toitures , de favoriser la hauteur des constructions faisant preuve d'exemplarité environnementale . à chaque fois, cette dérogation est l'objet d'une décision spéciale de l'autorité compétente pour délivrer le permis de construire ou prendre la décision sur une déclaration préalable, le tout dans des limites fixées par décret en Conseil d'état.

Le risque de saturation

Il y a une corrélation évidente entre les zones où la vitesse du vent est importante et
l'implantation des parcs éoliens. Les régions les plus pourvues sont les Hauts-de-France et le Grand
Est, avec à peu près 1 800 éoliennes chacune. à l'autre extrême, les régions les moins dotées sont
la Provence-Alpes-Côte d'Azur et l' île-de-France, avec moins de cent éoliennes chacune – même s'il
faut noter que l'explication, pour la première, vient aussi de la couverture radar qui gêne une plus
grande extension et, pour la seconde, de la densité urbaine et de la taille du territoire. De
manière générale, les éoliennes sont principalement installées là où les vents sont puissants et
réguliers : la Somme, l'Aisne, le Pas-de-Calais, l'Oise et les Côtes-d'Armor notamment. Elles se
rencontrent également là où les vents sont moins soutenus, mais où la population est peu dense : la
Marne, l'Aube, l'Aude, la Meuse.

Le risque est toutefois celui de l'extrême prolifération aux mêmes endroits. Un cas topique est
celui de Plumieux, commune d'un millier d'habitants, dans les Côtes-d'Armor. Dans un arrêt du 10
janvier 2023, la cour administrative d'appel de Nantes y note la présence de 54 éoliennes dans un
rayon de 10 km, et de 103 éoliennes dans un rayon de 20 km ! Ce qui ne l'empêche pas de rejeter le
recours, introduit par la commune elle-même, contre l'autorisation environnementale délivrée par le
préfet, pour deux éoliennes supplémentaires

.

Pour éviter cette forme de saturation, la loi du 21 février 2022, dite « 3DS », autorise désormais
le règlement à délimiter des secteurs dans lesquels l'implantation d'installations de production
d'énergie renouvelable est soumise à conditions, « dès lors que ces installations sont incompatibles
avec le voisinage habité ou avec l'usage des terrains situés à proximité ou qu'elles portent
atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages, à la qualité architecturale, urbaine
et paysagère, à la mise en valeur du patrimoine et à l'insertion des installations dans le milieu
environnant »

. à sa suite, la jurisprudence du Conseil d'état entérine désormais le refus d'autorisation
environnementale au titre de la saturation du voisinage

.

