L'urbanisme contractuel sous forme de contrat d'adhésion : les chartes promoteurs

L'urbanisme contractuel sous forme de contrat d'adhésion : les chartes promoteurs

– Une grande diversité de chartes. – Comme les dérogations en matière d'urbanisme, les chartes se sont d'abord développées pour favoriser la construction de logements et la mixité sociale, puis ont visé à mieux appréhender l'aspect qualitatif, innovant et environnemental de la production de logements. Elles contiennent de surcroît, en exergue, la volonté de contenir l'inflation des prix de l'immobilier. Ces chartes, que l'on nommera « chartes promoteurs », recouvrent des conditions d'approbation très diverses et des domaines également tout aussi variés, ne serait-ce que parce qu'elles sont le reflet de la politique de la ville dans un territoire donné. Nous renvoyons au 119e Congrès des notaires de France qui retrace l'histoire de ces chartes, de leur forte contestation par les promoteurs à leur relative acceptation. Nos confrères y voient un espace de dialogue ouvert entre les opérateurs et les élus, générateur d'un droit souple non contraignant mais plutôt incitatif permettant d'avoir, à côté de la réglementation d'urbanisme stricto sensu, un corpus d'objectifs à l'échelle d'une ville qui permet d'améliorer les projets d'un point de vue qualitatif. Ils incitent néanmoins les collectivités locales qui les adoptent à se montrer vigilantes dans la rédaction de ces chartes afin d'éviter tout détournement de procédure, l'édiction de la norme d'urbanisme opposable à une demande d'autorisation ne pouvant relever que de la loi ou du règlement sous peine d'illégalité. Enfin, nos confrères prônent un processus en amont de concertation pour les adopter et favoriser leur acceptation par les opérateurs et les habitants, puis en aval un dialogue renforcé entre les promoteurs immobiliers et les services instructeurs, ainsi que le rappel de la libre adhésion à ces chartes et une meilleure connaissance de leur contenu en proposant de les annexer aux PLU.
À l'heure où cet outil contractuel peut être – et même est déjà – utilisé comme vecteur de protection de l'environnement dans les projets de construction ou d'aménagement, mais aussi comme un support de renforcement de la démocratie participative, nous allons poursuivre la réflexion en nous interrogeant sur sa qualification et sa place dans l'ordonnancement juridique.

Exemples de chartes parisiennes

« Charte pour un aménagement durable et inclusif de Paris », « Pacte pour la construction parisienne », « Guide référentiel genre et espace public », « Charte en faveur du développement de l'occupation temporaire comme outil au service du territoire parisien », « Manifeste pour une nouvelle esthétique parisienne », « Chartre de l'arbre ».

Qualification et place des chartes dans l'ordonnancement juridique

– La difficile qualification des chartes. – Au regard de la diversité des sujets traités (à chaque thématique, une charte…), il semble difficile de qualifier les chartes qui ont vu le jour, en marge du Code de l'urbanisme, en Île-de-France d'abord puis dans un nombre incalculable de villes sur l'ensemble du territoire.
Elles font généralement l'objet d'une délibération de la commune ou de l'intercommunalité qui en est à l'initiative, voire d'un arrêté de son organe exécutif. Certaines chartes sont adoptées à l'issue d'une phase de concertation avec le public et/ou d'un dialogue avec les instances professionnelles intéressées, qui en seront les signataires avec la collectivité.
Leur contenu relève de la libre volonté de la collectivité publique qui souhaite, par leur biais, imprimer ses valeurs en termes d'aménagement, d'urbanisme et de qualité architecturale et environnementale, et infuser la politique des élus via des objectifs de mixité sociale et fonctionnelle, de construction de logements sociaux, de surperformance énergétique, de démocratie participative, de maîtrise des prix du foncier voire des prix de sortie, etc. Quatre thématiques générales peuvent toutefois être dégagées : la qualité architecturale et l'insertion paysagère des projets ; le renforcement de leur qualité environnementale en termes de performance énergétique et de sobriété foncière ; la lutte contre la spéculation foncière ; l'information du public et la réduction des impacts du chantier sur les riverains.
– Une place particulière dans l'ordonnancement juridique. – Même si certaines chartes sont revêtues de la signature des professionnels intéressés, elles ne constituent pas, loin s'en faut, de véritables contrats créateurs de droits et d'obligations réciproques. Elles apparaissent plutôt comme des pactes d'adhésion à une politique de la ville.
Les élus les présentent généralement comme des feuilles de route, des guides de bonne pratique permettant d'éclairer les opérateurs sur les attentes de la collectivité. C'est reconnaître leur absence de normativité. Élaborées en dehors de tout cadre législatif ou réglementaire, les chartes ne peuvent être invoquées pour contester la légalité d'une autorisation d'urbanisme ni ne peuvent fonder un refus d'une telle autorisation par les services instructeurs. Elles ne sont cependant pas totalement extérieures à la sphère juridique tant elles correspondent à ce que l'on peut appeler, à la suite du Conseil d'État, le « droit souple » ou soft law .
Justifiées par des considérations d'intérêt général, le plus souvent élaborées de manière concertée, l'apport des chartes promoteurs à l'amélioration de la qualité des projets et de leur acceptabilité n'est guère contestable. Elles ne portent pas de nouvelles normes contraignantes pour les promoteurs immobiliers et incitent à l'innovation. Adaptées à chaque territoire, elles sont adoptées puis évoluent au plus près des besoins des habitants et des acteurs économiques. Mais alors, quel est le problème ?

