La dérogation « espèces protégées »

La dérogation « espèces protégées »

– La « bête noire » des opérateurs. – La destruction d'espèces animales ou végétales, ou de leurs habitats, qui figurent sur des listes établies par décrets en Conseil d'État à l'échelle nationale, régionale et départementale, est interdite par l'article L. 411-1 du Code de l'environnement.
Il s'agit de l'un des volets de la protection des espèces qui résulte là encore d'une transposition en droit interne de directives européennes, en l'occurrence la directive « Habitats » du 21 mai 1992 et la directive « Oiseaux » du 30 novembre 2009 ; l'autre volet étant la mise en place des sites Natura 2000.
Ce principe de protection intégrale des espèces dites « protégées » peut néanmoins faire l'objet de dérogations pour certains projets et sous certaines conditions, dérogations sans lesquelles quasiment plus aucun projet ne serait possible.
Le régime de dérogation étant très exigeant, il est primordial pour le porteur de projet de déterminer si une demande de dérogation est obligatoire ou s'il peut s'en dispenser. La légalité et la faisabilité de son projet en dépendent tant en amont qu'au cours de son chantier, et même au cours de l'exploitation de l'installation.

Le champ d'application de la dérogation « espèces protégées »

– La présence d'une espèce protégée quels qu'en soient le nombre et la qualité de conservation. – Dans un avis du 9 décembre 2022 rendu dans le cadre d'un contentieux sur la demande d'autorisation environnementale d'un parc éolien, le Conseil d'État est venu préciser le champ d'application de la dérogation « espèces protégées » en considérant que la protection joue indépendamment du nombre de spécimens identifié sur le site en question, et indépendamment de la qualité de l'état de conservation de la population.
« Petites bêtes contre grands chantiers », c'est par cette formule que le rapporteur public Nicolas Agnoux a illustré l'avis du Conseil d'État qui retient un principe de protection des espèces quelle que soit l'envergure de leur présence sur le site.
– Mais qui présente un risque suffisamment caractérisé. – Le Conseil d'État précise ensuite que le mécanisme de protection ne doit toutefois être déclenché que si un seuil minimal d'intensité est atteint. L'identification d'un risque doit être « suffisamment caractérisée ». Si cette solution peut paraître favorable aux porteurs de projet, elle nécessite néanmoins un examen au cas par cas qui peut s'avérer subjectif, en l'absence de fixation de quota maximum de spécimens affectés.
– Eu égard aux mesures d'évitement et de réduction. – Enfin, pour apprécier si une demande de dérogation doit être effectuée, le Conseil d'État précise que tant les mesures d'évitement que celles de réduction qui sont proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte pour apprécier si le risque d'atteinte est suffisamment caractérisé, dès lors toutefois que ces mesures présentent des garanties de respect et d'efficacité, y compris dans la durée.
Le juge administratif va prendre en compte les différentes phases d'exploitation de l'installation ainsi que le résultat final pour vérifier si ces mesures d'évitement et de réduction sont pérennes et mesurables dans le temps. La prise en compte de la temporalité est un élément essentiel. Le rapporteur public, sous cet avis du Conseil d'État, précise ainsi que « l'effectivité des mesures de réduction doit pouvoir être contrôlée dans la durée, sur la base d'un suivi que l'étude d'impact aura programmé ».
Quant aux mesures de compensation, elles ne sont pas retenues puisqu'elles n'empêchent pas la destruction. Ainsi, dans un arrêt rendu par le tribunal administratif de Grenoble qui faisait application de l'avis rendu par le Conseil d'État, concernant l'aménagement de l'EcoParc du Genevois sur deux communes de Haute-Savoie, le juge a considéré que les mesures proposées par le pétitionnaire pour minimiser l'atteinte portée aux espèces protégées constituaient des mesures de compensation et non pas des mesures d'évitement ou de réduction, et d'en conclure que « dans ces conditions, le risque que le projet en cause comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé ».
– Une appréciation qui pèse sur le porteur de projet. – En pratique, dès lors qu'une seule espèce animale ou végétale figurant sur la liste des espèces protégées aura été identifiée sur le site du projet, le maître d'ouvrage devra mener une appréciation du risque d'atteinte à/aux espèce(s). Et si ce risque d'atteinte est caractérisé malgré les mesures d'évitement ou de réduction pouvant être mises en œuvre, une demande de dérogation devra être effectuée.
Cette appréciation relève de la responsabilité du pétitionnaire au moment de la demande d'autorisation environnementale, sous le double contrôle de l'administration, et du juge en cas de contentieux.
Eu égard aux critères énoncés par l'avis du Conseil d'État, notamment aux « garanties d'effectivités » des mesures d'évitement et de réduction, les porteurs de projet doivent s'appuyer sur des bureaux d'études spécialisés qui seront en capacité de démontrer avec méthode l'effectivité des résultats attendus, de « justifier que ces mesures ont déjà été éprouvées, à données équivalentes (même typologie de projet, sensibilité écologique similaire du site, spécificités locales) ».
L'accompagnement de spécialistes en la matière est nécessaire, car ce sujet fait peser un risque très lourd sur le porteur de projet en raison des sanctions pénales qui y sont attachées. Il doit juger lui-même du risque et de sa qualification, d'autant qu'aucune aide spécifique de l'administration n'est organisée, à la différence du cadrage préalable prévu en matière d'autorisation environnementale.

