La dérogation « espèces protégées » dans le temps

La dérogation « espèces protégées » dans le temps

– Le moment de la demande. – Ce point n'a pas été précisé par le législateur. En pratique, la demande sera effectuée par le porteur de projet au moment de la demande d'autorisation environnementale si le projet entre dans son champ d'application. L'alerte peut aussi émaner de l'autorité administrative lorsqu'elle délivre son avis sur l'étude d'impact, ou de tiers dans le cadre de l'enquête publique.
La demande peut être plus tardive et être effectuée au moment de l'instruction de l'autorisation d'urbanisme, voire même pendant les travaux si une espèce protégée est découverte à ce moment.
– Le moment des mesures prescrites. – La dérogation « espèces protégées » a généralement un impact sur le calendrier de l'opération en obligeant le maître d'ouvrage à « phaser » ses interventions en fonction des saisons, notamment de reproduction des espèces.
– Le transfert de la dérogation. – Le bénéficiaire d'une dérogation peut la transférer à une autre personne qui doit alors déclarer ce transfert au préfet (ou au ministre de l'Écologie) un mois avant la date d'effet de ce transfert. La dérogation est en effet davantage attachée au projet qu'à la personne du bénéficiaire.
Pendant ce délai, l'autorité compétente soit délivre un récépissé, soit refuse le transfert si le nouveau bénéficiaire ne justifie pas de capacités suffisantes pour garantir le respect des conditions d'obtention de la dérogation et notamment des mesures ERC.
– Le contrôle de la dérogation dans le temps. – Or, ce sont précisément ces mesures et notamment les obligations de compensation qui peuvent complexifier un transfert de la dérogation qui, ne l'oublions pas, est une autorisation qui va non seulement concerner la vie du chantier mais aussi le temps de l'exploitation de l'activité ou la durée de vie de l'ouvrage afin de permettre à l'autorité administrative de vérifier le respect des mesures prescrites, ainsi que l'impact de l'exploitation sur les espèces et leur habitat. La difficulté sera particulièrement prégnante en cas de transfert partiel à un grand nombre de bénéficiaires, comme cela sera le cas au moment de la vente des logements issus d'un programme immobilier. Comment alors répartir sur chacun des acquéreurs la mise en œuvre et le suivi des mesures ERC ? Aucune jurisprudence n'est à ce jour établie sur le sujet et le champ des possibles reste ouvert.
– La modification du projet. – L'article R. 411-10-1 du Code de l'environnement envisage l'hypothèse où l'activité ou les travaux ayant bénéficié d'une dérogation ont évolué : toute modification substantielle du projet, qu'elle ait lieu avant sa réalisation ou pendant son exploitation, est subordonnée à la délivrance d'une nouvelle dérogation.
Est considéré comme substantielle :
  • une extension de l'ouvrage ou de l'installation qui le fait passer au-delà des seuils figurant dans les rubriques de l'examen au cas par cas ou de l'évaluation environnementale systématique ;
  • un ouvrage ou des travaux atteignant des seuils quantitatifs et répondant à des critères fixés par arrêté ministériel ;
  • la modification de nature à entraîner des dangers et inconvénients significatifs pour les intérêts environnementaux.
Quant aux modifications non substantielles, elles doivent néanmoins être portées à la connaissance de l'autorité compétente qui imposera le cas échéant des prescriptions complémentaires. Il s'agira des hypothèses dans lesquelles la modification n'affecte pas l'économie générale du projet.
Le bénéficiaire de la dérogation peut de son côté demander des adaptations des prescriptions qui lui ont été imposées si son projet a évolué.
Le silence gardé par le préfet pendant plus de deux mois vaut décision implicite de rejet.
Il conviendra, dans ces situations, de porter une attention particulière sur le délai de validité de l'autorisation d'urbanisme initiale du projet dans la mesure où une régularisation importante et/ou un permis de construire modificatif qui nécessiterait une nouvelle dérogation « espèces protégées » ou une modification de celle-ci ne permettront pas pour autant de faire courir un nouveau délai de validité de l'autorisation d'urbanisme.
– L'installation de nouvelles espèces. – La difficulté de l'exercice pour le porteur de projet tient également au fait que des espèces protégées, non identifiées en amont, peuvent s'installer après le début des travaux voire pendant le cours de l'exploitation de l'installation. On citera par exemple les travaux de terres découvertes dans les carrières ou l'excavation de terres polluées dans le cadre de la reconversion d'une friche industrielle qui deviennent l'habitat idéal de certaines espèces.
La Cour de justice de l'Union européenne a, au surplus, jugé que le régime de la directive « Habitats » est applicable aux espèces qui quittent leur habitat naturel pour s'installer dans des zones de peuplement humain. Ainsi le chantier de construction de logements sociaux à côté du parc de la Courneuve en Seine-Saint-Denis fut interrompu plusieurs mois à cause de crapauds calamites qui avaient quitté l'étang du parc voisin pour hiberner sur le chantier après de fortes pluies et l'arrivée du froid !
Si les espèces en question étaient déjà présentes dans l'aire géographique du projet, le maître d'ouvrage doit régulariser la situation pour que son activité puisse reprendre.
Si les espèces sont apparues postérieurement à la délivrance de l'autorisation, le juge aura le choix de délivrer une dérogation pour permettre la poursuite de l'activité ou d'imposer la cessation d'activité avec une remise en état du site dont les modalités seront remises en cause par cette découverte.