Le déploiement du numérique dans les enquêtes publiques

Le déploiement du numérique dans les enquêtes publiques

L'entrée progressive du numérique dans le droit des enquêtes publiques

– La numérisation partielle des enquêtes publiques. – Les débuts du numérique dans le droit des enquêtes publiques remontent seulement à la loi no 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite aussi « loi Grenelle 2 », et aux deux décrets du 29 décembre 2011 pris pour son application.
L'entrée du numérique dans le droit des enquêtes publiques est toutefois restée très mesurée, le registre papier, coté et paraphé, étant demeuré la modalité majoritaire et traditionnelle du recueil des retours du public sur un projet.
Pour les enquêtes publiques du Code de l'environnement, l'accélération du recours à la dématérialisation a été lancée par l'ordonnance no 2016-1060 du 3 août 2016 portant réforme des procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de certaines décisions susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement. La loi d'habilitation no 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques en faisait un objectif prioritaire pour « faire en sorte que le processus d'élaboration des projets soit plus transparent et l'effectivité de la participation du public à cette élaboration, mieux assurée », tout en tenant compte toutefois de la « fracture numérique » et tout en réaffirmant « l'importance de la présence du commissaire-enquêteur ».
Conformément à ces objectifs, la dématérialisation s'est généralisée sans évincer de la procédure le papier et les réunions en présentiel. Le dossier est en effet mis en ligne pendant toute la durée de l'enquête, mais il demeure consultable sur support-papier, avec en outre un accès gratuit sur un ou des postes informatiques mis à disposition du public. Quant aux permanences assurées par le commissaire-enquêteur, elles sont présentées comme incontournables pour la bonne conduite des enquêtes.

La consécration du numérique avec la participation du public par voie électronique

– Consécration législative. – Il s'agit ici d'un tout autre mode de consultation du public qui, après une période d'expérimentation, a été consacré par la loi dite « ASAP » en permettant aux préfets de choisir entre les deux formules (enquête publique ou participation du public par voie électronique) en fonction des « impacts » du projet « sur l'environnement ainsi que des enjeux socio-économiques qui s'y attachent ou de ses impacts sur le territoire » lorsque celui-ci est soumis à évaluation environnementale mais dispensé d'une enquête publique.
Si la loi ASAP du 7 décembre 2020 a élargi le champ d'application de la participation du public par voie électronique, faisant dire à certains que ce mode de participation était devenu le principe et l'enquête publique l'exception, la loi Industrie verte du 23 octobre 2023 a réduit au contraire son périmètre en créant un nouveau mode de consultation du public, tout en s'en inspirant néanmoins.
– Champ d'application. – Le champ d'application de la participation du public par voie électronique est défini à l'article L. 123-19 du Code de l'environnement :
  • projets faisant l'objet d'une évaluation environnementale mais qui sont exemptés d'enquête publique en application de l'article L. 123-2, I, 1° du Code de l'environnement ; nous renvoyons à ce sujet au champ d'application de l'enquête publique évoqué plus haut.
  • Également, si un projet a déjà fait l'objet d'une enquête publique lors de son autorisation ou lors de sa première autorisation, et qu'il nécessite l'actualisation de l'étude d'impact suite à des évolutions, le Code de l'environnement (art. L. 122-1-1, III) n'oblige pas le maître d'ouvrage à organiser une nouvelle enquête publique, mais une simple mise à disposition par voie électronique ;
  • la participation du public par voie électronique s'applique en outre aux plans et programmes qui font l'objet d'une évaluation environnementale mais qui ne sont pas soumis à enquête publique, tels que les projets de création d'unités touristiques nouvelles soumises à autorisation ;
  • l'article L. 103-1 du Code de l'urbanisme renvoie encore à cette procédure organisée par le Code de l'environnement pour les décisions des autorités publiques en matière d'urbanisme ayant une incidence sur l'environnement mais qui échappent, de par la réglementation qui leur est propre, à toute participation du public. Ce domaine résiduel, bien difficile à cerner, n'échappe donc pas à l'information du public par la voie du numérique.
– Procédure. – Le public est informé quinze jours à l'avance de l'ouverture d'une participation électronique du public sur un projet. Le contenu du dossier est identique à celui d'une enquête traditionnelle.
Mais l'information et la participation du public par cette voie sont loin d'être totalement dématérialisées. En effet, par souci légitime de la fracture numérique, l'information de l'ouverture de la procédure sur internet est doublée d'un affichage, et un exemplaire papier du dossier est mis à disposition du public.
La durée de la procédure est au minimum de trente jours.
– Prise en compte de la consultation. – L'autorité compétente pour ouvrir la procédure doit, à l'issue de la consultation, rédiger une synthèse des observations et propositions qui auront été émises par le public.
Une fois la décision prise, l'autorité compétente la rend publique dès sa publication et pendant une durée de trois mois, accompagnée de la synthèse des observations et propositions du public, de l'indication de celles dont il a été tenu compte et des motifs de sa décision.
– Analyse critique. – La différence majeure avec la procédure classique d'enquête publique, outre la réduction des lourdeurs administratives et des délais, réside dans l'absence de commissaire-enquêteur, induisant l'absence de consultations, de réunion publique et surtout de rapport et d'un avis personnel dans le cadre de conclusions motivées, ce qui peut être vu comme une régression du droit de la participation du public au détriment de la protection de l'environnement.
Le porteur de projet ne bénéficie plus de l'avis motivé d'une tierce personne et de ses éventuelles réserves pouvant être un facteur d'amélioration du projet. Il doit faire lui-même la synthèse des observations recueillies auprès du public, dont la prise en compte dans sa décision finale n'est pas garantie. Or la prise en compte des observations et avis du public dans l'adoption de la décision est substantielle de la démocratie participative.
Si cette réforme a été saluée par les opérateurs, elle a été au contraire décriée par les associations de protection de l'environnement comme marquant un recul de la démocratie environnementale.
La participation du public par voie électronique concerne principalement les projets relevant de la législation sur les ICPE, dans l'objectif de faciliter les implantations industrielles et d'accélérer les énergies renouvelables. Elle résulte du phénomène d'accélération des procédures qui a suivi celui de la simplification des normes. Présentée comme ne devant concerner que deux cent cinquante projets par an, cette procédure simplifiée concerne en réalité 80 % des projets industriels du droit de l'environnement.
Mais, à peine trois ans après la loi ASAP, la loi Industrie verte du 23 octobre 2023 est venue à nouveau modifier le paysage de la participation du public en créant une procédure hybride : la consultation du public. Face aux enjeux d'accélération des énergies renouvelables et surtout de souveraineté nationale en matière d'industrie décarbonée, il s'agit d'accélérer la réalisation des projets, et la phase de participation du public apparaît comme souvent une variable d'ajustement…