Les conditions et les motifs de dérogation « espèces protégées »

Une fois le risque identifié, une dérogation peut être sollicitée, en vertu de l'article L. 411-2, 4° du Code de l'environnement si le projet répond à un intérêt précisé par la loi, en l'absence de toute autre solution alternative satisfaisante et à la condition que l'état de conservation des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ne soit pas dégradé par le projet.
Avant d'étudier les deux conditions cumulatives d'octroi d'une dérogation « espèces protégées », il convient de vérifier si cette dérogation est justifiée.

Les motifs alternatifs justifiant une dérogation

Les dérogations doivent être justifiées au regard de l'un des cinq motifs alternatifs suivants :
  • motif scientifique : des dérogations peuvent être accordées « à des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction » des espèces protégées. Sont visés les prélèvements qui sont effectués à titre scientifique ;
  • motif écologique : des dérogations sont également possibles « dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages » et de la conservation de leurs habitats naturels. Est visée par exemple la capture de certains spécimens ;
  • motif agricole : il s'agit en l'occurrence de « prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ». On peut citer comme exemples les grands cormorans qui ont occasionné des dégâts à l'égard de l'aquaculture, ou les loups pour le pastoralisme ;
  • motif quantitatif et sélectif : cette dérogation, strictement encadrée, est possible « pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens » ;
  • Mmotif impératif d'intérêt public majeur : en dernier lieu, nous nous arrêterons sur la raison impérative d'intérêt public majeur (RIIPM) qui nous intéresse plus particulièrement en matière de projets d'aménagement ou de construction : des dérogations peuvent être accordées « dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques » ou pour d'autres « raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ».
Cette notion de RIIPM est difficile à remplir car les tribunaux en font une interprétation stricte et au cas par cas. L'étude de cette jurisprudence permet toutefois d'éclairer cette notion qui n'est pas définie par les textes.
Une raison impérative d'intérêt public majeur peut être de nature économique et sociale, liée au besoin d'une politique publique, mais qui doit être d'une telle importance qu'elle puisse justifier l'atteinte à une ou des espèce(s) protégée(s).
La RIIPM est devenue un préalable indispensable à l'examen des autres conditions susvisées de l'article L. 411-2, 4° du Code de l'environnement.
Avec sa décision du 27 décembre 2022, le Conseil d'État a mis un coup d'arrêt au projet « Val Tolosa » initié vingt ans auparavant et qui prévoyait l'implantation d'un centre commercial de plus de 63 000 m² de surface de vente réunissant cent cinquante enseignes sur la commune de Plaisance-du-Touch. Deux dérogations « espèces protégées » avaient successivement été délivrées par le préfet en 2013 et en 2017, puis avaient fait l'objet de recours ayant abouti au constat de l'illégalité de ces dérogations, pour absence d'intérêt public majeur du projet. Il ressort de cet arrêt que si un tel projet privé peut présenter un intérêt public majeur, cela ne peut résulter que de circonstances exceptionnelles d'une dimension autre que commerciale. Le projet, pour recevoir cette qualification, ne doit pas être purement commercial et doit également concourir à la satisfaction de l'intérêt général. Or dans les faits, il sera très difficile de remplir ces critères pour l'implantation de projets commerciaux… Les tribunaux s'attachent à vérifier la présence des sites et de l'offre commerciale existants à proximité qui permettent déjà de satisfaire les besoins de la clientèle pour refuser de nouvelles implantations qui porteraient atteinte à des espèces protégées.
Les premiers arrêts marquants en la matière ne datent que de 2018 pour la transposition par la France de la directive « Habitats », puis de 2019 pour la Cour de justice de l'Union européenne. La tardiveté de cette jurisprudence a généré une grande réticence de la part de l'Administration française pour délivrer des dérogations de crainte de condamnation de la part de l'Europe.
Si la jurisprudence issue de l'arrêt Val Tolosa est maintenant stabilisée et donne une méthode d'analyse de la RIIPM, celle-ci dépend néanmoins d'une analyse in concreto des enjeux en présence, et par conséquent d'une part inévitable de subjectivité.
