Les recours individuels

Les recours individuels

– S'attaquer à la masse des recours individuels. – Alertée par les « nombreux commentaires critiques, de la part des constructeurs essentiellement, sur « le libéralisme qui (…) caractérise l'appréciation, par le juge administratif, de l'intérêt donnant à un requérant qualité pour demander l'annulation pour excès de pouvoir d'une autorisation d'urbanisme », la commission Labetoulle a eu pour ambition de « clarifier les règles de l'intérêt pour agir ».
S'inspirant de ses propositions, l'ordonnance du 18 juillet 2013 a défini par la loi l'intérêt à agir des personnes autres que l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association (I) et, à l'exemple du dispositif mis en place en 2006 pour les associations, a pris une disposition commandant au juge de se placer à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire pour apprécier l'intérêt à agir du requérant (II).

L'intérêt à agir

La définition jurisprudentielle

– Le libéralisme du juge. – Jusqu'en 2013, l'intérêt à agir contre un permis de construire était défini par la jurisprudence.
En premier lieu, le juge administratif s'assurait que la qualité donnant intérêt à agir au requérant était en rapport avec l'autorisation d'urbanisme.
En second lieu, le juge vérifiait le caractère direct et certain de cet intérêt. Ainsi le projet devait-il être de nature à porter atteinte aux droits réels ou personnels du requérant sur un immeuble. Étaient prises en compte la proximité, la nature et l'importance du projet.
Ainsi était recevable à agir le voisin, l'habitant du quartier : le voisinage suffisait. Et était considéré comme voisin le simple locataire d'un bureau.
En revanche, habiter dans la commune n'était pas suffisant, pas plus que la qualité d'architecte contre un permis de construire délivré sur un bâtiment se trouvant sur une place qu'il avait aménagée, ni encore le fait d'être conseiller municipal contre un permis délivré sur le territoire de la commune.

La définition légale

– L'encadrement du législateur. – L'ordonnance du 18 juillet 2013 a inséré dans le Code de l'urbanisme un article L. 600-1-2 qui invite le juge à apprécier avec plus d'acuité l'intérêt à agir en vérifiant si « la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation,d'utilisation ou de jouissance du bien que le requérant détient ou occupe régulièrement ou pour lequel il bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire ».
La définition légale ne constitue pas une rupture avec la jurisprudence antérieure, mais plutôt, selon le rapport Labetoulle, un « signal invitant [les juges] à retenir une approche un peu plus restrictive de l'intérêt pour agir ». Autrement dit, le texte invite le juge à apprécier in concreto la situation du requérant.
– Les précisions du Conseil d'État. – Le Conseil d'État a eu à cœur de préciser rapidement les conditions de mise en œuvre de l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme dans un arrêt du 10 juin 2015 :
« Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien ; qu'il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; qu'il appartient ensuite au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ».
– Un intérêt à agir motivé est non contraire au droit au recours. – Incontestablement, les dispositions de l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme imposent au requérant un effort de motivation. Toutefois, elles ne sont pas de nature à restreindre significativement le droit au recours du voisin immédiat qui, en raison de « sa situation particulière » a « en principe intérêt à agir ».
Le degré d'exigence du juge va dépendre de la plus ou moins grande proximité du projet contesté car, en fonction de ce paramètre, l'intérêt peut aller de soi au regard des pièces du dossier ou requérir une argumentation plus étayée. Ainsi, les éléments attendus de voisins à proximité immédiate en vue d'établir leur intérêt à agir seront allégés.
Le propriétaire d'un terrain non construit peut être recevable à former un recours pour excès de pouvoir s'il apparaît que la construction projetée est, eu égard à ses caractéristiques et à la configuration des lieux, de nature à affecter les conditions de jouissance du bien.
La seule visibilité du projet ne donne pas nécessairement intérêt à agir au regard de la distance qui le sépare de la propriété du requérant.
La jurisprudence est abondante. Les deux arrêts suivants peuvent être cités pour en rendre compte :
  • CE, 18 mars 2019, no 4224, Commune de Montségur-sur-Lauzon : commet une erreur de droit le juge des référés qui relève, pour reconnaître l'intérêt à agir d'un voisin dont la propriété, située dans un secteur demeuré à l'état naturel, est séparée de celle des bénéficiaires du permis par une parcelle longue de 67 mètres et dont la maison est distante d'environ 200 mètres de la maison d'habitation dont la construction est autorisée par ce permis, que les boisements présents sur les terrains en cause ne suffisent pas pour occulter toute vue et tout bruit entre le terrain d'assiette de la construction et la propriété du requérant et que celui-ci indique avoir acquis cette propriété en raison de l'absence de voisinage ;
  • CE, 13 février 2019, no 410004 : commet une erreur de qualification juridique la cour qui rejette un recours faute d'intérêt à agir, au motif que sa maison d'habitation est distante d'environ 160 mètres de la parcelle d'assiette du projet et que la visibilité qu'il aura de la construction projetée sera très limitée compte tenu de la configuration des lieux et de la dimension de l'édifice, alors que le projet est situé dans un secteur naturel et que le requérant est le voisin immédiat de la construction projetée, dont il n'est séparé que par une parcelle non construite.

