La fiducie, outil de compensation environnementale

La fiducie, outil de compensation environnementale

– Définition générale. – Le mécanisme de la fiducie a été introduit presque dix ans avant l'ORE dans l'arsenal juridique français. Il est depuis codifié aux articles 2011 à 2030 du Code civil.
La fiducie y est définie comme « l'opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d'un ou plusieurs bénéficiaires ».
Sans revenir sur son régime juridique, il n'est pas inutile de rappeler qu'il existe deux types de fiducie :
  • la fiducie-sûreté : le constituant transmet un bien à un fiduciaire afin d'en faire bénéficier un tiers, lui-même créancier du constituant ;
  • la fiducie-gestion : le constituant, qui est également bénéficiaire, remet un bien au fiduciaire afin que celui-ci en assure la gestion dans un but déterminé.
– Un outil adapté à la question environnementale ? – La fiducie est, de l'aveu majoritaire des auteurs ayant écrit sur le sujet, une piste intéressante à explorer comme outil juridique à même de contribuer à la protection de l'environnement.
Comme nous l'avons déjà rappelé, le droit de l'environnement est celui du temps long, ce qui exige de disposer d'outils adaptés à ces préoccupations. Or la fiducie peut être consentie, comme l'ORE, pour une durée maximale de 99 ans.
Elle pourrait être envisagée, d'une part, pour la gestion de sites pollués (I), et, d'autre part, pour assurer la gestion de mesures de compensation environnementale (II).
Son régime dans le domaine environnemental reste cependant en grande partie à construire. Et si certains praticiens s'en sont déjà saisis, il convient d'avancer avec une infinie prudence.

La fiducie au service de la gestion des sites et sols pollués

– But poursuivi. – La fiducie au service de la gestion de sites ou de sols pollués consisterait à permettre au propriétaire d'un site pollué de transférer la propriété de son actif à un fiduciaire afin de lui permettre d'en assurer la gestion dans un but déterminé.
– Intérêt. – Employée en tant que simple outil de gestion, la fiducie peut interroger étant donné la palette des outils déjà existants. C'est en réalité pour la gestion de « situations de crise » que la fiducie peut trouver un réel intérêt.
Certains praticiens considèrent en effet qu'elle présenterait une utilité, d'une part, pour le cas d'une entreprise confrontée à une procédure collective et, d'autre part, pour la gestion d'une garantie de passif environnemental.