La problématique de l'élaboration et de la mise en œuvre des chartes

– Des chartes inopposables en droit, mais qui s'imposent dans les faits. – L'application des chartes par les opérateurs et leur dévoiement par les services instructeurs posent difficulté. Les promoteurs immobiliers doivent en effet composer avec la réalité politique de leur « terrain de jeu ». Alors même qu'elles n'ont pas de caractère réglementaire, un opérateur privé prendra rarement le risque de ne pas s'y soumettre, de se voir opposer un refus même illégal de permis de construire, et encore moins d'attaquer un tel refus. C'est toute leur ambivalence.
Les chartes imposent généralement aux promoteurs des formalités et des obligations qui ne sont pas prévues par le Code de l'urbanisme. Elles sont dès lors perçues comme des normes contraignantes venant s'ajouter aux contraintes réglementaires déjà nombreuses des plans locaux d'urbanisme et des programmes locaux de l'habitat. Il peut même leur arriver d'entrer en contradiction avec les orientations d'aménagement des documents de planification urbaine.
– La question de l'illégalité des chartes. – Or, comme le rappelle le tribunal administratif de Rouen dans l'un des premiers jugements sur les chartes promoteurs, « les demandes relatives à l'utilisation des sols (…) ne peuvent être instruites que dans les conditions fixées par les dispositions législatives et réglementaires du Code de l'urbanisme, qui définissent de manière limitative les informations ou pièces pouvant être exigées par l'autorité compétente ».
Et c'est bien là tout le paradoxe de ces chartes, conçues comme de simples guides, mais perçues comme des prescriptions. Dans la réalité des rapports juridiques, elles contreviennent dès lors tant au droit de propriété qu'à la liberté, si ce n'est le droit à la participation du public aux décisions ayant une incidence sur l'environnement ou le principe d'égalité devant les charges publiques.
S'ajoutent à cela des difficultés tenant aux conditions de leur adoption, qui ne respectent pas les règles très encadrées d'élaboration des PLU, et à leur contenu. Celui-ci peut conduire à une rupture d'égalité des candidats à l'acquisition de logements, en réservant une priorité aux habitants de la commune, ou encore être attentatoire à la liberté et au droit de propriété en plafonnant les prix du foncier ainsi que les prix de sortie.
La mise en œuvre des chartes peut également aboutir à une rupture d'égalité dans le traitement des dossiers de demande d'autorisation d'urbanisme entre ceux qui ont accepté de signer la charte et ceux qui l'ont refusé.
Enfin, les chartes ajoutent souvent des étapes et des pièces supplémentaires à l'instruction des permis de construire, au mépris total de l'article L. 423-1 du Code de l'urbanisme. Elles constituent d'ailleurs souvent un référentiel central de la phase de pré-instruction.
Ces critiques, que l'on peut formuler aujourd'hui sur la base de nombreux exemples, ne sont pas nouvelles. Elles ont déjà été émises dès l'apparition des premières chartes. En 2016, le préfet d'Île-de-France s'était ainsi associé à la Fédération des promoteurs immobiliers pour dénoncer des chartes « créées dans le but d'imposer des contraintes allant au-delà des prescriptions légales du Code de l'urbanisme ou du Code de la construction et de l'habitation ». Pourtant, force est de constater que le phénomène ne s'est pas tari. Il s'est au contraire amplifié.
Face au désengagement de l'État, les collectivités locales se tournent toujours davantage vers les opérateurs privés et voient dans ces chartes le moyen de leur proposer ou plutôt imposer des objectifs urbanistiques, architecturaux, environnementaux, sociaux, etc., en allant au-delà de ce qu'il est légal de réglementer.
– La question de l'utilité des chartes en matière de construction durable. – Les objectifs de développement durable, d'amélioration de la performance énergétique des bâtiments, de sobriété foncière, de protection de la biodiversité s'avèrent également des objets de « droit souple » qui trouvent assez naturellement leur place dans ces chartes, parfois pour simplement apparaître « plus vert » que le voisin… Ainsi les chartes de l'arbre se multiplient.
Or, si l'outil résiste autant à la critique, c'est qu'il a une certaine utilité, mais dans des limites qu'il conviendrait de rappeler aux élus qui outrepassent leurs pouvoirs et envisagent leur ville comme une vaste opération d'aménagement. Il devient aujourd'hui impératif de le doter d'un statut juridique clair et intégré dans l'ordonnancement juridique.