Quelques observations complémentaires

– Observations conclusives. – Pour conclure sur la question de l'intérêt à agir, les observations suivantes peuvent être formulées :
  • la loi ELAN a étendu les dispositions de l'article L. 600-1-2 du Code de l'urbanisme aux déclarations préalables ;
  • les dispositions de l'article L. 600-1-2 ne sont pas applicables aux recours associatifs, sauf dans l'hypothèse où l'association invoquerait sa qualité de voisine de la construction et non les intérêts qu'elle est chargée de défendre ;
  • le Conseil d'État admet qu'une personne qui ne fait état ni d'un acte de propriété, ni d'une promesse de vente, ni d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du Code de la construction et de l'habitation ne justifie pas d'un intérêt de nature à lui donner qualité pour demander l'annulation d'une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le Code de l'urbanisme, sauf à ce qu'elle puisse sérieusement revendiquer la propriété de ce bien devant le juge compétent ;
  • lorsqu'un requérant n'ayant pas contesté le permis initial attaque un permis de construire modificatif, son intérêt à agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par ce permis modificatif au projet de construction initialement autorisé ;
  • aux termes de l'article L. 600-1-4 du Code de l'urbanisme : « Lorsqu'il est saisi par une personne mentionnée à l'article L. 752-17 du code de commerce d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis de construire mentionné à l'article L. 452-4 du présent code, le juge administratif ne peut être saisi de conclusions tendant à l'annulation de ce permis qu'en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Les moyens relatifs à la régularisation de ce permis en tant qu'il vaut autorisation de construire sont irrecevables à l'appui de telles conclusions. Lorsqu'il est saisi par une personne mentionnée à l'article L. 600-1-2 d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le permis de construire mentionné à l'article L. 425-4, le juge administratif ne peut être saisi de conclusions tendant à l'annulation de ce permis qu'en tant qu'il vaut autorisation de construire. Les moyens relatifs à la régularité de ce permis en tant qu'il tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale sont irrecevables à l'appui de telles conclusions ».

La date de l'appréciation de l'intérêt à agir

– La fin de la constitution artificielle de l'intérêt à agir. – S'inspirant des dispositions de l'article L. 600-1-1 du Code de l'urbanisme relatives aux associations, l'ordonnance du 18 juillet 2013 fixe l'appréciation de l'intérêt à agir du requérant à la date d'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ou, depuis le décret no 2021-981 du 23 juillet 2021, à la date de la publication par voie électronique sur le site internet de la commune de la demande.
Avant la réforme, le Conseil d'État avait admis que la qualité de voisin ne soit acquise que postérieurement à l'achèvement de la construction.
Selon le rapport Labetoulle, cette disposition vise « à prévenir les recours malveillants et eux seuls. Il a en effet été constaté que certains requérants se constituent artificiellement un intérêt à agir en se portant acquéreurs ou locataires d'immeubles se situant dans le voisinage de la construction projetée, une fois l'autorisation acquise et portée à la connaissance des tiers par voie d'affichage ».
La règle n'est toutefois pas absolue. En effet, le requérant, confronté à des circonstances particulières, pourra justifier d'un intérêt à agir tardif.
Afin de prévenir les contestations sur la date d'affichage de la demande, l'article R. 424-5 du Code de l'urbanisme impose qu'elle figure sur l'autorisation d'urbanisme, tandis que l'article R. 424-13 exige qu'elle soit mentionnée sur le certificat attestant l'existence d'un permis tacite ou de non-opposition à déclaration préalable.