Afin de ne pas obérer l’accélération souhaitée pour la production par la France d’énergies renouvelables, le législateur a pris soin de qualifier de « RIIPM présumée » ces projets dans le cadre de la loi du 10 mars 2023. Alors que cette loi permet aux projets d’énergies renouvelables de bénéficier d’une présomption de RIIPM, la loi relative à l’industrie verte du 23 octobre 2023 est allée plus loin en reconnaissant la qualification de RIIPM (et non plus simplement d’une présomption) à un stade amont de la procédure aux projets d’installations industrielles (ainsi qu’à leurs travaux d’infrastructure et de raccordement électrique) soit dans le cadre de la déclaration de projet de l’article L. 300-6 du Code de l’urbanisme, soit dans le cadre de la déclaration d’utilité publique d’un projet, soit encore dans le cadre des projets déclarés d’intérêt national majeur issus de cette même loi. Cette reconnaissance de la RIIPM ne pourra par ailleurs être contestée qu’au stade de la déclaration de projet, de la DUP ou du décret qualifiant le projet d’intérêt national majeur, soit bien avant la finalisation du dossier d’autorisation et l’engagement de la phase travaux.
– Méthode de qualification de la RIIPM. – On peut dégager de cette jurisprudence une méthode permettant d'analyser le projet et de qualifier ou non une raison impérative d'intérêt public majeur.
  • Le projet doit être d'une grande ampleur pour recevoir cette qualification : la Cour de justice de l'Union européenne met en balance les intérêts en présence pour vérifier si les intérêts socio-économiques du projet peuvent ou non l'emporter sur les enjeux environnementaux de protection des espèces.
  • Le projet doit concourir à l'intérêt général : pour déterminer cette dernière condition, le projet doit être analysé en soi mais également dans son contexte. Les juges appliquent la même méthode d'analyse, qu'il s'agisse de projets publics ou privés, ou encore de projets qui in fine sont utiles à la protection de l'environnement comme les éoliennes.
La création d'emplois n'est pas à elle seule un motif d'intérêt général qui va permettre de qualifier la RIIPM ; pour cela, il faut que les créations d'emplois aient des répercussions importantes sur le territoire concerné. Le projet doit apporter quelque chose au territoire eu égard aux besoins de la population et aux installations ou exploitations similaires existantes.
Il aura enfin plus de chance de recevoir cette qualification s'il s'inscrit dans une politique publique d'une certaine ampleur. À l'inverse, un projet « ordinaire » d'un promoteur immobilier de construction de quelques dizaines de logements ou celui d'un industriel qui veut réaliser une extension auront peu de chance d'obtenir une dérogation malgré la création de logements et la création d'emplois supplémentaires.
Il y a là un paradoxe, souligné par le CRIDON de Paris, qui résulte de cette jurisprudence. En effet, les petits projets alors qualifiés d'ordinaires ne répondront pas à la qualification de RIIPM alors qu'ils ont un impact généralement moins important sur l'environnement et qu'ils se trouvent souvent en zone déjà urbanisée, alors que les projets de grande envergure vont s'implanter sur de vastes fonciers situés en périphérie des zones urbanisées.
La raison de ce paradoxe résulte du fait que les auteurs de la directive « Habitats » n'ont envisagé les espèces protégées que dans les zones naturelles, mais pas dans celles déjà urbanisées. Or l'évolution de l'urbanisme engendre(ra) des habitats de plus en plus favorables aux habitats des espèces avec les trames vertes, les îlots de fraîcheur, la protection des arbres, l'agriculture urbaine, avec tout ce qui concourt à la végétalisation des villes.
On pourra objecter que les projets de moindre importance, s'il ne s'agit pas d'une ICPE, d'un ouvrage de production d'énergie, de mines ou de carrières, ne sont pas soumis à évaluation environnementale ni même à examen au cas par cas qui suppose une taille d'au moins 10 000 m² pour les projets de construction. Or ce n'est qu'à l'occasion de ces études environnementales qu'une étude d'impact et donc une étude faune-flore sera réalisée et permettra d'identifier le cas échéant la présence d'espèces protégées.
Cette objection ne tiendra néanmoins pas devant le recours d'une association de protection de l'environnement qui aurait connaissance de la présence d'une telle espèce sur le site ou désormais… avec la « clause filet ».
On peut relever également que si le projet s'insère dans une opération d'urbanisme d'initiative publique ou portée politiquement par la collectivité, il aura davantage de chance d'obtenir le sésame de RIIPM et ainsi d'obtenir la dérogation « espèces protégées ».

