La cristallisation des moyens

La cristallisation des moyens

Le contexte de l'adoption d'un dispositif de cristallisation des moyens

– La lutte contre l'objectif des requérants de différer les travaux. – Davantage que l'obtention d'une décision juridictionnelle, l'objectif des requérants contre un permis de construire est de retarder le démarrage des travaux avec l'espoir que, le temps passant, le projet soit abandonné.
Un bon moyen de poursuivre ce but est de développer son argumentaire contre l'autorisation de construire, moyen après moyen, mémoire après mémoire, au cours de l'instance : on parle de recours « perlé ».
Pendant de nombreuses années, il n'existait pas de freins à cette méthode dilatoire. La seule limite à l'invocation de moyens nouveaux était l'application de la jurisprudence Société Intercopie , selon laquelle un moyen relevant d'une cause juridique autre que celles déjà en débat ne peut être présenté que dans le délai de recours contentieux. Cette solution a été étendue aux recours pour excès de pouvoir, qui ne connaissent que deux causes juridiques : la légalité interne et externe.
Consciente de cette difficulté, la commission Labetoulle a proposé l'instauration d'un dispositif de cristallisation des moyens. Cette proposition a été consacrée par le décret du 1er octobre 2013 qui a créé l'article R. 600-4 du Code de l'urbanisme.
Le dispositif originel prévoyait que la cristallisation des moyens était à l'initiative du juge saisi par l'une des parties (en général, le défendeur) d'une demande en ce sens. Le juge avait la faculté de fixer une date au-delà de laquelle plus aucun moyen nouveau ne pouvait être invoqué.
Ce dispositif a séduit au point que le décret no 2016-1480 du 2 novembre 2016 l'a repris en droit général du contentieux administratif et l'a codifié à l'article R. 611-7-1 du Code de justice administrative.
Devenu sans utilité, l'article R. 600-4 du Code de l'urbanisme a alors été abrogé.

Les modifications apportées par le décret no 2018-617 du 18 juillet 2018

– La cristallisation automatique des moyens. – La commission Maugüé a souhaité « instituer une cristallisation automatique des moyens ».
Le rapport relève en effet que « l'article R. 611-7-1 du Code de justice administrative s'avère toutefois d'un maniement délicat, notamment parce qu'il impose que le juge s'interroge sur le point de savoir si l'affaire est ou non en l'état, ce qui n'est pas toujours aisé. L'absence d'automaticité paraît également être un frein à son utilisation ».
Aussi le groupe a-t-il proposé de « prévoir un mécanisme de cristallisation automatique pour les recours dirigés contre les autorisations d'utilisation ou d'occupation du sol ».
Cette proposition a été reprise par le décret no 2018-617 du 17 juillet 2018 qui a instauré l'article R. 600-5 du Code de l'urbanisme retenant comme point de départ de la cristallisation automatique un délai de deux mois après la production du premier mémoire en défense. Au-delà, aucun moyen nouveau ne peut être produit. Par conséquent, le pétitionnaire tout comme l'auteur de l'autorisation d'urbanisme ont le plus grand intérêt à déposer leur mémoire en défense le plus rapidement possible.
Le troisième alinéa de l'article R. 600-5 réserve toutefois la possibilité pour le juge de déroger à la cristallisation automatique et, partant, de fixer une nouvelle date de cristallisation, lorsque le jugement de l'affaire le justifie.
Ainsi le décret de 2018 a-t-il rétabli un mécanisme applicable au seul contentieux de l'urbanisme. Par la suite, le décret no 2019-303 du 10 avril 2019 a étendu le dispositif aux recours dirigés contre les décisions modificatives intervenant en cours d'instance régis par l'article L. 600-5-2 du Code de l'urbanisme.

Les critiques sur le dispositif de l'article R. 600-5 du Code de l'urbanisme

– Deux critiques. – Deux critiques peuvent être formulées sur le dispositif de l'article R. 600-5 du Code de l'urbanisme.
La première critique concerne la limitation de la portée du dispositif par le Conseil d'État. En effet, la Haute juridiction estime que le gel des moyens en première instance ne vaut pas en appel, ni devant le juge de renvoi après cassation.
La seconde critique émane de la commission Rebsamen qui propose de « fixer le délai de cristallisation des moyens prévu à l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme à deux mois à compter du dépôt de la requête initiale du pétitionnaire au lieu de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense ».