La problématique de l'élaboration et de la mise en œuvre des chartes

La problématique de l'élaboration et de la mise en œuvre des chartes

– Des chartes inopposables en droit, mais qui s'imposent dans les faits. – L'application des chartes par les opérateurs et leur dévoiement par les services instructeurs posent difficulté. Les promoteurs immobiliers doivent en effet composer avec la réalité politique de leur « terrain de jeu ». Alors même qu'elles n'ont pas de caractère réglementaire, un opérateur privé prendra rarement le risque de ne pas s'y soumettre, de se voir opposer un refus même illégal de permis de construire, et encore moins d'attaquer un tel refus. C'est toute leur ambivalence.
Les chartes imposent généralement aux promoteurs des formalités et des obligations qui ne sont pas prévues par le Code de l'urbanisme. Elles sont dès lors perçues comme des normes contraignantes venant s'ajouter aux contraintes réglementaires déjà nombreuses des plans locaux d'urbanisme et des programmes locaux de l'habitat. Il peut même leur arriver d'entrer en contradiction avec les orientations d'aménagement des documents de planification urbaine.
– La question de l'illégalité des chartes. – Or, comme le rappelle le tribunal administratif de Rouen dans l'un des premiers jugements sur les chartes promoteurs, « les demandes relatives à l'utilisation des sols (…) ne peuvent être instruites que dans les conditions fixées par les dispositions législatives et réglementaires du Code de l'urbanisme, qui définissent de manière limitative les informations ou pièces pouvant être exigées par l'autorité compétente ».
Et c'est bien là tout le paradoxe de ces chartes, conçues comme de simples guides, mais perçues comme des prescriptions. Dans la réalité des rapports juridiques, elles contreviennent dès lors tant au droit de propriété qu'à la liberté, si ce n'est le droit à la participation du public aux décisions ayant une incidence sur l'environnement ou le principe d'égalité devant les charges publiques.
S'ajoutent à cela des difficultés tenant aux conditions de leur adoption, qui ne respectent pas les règles très encadrées d'élaboration des PLU, et à leur contenu. Celui-ci peut conduire à une rupture d'égalité des candidats à l'acquisition de logements, en réservant une priorité aux habitants de la commune, ou encore être attentatoire à la liberté et au droit de propriété en plafonnant les prix du foncier ainsi que les prix de sortie.
La mise en œuvre des chartes peut également aboutir à une rupture d'égalité dans le traitement des dossiers de demande d'autorisation d'urbanisme entre ceux qui ont accepté de signer la charte et ceux qui l'ont refusé.
Enfin, les chartes ajoutent souvent des étapes et des pièces supplémentaires à l'instruction des permis de construire, au mépris total de l'article L. 423-1 du Code de l'urbanisme. Elles constituent d'ailleurs souvent un référentiel central de la phase de pré-instruction.
Ces critiques, que l'on peut formuler aujourd'hui sur la base de nombreux exemples, ne sont pas nouvelles. Elles ont déjà été émises dès l'apparition des premières chartes. En 2016, le préfet d'Île-de-France s'était ainsi associé à la Fédération des promoteurs immobiliers pour dénoncer des chartes « créées dans le but d'imposer des contraintes allant au-delà des prescriptions légales du Code de l'urbanisme ou du Code de la construction et de l'habitation ». Pourtant, force est de constater que le phénomène ne s'est pas tari. Il s'est au contraire amplifié.
Face au désengagement de l'État, les collectivités locales se tournent toujours davantage vers les opérateurs privés et voient dans ces chartes le moyen de leur proposer ou plutôt imposer des objectifs urbanistiques, architecturaux, environnementaux, sociaux, etc., en allant au-delà de ce qu'il est légal de réglementer.
– La question de l'utilité des chartes en matière de construction durable. – Les objectifs de développement durable, d'amélioration de la performance énergétique des bâtiments, de sobriété foncière, de protection de la biodiversité s'avèrent également des objets de « droit souple » qui trouvent assez naturellement leur place dans ces chartes, parfois pour simplement apparaître « plus vert » que le voisin… Ainsi les chartes de l'arbre se multiplient.
Or, si l'outil résiste autant à la critique, c'est qu'il a une certaine utilité, mais dans des limites qu'il conviendrait de rappeler aux élus qui outrepassent leurs pouvoirs et envisagent leur ville comme une vaste opération d'aménagement. Il devient aujourd'hui impératif de le doter d'un statut juridique clair et intégré dans l'ordonnancement juridique.