Les conditions cumulatives de dérogation

Justifiée par l'une des raisons susvisées, la dérogation ne pourra par ailleurs être accordée que si elle remplit les deux conditions suivantes.
– L'absence d'autre solution satisfaisante. – Une dérogation, qui peut aller jusqu'à permettre la destruction d'une espèce protégée, ne peut être accordée que s'il n'existe aucune autre solution satisfaisante. Le juge effectue sur ce point un contrôle manifeste d'appréciation et vérifie si d'autres solutions ont déjà été mises en œuvre. La loi du 8 août 2016 sur la reconquête de la biodiversité a ajouté la possibilité d'avoir recours à un tiers expert pour analyser cette condition, à la demande de l'autorité administrative et aux frais du pétitionnaire.
Le pétitionnaire doit démontrer qu'il a étudié différentes options. Par exemple, les travaux du village des médias pour les Jeux olympiques de Paris ont été interrompus car la dérogation « espèces protégées » avait été jugée irrégulière dans la mesure où son implantation n'avait pas été suffisamment justifiée. À l'inverse, l'implantation d'éoliennes à Yeu et Noirmoutier a été acceptée car l'opérateur avait étudié différentes autres implantations et avait réduit l'emprise initiale du projet.
Il est certain qu'il sera beaucoup plus difficile pour un opérateur privé qui ne dispose pour son projet que d'un seul foncier de pouvoir justifier l'absence d'autre solution satisfaisante en termes d'implantation. Là encore, le projet public qui pourra bénéficier du recours à l'expropriation sera favorisé. Comme le souligne le CRIDON de Paris, « la condition de l'absence de solution alternative heurte de plein fouet le droit de propriété ».
– Le maintien d'un état de conservation favorable. – La dérogation ne doit pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des espèces protégées dans leur aire de répartition naturelle. Ainsi l'atteinte portée par le projet aux espèces et/ou à leur habitat ne doit pas aboutir à la disparition ou la mise en danger de celles-ci.
Deux questions sont sous-jacentes à cette condition :
  • la question de l'échelle géographique de l'évaluation de cette conservation. Il s'agit de savoir si l'espèce doit être maintenue localement ou si elle peut être déplacée. Si l'échelle de protection est locale, la dérogation sera plus difficile à obtenir. Le Conseil d'État ne s'est pas encore prononcé sur cette question. On peut toutefois citer un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux qui s'est prononcée en faveur de l'échelle locale ;
  • la question de l'état de conservation initial de l'espèce. En pratique, des dérogations peuvent être octroyées même pour une population qui n'est pas dans un état de conservation favorable, dès lors que le projet n'est pas de nature à aggraver cette situation.

La délivrance de la dérogation « espèces protégées »