Clarifier et intégrer les chartes dans l'ordonnancement juridique

Face à une jurisprudence qui rappelle à juste titre que les chartes promoteurs ne peuvent pas empiéter sur le pouvoir réglementaire, une évolution s'avère nécessaire pour leur faire une juste place dans l'ordonnancement juridique.
– Une position jurisprudentielle. – Le juge administratif tire toutes les conséquences de la qualification de « droit souple » de ces chartes pour exercer sur celles-ci un contrôle juridictionnel. En effet, le Conseil d'État admet qu'un recours pour excès de pouvoir puisse être introduit à l'encontre de ce type de conventions, dès lors qu'elles sont « de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s'adressent ».
Sans aller jusqu'au contrôle de la soft law, le juge administratif a récemment eu l'occasion de sanctionner une charte promoteur sur le terrain de la compétence exclusive d'édiction des règles d'urbanisme et du caractère limitatif des pièces pouvant être exigées d'un pétitionnaire.
En l'espèce, la commune de Bois-Guillaume, expliquant que « l'urbanisme est l'affaire de tous », avait confié à seize citoyens tirés au sort, réunis dans une convention citoyenne et dans le cadre d'ateliers, la mission d'émettre des propositions autour de cinq thématiques (identité patrimoniale et ambition architecturale ; transition écologique et performance énergétique des bâtiments ; nature en ville et biodiversité ; espace public et convivialité ; démarche et méthodologie). Ces propositions furent reprises dans une charte approuvée en délibération du conseil municipal du 3 février 2022, laquelle précisait qu'il s'agissait de « fixer les règles du jeu en matière de construction, d'aménagement et d'urbanisme », après avoir estimé « nécessaire d'établir un référentiel commun qui dépasse le seul cadre réglementaire du plan local d'urbanisme intercommunal, par une approche plus qualitative et circonstanciée ». À cet effet, la charte avait fixé des « engagements » qui « devront (…) être scrupuleusement appréhendés dans chaque opération » par les opérateurs immobiliers signataires de ce document. La délibération précisait que « cette charte, après avoir été approuvée en conseil municipal, sera signée par l'ensemble des opérateurs immobiliers ».
Le juge administratif a estimé qu'au vu des « engagements » qu'elle comportait, la « Charte de l'urbanisme et du cadre de vie » de Bois-Guillaume devait être regardée comme imposant aux opérateurs immobiliers concernés des règles impératives en matière « d'aménagement de l'espace métropolitain » au sens des dispositions de l'article L. 5217-2 du Code général des collectivités territoriales, relevant, par nature, du plan local d'urbanisme intercommunal. La commune n'était donc pas compétente pour adopter de telles prescriptions en matière d'urbanisme qui relèvent de la compétence de la Métropole Rouen Normandie dont est membre la commune. Il ne fait en effet pas de doute qu'en adhérant à une métropole, la commune a transféré de plein droit sa compétence en matière d'élaboration de ses documents d'urbanisme.
Le tribunal administratif de Rouen rappelle ensuite que seuls la loi et le règlement peuvent édicter des règles relatives à l'utilisation des sols et à l'implantation des constructions ; il n'appartient pas aux communes ni aux établissements publics de coopération intercommunale à qui aurait été dévolue cette compétence d'ajouter de nouvelles exigences de fond par rapport à celles prévues par le Code de l'urbanisme.
