L'influence du droit européen

L'influence du droit européen

– La logique différente de l'Union européenne. – Nous avons déjà évoqué le droit européen et ses règles à valeur supra-législative, au-dessus de ces deux grands ensembles que sont le Code de l'environnement et le Code de l'urbanisme. Mais il ne s'agit pas que d'un banal problème de hiérarchie de normes. S'il n'était question que de cela, il n'y aurait rien qu'un juriste ne sache appréhender.
Le fond du problème est que le droit européen ne parle pas la même langue que les deux autres. Le droit de l'environnement et le droit de l'urbanisme se comprennent assez bien, raison pour laquelle ils sont chacun convaincus que l'autre est un peu lui-même. Les deux sont une forme évoluée de droit administratif, aimant bien manier les classifications, les catégories et les grands ensembles. Avec, en commun, ce tic de langage inhérent à l'appréhension administrative du monde effectuée par le biais de nomenclatures et d'ensembles abstraits : « l'effet de seuil ». Effet de seuil du permis de construire à partir de 20 m2 d'emprise au sol, effet de seuil de l'autorisation ICPE pour les éoliennes à partir de 50 mètres, etc.
Or le droit européen, en matière environnementale du moins, ne veut pas cet effet de seuil. Cette manière franchement différente de raisonner a logiquement débouché sur une contradiction entre le droit interne et le droit européen. Ce qui est toujours désagréable pour le juriste qui essaye de conna ître la norme applicable, qui se trouve à devoir s'interroger sur un potentiel conflit de normes, et sur sa possible solution. Surtout pour un thème, « urbanisme-environnement », qui n'est déjà pas simple à la base. Là encore, pour ne pas surcharger le propos outre mesure, on évoquera le cas de l'éolienne.
– Le rôle essentiel de l'évaluation environnementale. – Pour notre propos, qui est l'articulation du droit de l'urbanisme et du droit de l'environnement via la question des éoliennes, l'influence européenne se manifeste sur le sujet de l'évaluation environnementale, ou « étude d'impact ». Cette matière tire largement sa source des directives de l'Union . Leur objectif est d'instaurer des exigences minimales en ce qui concerne le type de projets soumis à évaluation, le contenu de l'évaluation et la participation des autorités compétentes et du public. La jurisprudence européenne veille particulièrement au respect de ces directives .
Dans ce contexte, les éoliennes relevant du régime d'autorisation ICPE sont systématiquement soumises à évaluation environnementale . Rappelons qu'il s'agit des éoliennes de plus de 50 mètres de haut, ou bien du parc d'éoliennes de plus de 12 mètres de haut, avec plus de 20 MW de puissance installée. Le contenu de l'étude d'impact doit être proportionné à la sensibilité environnementale de la zone concernée, à l'importance et la nature des travaux projetés, et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine . A minima, l'étude d'impact comprend la description de l'état actuel de l'environnement, les incidences notables que le projet est susceptible d'avoir, ainsi que les mesures prévues pour les éviter ou les compenser.
Cette étude d'impact concentre logiquement le contentieux . En l'absence d'étude, l'autorisation est suspendue de plein droit en référé, sans même avoir besoin de démontrer une condition d'urgence . Si l'étude est irrégulière, et que l'irrégularité crée un doute sérieux quant à la légalité de la décision, il est possible d'obtenir, en cas d'urgence, la suspension de l'autorisation en référé . Enfin, si l'étude est irrégulière, et que cette irrégularité influe sur la décision d'autorisation ou vicie l'information du public, l'annulation de l'autorisation peut être sollicitée sur le fond .
Ainsi, en matière d'éoliennes, des études d'impact ont pu être jugées : insuffisantes sur la mesure du bruit ; imprécises sur les mesures de compensation pour fournir de nouveaux territoires à une espèce protégée ; incomplètes dans l'inventaire de la faune et de la flore dans le cas d'un site de grande valeur écologique ; floues sur l'impact visuel porté à un monument historique , etc. En sens contraire, il a été jugé que l'étude d'impact n'a pas à expliquer la moins-value immobilière subie par le voisinage des éoliennes .

La « clause filet » : Une illustration des difficultés de transposition des directives
environnementales dans le droit national

Dans sa version initiale, la nomenclature environnementale distinguait deux hypothèses seulement : le seuil au-dessus duquel l'évaluation environnementale est systématique, le seuil au-dessus duquel l'étude d'impact se faisait au cas par cas. Cela signifiait qu'en dessous de ce second seuil, un projet n'était pas soumis à évaluation environnementale.
Cette nomenclature avait pour défaut d'avoir été établie non point sur des critères écologiques, mais selon des considérations purement administratives. Dans le cas des éoliennes, seules celles en ICPE-Autorisation en relevaient, et pas celles en ICPE-Déclaration. Et une logique administrative similaire était à l'œuvre pour toutes les catégories : ainsi, en matière hydraulique, l'étude d'impact était liée au régime de la concession en droit de l'énergie .
Or, le droit européen ne l'entend pas ainsi : il retient la « clause filet », qui soumet à évaluation un projet en dessous des seuils dès lors que le milieu naturel est sensible .
Rappelons qu'une directive claire, précise et inconditionnelle n'ayant pas été transposée dans le délai requis a un effet direct : elle est invocable par tout particulier . De surcro ît, en 2019, puis en 2021, la Commission européenne a adressé une mise en demeure, pour non-conformité de la législation française, en ce qu'elle fixe des seuils d'exemption inadaptés pour les projets . Par arrêt du 15 avril 2021, le Conseil d'état, de son côté également, a enjoint au Premier ministre de prendre les dispositions réglementaires afin de mettre en conformité le droit interne avec les directives européennes .
Finalement, un décret du 25 mars 2022 met en place une troisième catégorie, en sus des deux autres : il y a désormais évaluation environnementale des projets qui sont, de par leur dimension, situés en deçà des seuils de la nomenclature, mais qui sont néanmoins susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement et la santé humaine . Ce décret a été en partie annulé – il oubliait les décisions tacites de non-opposition à une déclaration préalable . Le mécanisme est complexe puisqu'il appartient au ma ître de l'ouvrage, ou à l'autorité saisie d'une demande d'autorisation, de saisir l'autorité chargée de l'examen au cas par cas. Surtout, il suppose une anticipation en amont, de la part du porteur de projet, sauf à supporter des délais supplémentaires.
L'insertion de la « clause filet » a également nécessité la modification de certaines dispositions du Code de l'urbanisme . En effet, l'étude d'impact a beau relever du droit de l'environnement, celle-ci essaime dans toutes les branches du droit. Certains projets qui relèvent d'une autorisation d'urbanisme y sont soumis, puisque la nomenclature n'est pas liée à la procédure d'autorisation mais au type de projet. En outre et surtout, signe là encore du mélange des législations, l'évaluation environnementale est un préalable à la planification : le SCoT et le PLU, notamment, y sont soumis .