Le champ d'application de la dérogation « espèces protégées »

Le champ d'application de la dérogation « espèces protégées »

– La présence d'une espèce protégée quels qu'en soient le nombre et la qualité de conservation. – Dans un avis du 9 décembre 2022 rendu dans le cadre d'un contentieux sur la demande d'autorisation environnementale d'un parc éolien, le Conseil d'État est venu préciser le champ d'application de la dérogation « espèces protégées » en considérant que la protection joue indépendamment du nombre de spécimens identifié sur le site en question, et indépendamment de la qualité de l'état de conservation de la population.
« Petites bêtes contre grands chantiers », c'est par cette formule que le rapporteur public Nicolas Agnoux a illustré l'avis du Conseil d'État qui retient un principe de protection des espèces quelle que soit l'envergure de leur présence sur le site.
– Mais qui présente un risque suffisamment caractérisé. – Le Conseil d'État précise ensuite que le mécanisme de protection ne doit toutefois être déclenché que si un seuil minimal d'intensité est atteint. L'identification d'un risque doit être « suffisamment caractérisée ». Si cette solution peut paraître favorable aux porteurs de projet, elle nécessite néanmoins un examen au cas par cas qui peut s'avérer subjectif, en l'absence de fixation de quota maximum de spécimens affectés.
– Eu égard aux mesures d'évitement et de réduction. – Enfin, pour apprécier si une demande de dérogation doit être effectuée, le Conseil d'État précise que tant les mesures d'évitement que celles de réduction qui sont proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte pour apprécier si le risque d'atteinte est suffisamment caractérisé, dès lors toutefois que ces mesures présentent des garanties de respect et d'efficacité, y compris dans la durée.
Le juge administratif va prendre en compte les différentes phases d'exploitation de l'installation ainsi que le résultat final pour vérifier si ces mesures d'évitement et de réduction sont pérennes et mesurables dans le temps. La prise en compte de la temporalité est un élément essentiel. Le rapporteur public, sous cet avis du Conseil d'État, précise ainsi que « l'effectivité des mesures de réduction doit pouvoir être contrôlée dans la durée, sur la base d'un suivi que l'étude d'impact aura programmé ».
Quant aux mesures de compensation, elles ne sont pas retenues puisqu'elles n'empêchent pas la destruction. Ainsi, dans un arrêt rendu par le tribunal administratif de Grenoble qui faisait application de l'avis rendu par le Conseil d'État, concernant l'aménagement de l'EcoParc du Genevois sur deux communes de Haute-Savoie, le juge a considéré que les mesures proposées par le pétitionnaire pour minimiser l'atteinte portée aux espèces protégées constituaient des mesures de compensation et non pas des mesures d'évitement ou de réduction, et d'en conclure que « dans ces conditions, le risque que le projet en cause comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé ».
– Une appréciation qui pèse sur le porteur de projet. – En pratique, dès lors qu'une seule espèce animale ou végétale figurant sur la liste des espèces protégées aura été identifiée sur le site du projet, le maître d'ouvrage devra mener une appréciation du risque d'atteinte à/aux espèce(s). Et si ce risque d'atteinte est caractérisé malgré les mesures d'évitement ou de réduction pouvant être mises en œuvre, une demande de dérogation devra être effectuée.
Cette appréciation relève de la responsabilité du pétitionnaire au moment de la demande d'autorisation environnementale, sous le double contrôle de l'administration, et du juge en cas de contentieux.
Eu égard aux critères énoncés par l'avis du Conseil d'État, notamment aux « garanties d'effectivités » des mesures d'évitement et de réduction, les porteurs de projet doivent s'appuyer sur des bureaux d'études spécialisés qui seront en capacité de démontrer avec méthode l'effectivité des résultats attendus, de « justifier que ces mesures ont déjà été éprouvées, à données équivalentes (même typologie de projet, sensibilité écologique similaire du site, spécificités locales) ».
L'accompagnement de spécialistes en la matière est nécessaire, car ce sujet fait peser un risque très lourd sur le porteur de projet en raison des sanctions pénales qui y sont attachées. Il doit juger lui-même du risque et de sa qualification, d'autant qu'aucune aide spécifique de l'administration n'est organisée, à la différence du cadrage préalable prévu en matière d'autorisation environnementale.