La fiducie au service de la compensation environnementale

– Une compatibilité de principe. – La fiducie pourrait consister pour un porteur de projet à « transférer » un bien à un tiers fiduciaire afin qu'il se charge de mettre en œuvre des mesures de compensation environnementale.
L'utilité serait ici différente de la gestion d'une « situation de crise » que nous avons vue précédemment. Elle serait triple dans ce cadre :
  • d'une part, sécuriser la réalisation et le financement des mesures de compensation pour lesquelles, rappelons-le, le porteur de projet a une obligation de résultat ;
  • d'autre part, assurer leur pérennité sur une longue période, équivalente à celle fixée par l'autorité administrative ;
  • enfin, assurer l'effectivité des mesures de compensation avec les garanties financières associées.
Dans pareille hypothèse le porteur de projet, constituant de la fiducie, en serait également le bénéficiaire. Mais ce n'est pas une obligation. Le bénéficiaire ne pourrait-il pas être aussi l'une des personnes visées à l'article L. 132-3 du Code de l'environnement en tant que créancier d'une ORE ? La question se pose comme nous le verrons plus loin.
– Les schémas possibles. – Adapter la fiducie à la compensation environnementale ne consiste pas à mettre en place un cadre contractuel rigide. Au contraire la loi autorise une grande liberté contractuelle, et plusieurs schémas sont possibles.
Une première situation est celle où le constituant, débiteur des mesures de compensation, est propriétaire du foncier nécessaire à leur mise en œuvre. Il transfère ce foncier à un fiduciaire mandaté pour réaliser ces mesures.
Le fiduciaire peut endosser le rôle de l'opérateur de compensation (il aura un rôle d'administrateur), mais ce n'est pas obligatoire. Il peut se contenter de déléguer ce rôle à un tiers dont c'est la spécialité (il aura plus un rôle de gestionnaire).
À l'issue des mesures de compensation (souvent après une période longue), le fiduciaire est tenu de restituer le foncier au porteur de projet ou encore au tiers bénéficiaire désigné au contrat s'il est distinct. Le porteur de projet pourrait en effet ne pas avoir d'intérêt particulier à conserver la propriété d'un foncier qui n'est pas celui sur lequel il a réalisé son opération. Au contraire, cette propriété pourrait profiter à des tiers comme des personnes publiques.
Une autre situation est celle dans laquelle le porteur de projet n'a pas la maîtrise du foncier. Il n'est pas tenu d'avoir une telle maîtrise pour respecter ses obligations de compensation. Il peut en effet également déléguer cette mission à un fiduciaire se portant acquéreur, qui réaliserait lui-même les mesures de compensation environnementale (directement ou par l'intermédiaire d'un opérateur de compensation).
Cette solution présente un réel intérêt puisque le propriétaire foncier est dans ce cas totalement étranger à l'opération du porteur de projet, et est en général peu enclin à se séparer de son foncier. Le transfert temporaire à un fiduciaire qui présenterait toutes les garanties requises serait certainement plus à même de le convaincre.
Plus délicate en revanche est la situation dans laquelle le fiduciaire se comporte en opérateur de site naturel de compensation en se constituant un patrimoine qu'il met ensuite à la disposition des porteurs de projet qui le solliciteraient pour y mettre en œuvre leurs obligations de compensation. D'une part, cela s'éloigne de l'esprit de la fiducie puisqu'il n'y pas un, mais potentiellement plusieurs constituants. D'autre part, elle pourrait être perçue comme une façon détournée de créer des sites naturels de compensation en dehors du cadre légal dont nous avons exposé le cadre juridique précédemment. La vigilance est donc de mise.
Il pourrait enfin être envisagé de coupler la fiducie à une ORE pour encadrer les relations contractuelles de chaque intervenant.
– Les difficultés résultant des textes. – La transposition de la fiducie à la compensation environnementale entraîne des difficultés pratiques. Voici celles qui nous interpellent le plus.
Rappelons d'abord que le fiduciaire doit aujourd'hui être de ceux qui sont visés par l'article 2015 du Code civil. Or, au vu de cette liste, nous pouvons douter du fait qu'ils puissent disposer, pour la plupart, des compétences nécessaires pour mettre en œuvre des mesures de compensation, sauf pour le fiduciaire à faire lui-même appel à un opérateur de compensation.
Une autre difficulté concerne la disparition du fiduciaire ou du constituant.
En cas de disparition du constituant suite à un décès, le contrat de fiducie prend fin. En matière de compensation environnementale, l'hypothèse d'un constituant personne physique est peu probable. Si le texte ne le prévoit pas explicitement, il nous semble que la disparition du constituant personne morale (procédure collective, fusion-absorption, etc.) devrait avoir pour effet la fin du contrat de fiducie de la même manière que pour une personne physique. Or, il serait pas dénué d'intérêt d'envisager que le contrat survive au profit d'un tiers, si les mesures de compensation environnementale ne sont pas achevées, afin d'en garantir la pérennité.
En cas de disparition du fiduciaire, si ce dernier fait l'objet d'une liquidation judiciaire ou d'une dissolution ou disparaît par suite d'une cession ou d'une absorption et, s'il est avocat, en cas d'interdiction temporaire, de radiation ou d'omission du tableau, le contrat de fiducie prend fin. La remarque formulée pour le cas de la disparition du constituant vaut également pour celle du fiduciaire, afin d'assurer la pérennité des mesures de compensation environnementale.