Cet arrêt marque un rappel à l'ordre important, et il est essentiel de noter qu'il émane de l'État. En effet, dans cette affaire, c'est le préfet qui avait déféré la délibération du conseil municipal devant le tribunal.
Les défis de la transition écologique et du logement ne doivent pas autoriser le mélange des genres sous prétexte de démocratie participative et d'urgence climatique et sociale, au risque de dérives et d'entraves aux droits fondamentaux.
Les collectivités territoriales qui souhaitent rédiger une charte doivent, dans tous les cas, éviter toute terminologie contraignante vis-à-vis des opérateurs et, de préférence, y associer les professionnels de la construction et de l'aménagement ainsi que les usagers. Quant aux opérateurs, ils doivent porter devant le juge toute charte qui viendrait leur imposer des prescriptions d'urbanisme à l'occasion de leur demande d'autorisation d'urbanisme.
Mais cette position trouve sa limite dans le rapport de force qui existe entre les élus et les promoteurs immobiliers, traditionnellement peu enclins à entrer en contentieux avec les villes…
– Une évolution législative et réglementaire. – Il conviendrait de rappeler aux élus, tout d'abord, ce que le Code de l'urbanisme n'autorise pas et, ensuite, ce que certains outils de l'urbanisme opérationnel leur permettent pour orienter l'aménagement de leur territoire. Nous pouvons citer à cet effet les servitudes de mixité sociale, les zones ANRU et les quartiers prioritaires de la politique de la ville, et surtout les ZAC qui comportent un cahier des charges de cession des terrains qui indique le nombre de mètres carrés de surface de plancher autorisé pour un usage donné, et qui impose des prescriptions techniques, urbanistiques et architecturales. Ces outils supposent, il est vrai, un certain investissement de la part des collectivités publiques, mais elles ne peuvent pas imposer sans s'impliquer.
Le législateur doit par ailleurs s'interroger sur l'adaptation actuelle de l'urbanisme réglementaire aux besoins environnementaux et sociétaux des élus pour agir sur leur territoire, et agir rapidement à l'aune du changement climatique et de la crise du logement. Les chartes promoteurs répondent, avec la pré-instruction des permis, « à des aspirations légitimes, en partie du moins », mais plutôt que d'emprunter des chemins de traverse et, partant, prendre des risques de dérive déjà avérés, il conviendrait de recadrer les choses :
  • en élargissant le contenu des plans locaux d'urbanisme à des normes de qualité de construction (performance énergétique, matériaux, typologies, surfaces, orientations), etc., qui répondent aux aspirations des maires-bâtisseurs ;
  • en autorisant l'urbanisme contractuel à l'échelle d'un quartier ou d'une opération d'envergure par l'intermédiaire de chartes d'urbanisme et de construction, dont le contenu potentiel serait strictement encadré et qui seraient réellement négociées dans le cadre d'un processus de participation du public avec garant, leur permettant d'agir, par exemple, sur les prix de sortie ou le pourcentage d'accession maîtrisée.
Tout ne peut pas et ne doit pas relever de l'urbanisme réglementaire ; de la souplesse et un temps d'échange entre la ville et ses opérateurs sont nécessaires pour apporter de la qualité aux projets et s'adapter aux évolutions souvent subies du marché de la construction et de l'immobilier. Mais cet échange et le document qui en résulte doivent bénéficier d'un cadre juridique minimum pour être sécurisés et respecter les grands principes de liberté, d'égalité et de transparence.