– L'analyse de l'atteinte aux espèces protégées. – L'autorité compétente va devoir, dans le cadre de l'instruction de la demande de dérogation, réaliser un bilan coût/avantage et apprécier « les atteintes que le projet est susceptible de porter aux espèces protégées, compte tenu, notamment, des mesures d'évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire, et de l'état de conservation des espèces concernées ». Dans le cadre de cette question de proportionnalité, les mesures de compensation proposées par le pétitionnaire, ainsi que l'état de conservation dans lequel se trouve l'espèce concernée retrouvent ici de leur intérêt.
– L'autorité compétente pour délivrer la dérogation. – Les dérogations sont en principe délivrées par le préfet du département du lieu du projet, sauf compétence ministérielle pour des espèces listées de vertébrés menacés d'extinction ou pour des opérations à des fins de recherche et d'éducation menées par des personnes morales placées sous le contrôle ou la tutelle de l'État sur le territoire de plus de dix départements.
La décision rendue par le préfet doit être motivée et le silence gardé par celui-ci pendant quatre mois vaut rejet de la demande de dérogation.
La dérogation est accordée en principe pour une durée limitée mais renouvelable.
– La participation du public à un projet de dérogation. – Depuis 2013, les dérogations à la protection des espèces protégées doivent faire l'objet d'une participation du public, qui consiste en une participation du public par voie électronique.
– L'articulation de la dérogation « espèces protégées » avec l'autorisation environnementale unique. – Lorsque la dérogation concerne un projet qui entre dans le champ d'application d'une autorisation environnementale, celle-ci tiendra lieu de dérogation et la demande sera instruite et délivrée conformément aux règles de l'autorisation environnementale. Ainsi pour les ICPE ou IOTA notamment, la dérogation « espèces protégées » va se fondre dans l'autorisation environnementale unique et l'instruction de la dérogation se fera dans le délai d'instruction de ladite autorisation (soit neuf mois minimum).

L'articulation avec le Code de l'urbanisme

– L'autonomie relative de la dérogation « espèces protégées » avec l'autorisation d'urbanisme. – Si la dérogation peut être intégrée à une autorisation environnementale unique, en revanche elle ne peut pas être intégrée dans un dossier de demande d'une autorisation d'urbanisme, tel un permis de construire ou d'aménager. Dans une telle hypothèse, le pétitionnaire devra déposer une demande de dérogation « espèces protégées » spécifique indépendamment de son dossier d'urbanisme.
Et ce malgré les termes de l'article R. 111-26 du Code de l'urbanisme qui sont d'ordre public et qui imposent au permis de construire ou d'aménager ou à la décision de non-opposition à une déclaration préalable de respecter les préoccupations environnementales, et de comporter des mesures prescriptives et notamment des mesures d'évitement, de réduction et de compensation.
Le dossier de demande d'autorisation d'urbanisme doit néanmoins préciser si les travaux font l'objet d'une dérogation au titre des espèces protégées.
– L'impact de la dérogation « espèces protégées » sur le calendrier de l'opération. – Si cette demande de dérogation n'a pas à être sollicitée avant le dépôt ni même avant l'obtention de l'autorisation d'urbanisme, il est essentiel pour le maître d'ouvrage d'anticiper et de l'intégrer dans le calendrier de son opération.
L'intégration du processus d'autorisation au titre de la dérogation « espèces protégées » est essentielle pour le maître d'ouvrage dans la mesure où l'autorisation d'urbanisme délivrée et purgée de tous recours ne pourra néanmoins pas être mise en œuvre avant la délivrance de cette dérogation, sous peine de commencer les travaux de manière illégale. Le non-respect de cette obligation exposerait ainsi le maître d'ouvrage à des sanctions pénales et le juge pourrait interrompre un chantier qui aurait démarré sans la dérogation requise.
L'obtention d'un permis de construire ou d'un permis d'aménager définitif ne sera donc pas une condition suffisante pour permettre au pétitionnaire de réaliser le projet pour lequel il acquiert un foncier ; le notaire rédacteur de la promesse devra par conséquent envisager, en accord avec les parties, une condition suspensive relative à l'obtention d'une telle dérogation pour les projets qui comportent en eux un risque d'atteinte caractérisée aux espèces protégées et à leur habitat.

