Les incertitudes jurisprudentielles

Les incertitudes jurisprudentielles

– La qualification de la division : le notaire acteur de la sécurisation du permis de construire . – Dans un arrêt du 2 avril 2020, la cour d'appel de Lyon, saisie de la question de la légalité d'un permis de construire modificatif prononçait, sur moyen d'ordre public soulevé d'office, l'impossibilité de régulariser ledit permis au motif que le permis de construire, même purgé de tous recours était affecté d'une illégalité de fond empêchant toute régularisation. Il était question de se positionner sur le point de savoir si la détermination de zone de jouissance privative était susceptible de constituer des divisions en jouissance au sens de l'article R. 431-24 du Code de l'urbanisme.
Selon la cour administrative d'appel de Lyon, un « jardin privatif » impliquerait un « droit de jouissance privative exclusif » imposant d'être pris en compte dans le plan de division à joindre à la demande de permis. La solution avait déjà été retenue par la Conseil d'État dans un arrêt Commune de la Clusaz mais portant là encore, et c'est bien la singularité de ces arrêts, sur des habitations individuelles (en l'occurrence des chalets).
Nous ne pouvons que souscrire au premier terme de la proposition. En revanche, il ne nous paraît pas possible de suivre la jurisprudence administrative dans une lecture trop exégétique de la notion de jouissance. Une jouissance exclusive et privative d'un terrain non assorti du droit de construire ne saurait rentrer dans le champ d'application des dispositions de l'article R. 431-24 du Code de l'urbanisme. Est-ce parce que ces arrêts ont été rendus dans des situations de construction d'habitat individuel que les juridictions administratives ont considéré que la plénitude de fait du droit de jouissance impose le recours au permis de construire valant division à peine d'encourir la sanction du contournement de la réglementation des lotissements ?
Cependant, à suivre cette position, la situation devrait être identique dans l'hypothèse où un programme immobilier collectif prévoirait des jardins privatifs en rez-de-chaussée.
Notre réfutation de cette appréciation tient à la fois à la nature du droit de jouissance en copropriété (fût-il privatif et exclusif) et à ce que nous considérons comme étant juridiquement une division en jouissance.
Le droit de jouissance d'un jardin en copropriété, sous l'empire de la loi no 65-557 du 10 juillet 1965 sur la copropriété des immeubles bâtis, constitue un droit de jouissance exclusif sur le sol, lequel n'est pas un droit de propriété. Il n'emporte pas ainsi le droit de construire dans le silence du règlement de copropriété. Le sol ainsi que les droits accessoires de construire et d'affouillement sont des parties communes.
Il suffit au demeurant de constater qu'aux termes de l'article 37-1 de la loi du 10 juillet 1965 précitée issu de la loi ELAN, le droit de construire ne peut faire l'objet d'une convention en copropriété sauf à constituer la partie privative d'un lot transitoire.
– Pour une extension de la jurisprudence Commune de Mareil-le-Guyon . – Dans un arrêt de rejet du 7 mars 2008, confirmant la jurisprudence de la cour d'appel de Versailles qui imposait le bénéfice d'un droit de construire consécutivement à l'opération de diviser, le Conseil d'État jugeait que « la construction par un seul maître d'ouvrage et sur un même terrain de cinq habitations, destinées exclusivement à être mises en location, ne constitue pas une division en jouissance de la propriété foncière au sens de l'article R. 421-7, dès lors que cette opération ne confère à chacun des locataires qu'un simple droit d'usage exclusif d'une maison individuelle et du terrain attenant, sans entraîner, par elle-même, de division foncière »
La cour d'appel de Bordeaux avait déjà eu l'occasion de relever, en 2001, que la privatisation de l'emprise au sol des habitations ne constituait pas en tant que telle une opération de division du sol.
La position de la cour d'appel de Lyon apparaît donc aujourd'hui comme contradictoire avec la position du Conseil d'État qui, à l'heure où nous écrivons ces lignes, n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer à nouveau sur cette question.
– Permis de construire valant division et lot transitoire . – D'origine jurisprudentielle et favorisé pour faciliter la conduite des opérations immobilières dans un contexte d'incertitude, le lot transitoire est un lot à part entière dont la création a été encadrée par la loi ELAN en 2018, modifiée par l'ordonnance de novembre 2019 et la loi 3DS (application de la loi ELAN aux seules copropriétés constituées après le 1er juillet 2022).
S'agissant d'un tel lot auquel est consubstantiellement attaché le droit de construire, à suivre la position de la cour administrative de Lyon, rien ne justifie que sa constitution (hors hypothèse de surélévation ou d'affouillement) soit assortie de la nécessité d'obtenir un permis de construire valant division.
Or, outre la problématique de la cohérence de ligne jurisprudentielle par rapport à ce que constitue un lot de copropriété comprenant un droit de jouissance, il s'agit bien là de la plus grande difficulté posée par cette jurisprudence.
En effet il est extrêmement rare, sauf hypothèses très spécifiques des permis valant division envisagés ab initio compte tenu d'une pluralité de maîtres d'ouvrage ou d'un choix délibéré d'organisation et de commercialisation, de connaître de façon précise l'organisation du futur ensemble immobilier et, partant, de rédiger le règlement de copropriété au stade du dépôt du permis de construire. Car si, comme le souligne Me Maxime Cornille : « La rédaction de l'état descriptif de division et du règlement de copropriété sont donc essentiels car ces documents contractuels vont venir caractériser la véritable nature de la division en jouissance… et donc la nécessité ou non d'obtenir un permis de construire valant division » en précisant que « C'est ici qu'intervient la subtilité dans la rédaction du règlement de copropriété par les notaires… », force est de constater que les notaires n'interviennent souvent qu'a posteriori et que l'instruction du permis de construire, sa délivrance et les éventuels recours ont tout lieu d'être confrontés à cette position prétorienne dont la généralisation à toute division en jouissance serait au mieux erronée et au pire source d'une grande insécurité juridique sauf à envisager un engagement de rappeler que le sol est une partie commune. Gageons que l'article 37-1 de la loi du 10 juillet 1965 et l'extension de la jurisprudence Commune de Mareil-le-Guyon limiteront l'impact réel de la jurisprudence rhône-alpine.