– La difficulté du lieu de l'implantation. – Sur le plan du zonage à l'urbanisme, les difficultés ressurgissent du fait que l'éolienne n'est pas une construction comme une autre et qu'il faut aussi prendre en compte le droit de l'environnement. En zone urbaine, dite « zone U », la possibilité de construire est le principe, sauf exceptions. Mais l'obligation d'une distance de 500 mètres avec les habitations, dans le cadre du régime ICPE, rend cette possibilité assez illusoire. Il est évidemment plus adapté d'installer les éoliennes dans les zones non urbanisées de la commune, et non pas en continuité de bâti. Mais, les « zones A » et les « zones N » sont en principe inconstructibles, sauf exceptions expressément prévues par le règlement, notamment les constructions et installations nécessaires à l'exploitation agricole et forestière .
Reste que, dans ces zones agricoles, naturelles ou forestières, le règlement peut autoriser « les constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs », dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière, et qu'elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages . Or, la jurisprudence considère que l'éolienne relève de cette dérogation, la production d'électricité vendue au public présentant un intérêt public contribuant à la satisfaction d'un besoin collectif . Encore faut-il que le règlement soit rédigé avec soin . Ainsi, l'implantation d'éoliennes a été refusée en zone N au motif que le règlement n'y autorisait que les installations publiques « indispensables ou impératives » .
Un problème similaire se retrouve pour l'ensemble des territoires où la constructibilité limitée est le principe. Ainsi, pour les communes dotées d'une carte communale, il est possible, au sein des zones interdites à la construction, d'autoriser les « installations nécessaires à des équipements collectifs », dès lors qu'elles ne sont pas incompatibles avec l'exercice d'une activité agricole, pastorale ou forestière et qu'elles ne portent pas atteinte à la sauvegarde des espaces naturels et des paysages . Une exception similaire existe pour les communes qui ne possèdent ni plan local d'urbanisme, ni document d'urbanisme en tenant lieu, ni carte communale . Les éoliennes relèvent de ces exceptions.
Au titre de la « loi Littoral », la législation autorise spécialement les éoliennes en discontinuité du bâti lorsque, par leur taille, elles sont incompatibles avec le voisinage des habitations . Toutefois, cette dérogation ne doit pas « porter atteinte à l'environnement ou aux sites et paysages remarquables ».
– éoliennes, ouvrages publics et loi Montagne. – La situation est un peu différente des cas précédents dans le contexte de la loi Montagne. Cette dernière autorise la discontinuité de bâti pour les « équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées » . En raison de leur dangerosité pour le voisinage, les éoliennes relèvent de cette exception . Encore faut-il que, par leur importance, elles soient destinées à alimenter le réseau général d'électricité, et non créées en vue de l'autoconsommation .
En effet, même si cela n'est pas intuitif, les éoliennes appartenant à des personnes privées peuvent être des « ouvrages publics » en raison de leur affectation à un but d'intérêt général . Un avis important du Conseil d'état éclaire cette question : les immeubles aménagés et directement affectés à un service public sont des ouvrages publics, y compris lorsqu'ils appartiennent à une personne privée chargée de l'exécution de ce service public . Le Conseil d'état précise néanmoins que le principal objet du service public de l'électricité n'est pas la production d'électricité en tant que telle, mais la sécurité de l'approvisionnement sur l'ensemble du territoire national. Cette sécurité d'approvisionnement exige, en raison de la difficulté à stocker l'énergie électrique, que soit assuré à tout moment l'équilibre entre la production et la consommation.
Le Conseil d'état distingue ainsi deux situations :
  • dans les zones non interconnectées, la production locale doit couvrir l'intégralité des besoins de la consommation. Il s'agit essentiellement de régions insulaires (en dehors de la Corse bénéficiant d'une interconnexion partielle avec l'Italie), où toute l'électricité consommée doit être produite localement : Guadeloupe, Martinique, La Réunion, Mayotte, etc. Dans ces zones, les ouvrages dont la production est entièrement destinée de façon permanente aux réseaux de transport ou de distribution doivent être regardés comme affectés au service public de la sécurité de l'approvisionnement et ont, par suite, le caractère d'ouvrage public ;
  • à l'inverse, dans les zones interconnectées, tous les sites de production ne présentent pas la même importance. Seuls les ouvrages déterminants pour l'équilibre du système d'approvisionnement en électricité sont considérés comme directement affectés au service public. L'avis du Conseil d'état retient un seuil de puissance supérieur à 40 MW pour la qualification d'ouvrage public – soit un parc d'une quinzaine d'éoliennes, à peu près.
– Conclusion. – Il est temps d'une synthèse, alors que nous avons pourtant essayé de simplifier le propos. Au fond, la question de la planification, appliquée aux éoliennes, se résume à une question très simple : à quel endroit a-t-on le droit de les implanter ? La combinaison de l'urbanisme et de l'environnement donne un impressionnant millefeuille de solutions. On perçoit bien sûr des récurrences et des lignes directrices. Mais avec tellement de subtilités selon les lieux – sur le plan du droit environnemental, pourquoi le Mont-Blanc ce n'est pas la pointe du Raz ? – que l'on se prend à rêver, quand même, à une possible harmonisation pour produire un résultat peut-être pas plus simple, mais au moins plus lisible.