La dérogation « espèces protégées » dans le temps

– Le moment de la demande. – Ce point n'a pas été précisé par le législateur. En pratique, la demande sera effectuée par le porteur de projet au moment de la demande d'autorisation environnementale si le projet entre dans son champ d'application. L'alerte peut aussi émaner de l'autorité administrative lorsqu'elle délivre son avis sur l'étude d'impact, ou de tiers dans le cadre de l'enquête publique.
La demande peut être plus tardive et être effectuée au moment de l'instruction de l'autorisation d'urbanisme, voire même pendant les travaux si une espèce protégée est découverte à ce moment.
– Le moment des mesures prescrites. – La dérogation « espèces protégées » a généralement un impact sur le calendrier de l'opération en obligeant le maître d'ouvrage à « phaser » ses interventions en fonction des saisons, notamment de reproduction des espèces.
– Le transfert de la dérogation. – Le bénéficiaire d'une dérogation peut la transférer à une autre personne qui doit alors déclarer ce transfert au préfet (ou au ministre de l'Écologie) un mois avant la date d'effet de ce transfert. La dérogation est en effet davantage attachée au projet qu'à la personne du bénéficiaire.
Pendant ce délai, l'autorité compétente soit délivre un récépissé, soit refuse le transfert si le nouveau bénéficiaire ne justifie pas de capacités suffisantes pour garantir le respect des conditions d'obtention de la dérogation et notamment des mesures ERC.
– Le contrôle de la dérogation dans le temps. – Or, ce sont précisément ces mesures et notamment les obligations de compensation qui peuvent complexifier un transfert de la dérogation qui, ne l'oublions pas, est une autorisation qui va non seulement concerner la vie du chantier mais aussi le temps de l'exploitation de l'activité ou la durée de vie de l'ouvrage afin de permettre à l'autorité administrative de vérifier le respect des mesures prescrites, ainsi que l'impact de l'exploitation sur les espèces et leur habitat. La difficulté sera particulièrement prégnante en cas de transfert partiel à un grand nombre de bénéficiaires, comme cela sera le cas au moment de la vente des logements issus d'un programme immobilier. Comment alors répartir sur chacun des acquéreurs la mise en œuvre et le suivi des mesures ERC ? Aucune jurisprudence n'est à ce jour établie sur le sujet et le champ des possibles reste ouvert.
– La modification du projet. – L'article R. 411-10-1 du Code de l'environnement envisage l'hypothèse où l'activité ou les travaux ayant bénéficié d'une dérogation ont évolué : toute modification substantielle du projet, qu'elle ait lieu avant sa réalisation ou pendant son exploitation, est subordonnée à la délivrance d'une nouvelle dérogation.
Est considéré comme substantielle :
  • une extension de l'ouvrage ou de l'installation qui le fait passer au-delà des seuils figurant dans les rubriques de l'examen au cas par cas ou de l'évaluation environnementale systématique ;
  • un ouvrage ou des travaux atteignant des seuils quantitatifs et répondant à des critères fixés par arrêté ministériel ;
  • la modification de nature à entraîner des dangers et inconvénients significatifs pour les intérêts environnementaux.
Quant aux modifications non substantielles, elles doivent néanmoins être portées à la connaissance de l'autorité compétente qui imposera le cas échéant des prescriptions complémentaires. Il s'agira des hypothèses dans lesquelles la modification n'affecte pas l'économie générale du projet.
Le bénéficiaire de la dérogation peut de son côté demander des adaptations des prescriptions qui lui ont été imposées si son projet a évolué.
Le silence gardé par le préfet pendant plus de deux mois vaut décision implicite de rejet.
Il conviendra, dans ces situations, de porter une attention particulière sur le délai de validité de l'autorisation d'urbanisme initiale du projet dans la mesure où une régularisation importante et/ou un permis de construire modificatif qui nécessiterait une nouvelle dérogation « espèces protégées » ou une modification de celle-ci ne permettront pas pour autant de faire courir un nouveau délai de validité de l'autorisation d'urbanisme.
– L'installation de nouvelles espèces. – La difficulté de l'exercice pour le porteur de projet tient également au fait que des espèces protégées, non identifiées en amont, peuvent s'installer après le début des travaux voire pendant le cours de l'exploitation de l'installation. On citera par exemple les travaux de terres découvertes dans les carrières ou l'excavation de terres polluées dans le cadre de la reconversion d'une friche industrielle qui deviennent l'habitat idéal de certaines espèces.
La Cour de justice de l'Union européenne a, au surplus, jugé que le régime de la directive « Habitats » est applicable aux espèces qui quittent leur habitat naturel pour s'installer dans des zones de peuplement humain. Ainsi le chantier de construction de logements sociaux à côté du parc de la Courneuve en Seine-Saint-Denis fut interrompu plusieurs mois à cause de crapauds calamites qui avaient quitté l'étang du parc voisin pour hiberner sur le chantier après de fortes pluies et l'arrivée du froid !
Si les espèces en question étaient déjà présentes dans l'aire géographique du projet, le maître d'ouvrage doit régulariser la situation pour que son activité puisse reprendre.
Si les espèces sont apparues postérieurement à la délivrance de l'autorisation, le juge aura le choix de délivrer une dérogation pour permettre la poursuite de l'activité ou d'imposer la cessation d'activité avec une remise en état du site dont les modalités seront remises en cause par cette découverte.