Étant précisé que le Code civil prévoit également que « si le fiduciaire manque à ses devoirs ou met en péril les intérêts qui lui sont confiés ou encore s'il fait l'objet d'une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, le constituant, le bénéficiaire ou le tiers désigné en application de l'article 2017 peut demander en justice la nomination d'un fiduciaire provisoire ou solliciter le remplacement du fiduciaire ».
Si le texte ne le prévoit pas, il nous paraît indispensable que le fiduciaire souscrive une assurance afin de garantir la restitution du bien.
Enfin, en matière de compensation environnementale, rappelons que le porteur de projet peut être amené à devoir fournir une garantie financière. Nous percevons une difficulté potentielle pour l'obtenir d'un établissement bancaire en cas de compensation par la voie de la fiducie compte tenu de la séparation des patrimoines qu'elle opère.
– Des questions en suspens. – Au-delà des difficultés soulevées précédemment, certaines questions se posent.
En premier lieu, est-il possible de constituer une fiducie sur un bien dépendant du domaine public d'une personne publique ? Autrement dit, la fiducie est-elle compatible avec le régime de la domanialité publique ?
Le contrat de fiducie emporte transfert de propriété des biens identifiés par le constituant au profit du fiduciaire.
Ce transfert emporte cependant des conséquences moins habituelles : le fiduciaire n'a pas la possibilité de se dessaisir volontairement du bien ; s'il perçoit les fruits tirés de l'exploitation du bien, il ne peut pas les consommer.
Certains pourraient penser que l'absence de contrepartie financière à ce transfert de propriété permet de l'envisager sur le domaine public.
Mais le principe d'inaliénabilité attaché au domaine public devrait, nous semble-t-il, conduire à rejeter l'idée, en l'état actuel du droit positif, de permettre de constituer une fiducie. Finalement, seul un déclassement préalable par une décision expresse le permettrait. Or un tel déclassement n'est pas forcément possible, notamment si le bien est toujours affecté à un service public ou à l'usage direct du public, ou n'est peut-être pas souhaitable puisque la personne publique peut vouloir lui conserver son régime protecteur.
Étant donné que le contrat de fiducie opère un transfert de propriété temporaire, et dès lors que son régime présente toutes les garanties suffisantes (notamment il le protégera de toute saisie, de toute appropriation par un tiers), nous pourrions espérer un assouplissement de la règle.
En deuxième lieu, savoir si un bien du domaine public peut faire l'objet d'une fiducie pose plus largement la question du constituant personne publique. Le contrat de fiducie peut-il être qualifié de marché de service ? Le cas échéant, devrait-il être précédé d'une procédure de publicité et de mise en concurrence ? Nous sommes d'avis de considérer que la fiducie présente tous les caractères d'un contrat à double objet, à la fois de service et de transfert de propriété. Mais dans ce cas, l'objet principal n'est-il pas le service rendu par le fiduciaire et le transfert de propriété son accessoire ? Le flou demeure sur ce point et la plus grande prudence s'impose.
En troisième lieu, compte tenu du transfert de propriété réalisé, est-il nécessaire de purger au préalable les droits de préemption, de priorité, pacte de préférence, etc., qu'ils soient d'origine légale ou conventionnelle ?
Il nous semble que si le bénéficiaire est le constituant, il ne devrait pas y avoir besoin de purger le droit de préemption comme le soutient une partie de la doctrine. En revanche, si le bénéficiaire est un tiers et qu'il a vocation à devenir propriétaire à terme du bien, lequel transfert sera définitif, il nous semble difficile d'échapper aux différents droits de préemption. Mais à quel moment purger ces droits ? Il nous semble que ceux-ci devraient l'être au moment du deuxième transfert, c'est-à-dire au profit du bénéficiaire. Procéder différemment ferait courir le risque que le bien soit préempté et que le contrat de fiducie ne puisse pas jouer. Là encore, en l'absence de précision des textes, il faudra faire œuvre de prudence.
En dernier lieu, un certain flou perdure quant à l'étendue des pouvoirs du fiduciaire : s'il ne peut pas se dessaisir du bien, peut-il cependant conclure des contrats opérant un transfert de jouissance ? Autrement dit, peut-il conférer un droit réel comme une hypothèque, une servitude ou un bail emphytéotique ? Dans le domaine de la compensation environnementale, le fiduciaire peut-il lui-même conclure une ORE ou un bail rural avec un fermier ? Et dans ce dernier cas, le statut d'ordre public trouverait-il à s'appliquer ? Une piste pourrait être de considérer que le fiduciaire est apte à conférer des droits de jouissance et des droits réels afin de lui permettre d'exercer pleinement sa mission. Mais de tels droits pourraient devoir trouver à s'éteindre avec la disparition du contrat de fiducie, sauf à obtenir l'accord du constituant.
– Un modèle à parfaire. – Pour conclure sur le sujet de la fiducie, nous percevons dans ce modèle les germes d'un outil qu'il serait intéressant de développer dans le domaine environnemental, et plus particulièrement pour la compensation.
Mais les sujets évoqués sont autant de questions qui, pour le moment, ne trouvent pas de réponse claire, ce qui ne va pas sans poser des difficultés juridiques mais également pratiques.
À l'occasion du dix-septième anniversaire de l'introduction de la fiducie dans notre Code civil, nous souhaitons œuvrer pour sa diffusion et sa clarification dans le domaine du droit de l'environnement.