Les sanctions pénales du non-respect des espèces protégées

– Les sanctions pénales encourues par les maîtres d'ouvrage. – Ces sanctions pénales sont lourdes pour les porteurs de projet qui portent également la responsabilité de la qualification des faits nécessitant ou pas d'effectuer une demande de dérogation.
Et ce d'autant que le juge civil français considère que le délit de destruction d'espèces protégées est caractérisé, d'une part, dans son élément matériel dès lors qu'un seul spécimen est détruit sans tenir compte notamment de l'impact de cette destruction sur l'état global de conservation de l'espèce en cause et, d'autre part, sur la seule faute d'imprudence.
Les sanctions pénales vont d'un à trois ans d'emprisonnement et de 15 000 à 150 000 € d'amende.
– Délivrance de la dérogation et responsabilité. – L'octroi de la dérogation « espèces protégées » est, d'après la Cour de cassation, « un fait justificatif exonératoire de responsabilité ». Outre le fait que la dérogation sécurise juridiquement l'autorisation environnementale, elle permet également de protéger le pétitionnaire qui ferait l'objet d'une demande de dommages-intérêts de la part d'associations de protection de l'environnement. Cette analyse de la cour est donc réellement sécurisante pour la poursuite d'un projet qui a fait l'objet de la délivrance d'une dérogation.
Quid de l'hypothèse où la demande de dérogation n'a pas été jugée nécessaire en l'absence de risque d'atteinte suffisamment caractérisé malgré la présence d'une espèce protégée ? – Si l'on peut considérer que l'absence d'obligation de demander une dérogation entraîne également l'absence de caractérisation d'un délit d'atteinte aux espèces protégées et sécurise ainsi l'autorisation environnementale délivrée, on ne peut préjuger de la décision que prendrait un juge en cas de découverte de la destruction d'une espèce sur l'aire géographique du projet à l'occasion d'un recours de la part d'une association environnementale. Le juge civil pourrait en effet considérer, comme il le fait en matière d'installations classées, que l'autorisation administrative obtenue n'exonère pas son bénéficiaire de la responsabilité civile qu'il encourt du fait de son activité vis-à-vis des tiers, en application du principe général en vertu duquel les autorisations administratives sont accordées sous réserve des droits des tiers.
– Une régularisation est-elle possible ? – Le principe est que la régularisation au titre de l'article L. 181-18 du Code de l'environnement est possible dès lors que la situation des espèces protégées le permet. En droit de l'environnement comme en droit de l'urbanisme, ce qui peut être sauvé doit l'être.
Plusieurs hypothèses doivent être envisagées :
  • l'exploitant n'a pas fait de demande de dérogation au stade de l'autorisation environnementale alors qu'elle était requise : l'autorisation environnementale est annulée partiellement, et la dérogation étant détachable du reste de l'autorisation, le vice tiré de l'absence de dérogation est régularisable ;
  • si l'autorisation environnementale qui aurait dû contenir la dérogation « espèces protégées » vaut également permis de construire, en vertu de l'article L. 600-5-1 du Code de l'urbanisme, le juge peut surseoir à statuer sur l'annulation, le temps de régulariser la situation et d'obtenir la dérogation, dans le délai qu'il fixe au pétitionnaire ;
  • si l'autorisation environnementale contient l'autorisation de dérogation qui s'avère illégale, une régularisation est également possible et le juge peut suspendre le procès le temps de celle-ci ;
  • si la demande de dérogation n'a pas été effectuée mais qu'elle n'aurait manifestement pas été obtenue en raison du « grave danger ou inconvénient pour l'environnement » que l'atteinte à l'espèce en question engendre, l'absence de dérogation n'est alors pas régularisable malgré son caractère divisible de l'autorisation environnementale ;
  • la régularisation peut aussi passer par une modification du projet qui permettrait de réduire les atteintes aux espèces, et qui se traduirait par une nouvelle demande de dérogation ou une demande modificative selon l'ampleur et le caractère substantiel des modifications apportées au projet.