L'encadrement des délais et la sécurisation de l'instance contentieuse

L'encadrement des délais et la sécurisation de l'instance contentieuse

– La préoccupation de la maîtrise des délais d'instance. – Permettre au pétitionnaire d'appréhender au plus vite le sort qui va être réservé à son autorisation et les actions à entreprendre pendant l'instance contentieuse a été également une des préoccupations importantes du législateur.
Pour ceci, un délai de cristallisation des moyens invocables a été imposé (A), la procédure de référé-suspension rénovée (B), et le double degré de juridiction supprimé pour certains litiges (C).

La cristallisation des moyens

Le contexte de l'adoption d'un dispositif de cristallisation des moyens

– La lutte contre l'objectif des requérants de différer les travaux. – Davantage que l'obtention d'une décision juridictionnelle, l'objectif des requérants contre un permis de construire est de retarder le démarrage des travaux avec l'espoir que, le temps passant, le projet soit abandonné.
Un bon moyen de poursuivre ce but est de développer son argumentaire contre l'autorisation de construire, moyen après moyen, mémoire après mémoire, au cours de l'instance : on parle de recours « perlé ».
Pendant de nombreuses années, il n'existait pas de freins à cette méthode dilatoire. La seule limite à l'invocation de moyens nouveaux était l'application de la jurisprudence Société Intercopie , selon laquelle un moyen relevant d'une cause juridique autre que celles déjà en débat ne peut être présenté que dans le délai de recours contentieux. Cette solution a été étendue aux recours pour excès de pouvoir, qui ne connaissent que deux causes juridiques : la légalité interne et externe.
Consciente de cette difficulté, la commission Labetoulle a proposé l'instauration d'un dispositif de cristallisation des moyens. Cette proposition a été consacrée par le décret du 1er octobre 2013 qui a créé l'article R. 600-4 du Code de l'urbanisme.
Le dispositif originel prévoyait que la cristallisation des moyens était à l'initiative du juge saisi par l'une des parties (en général, le défendeur) d'une demande en ce sens. Le juge avait la faculté de fixer une date au-delà de laquelle plus aucun moyen nouveau ne pouvait être invoqué.
Ce dispositif a séduit au point que le décret no 2016-1480 du 2 novembre 2016 l'a repris en droit général du contentieux administratif et l'a codifié à l'article R. 611-7-1 du Code de justice administrative.
Devenu sans utilité, l'article R. 600-4 du Code de l'urbanisme a alors été abrogé.

Les modifications apportées par le décret no 2018-617 du 18 juillet 2018

– La cristallisation automatique des moyens. – La commission Maugüé a souhaité « instituer une cristallisation automatique des moyens ».
Le rapport relève en effet que « l'article R. 611-7-1 du Code de justice administrative s'avère toutefois d'un maniement délicat, notamment parce qu'il impose que le juge s'interroge sur le point de savoir si l'affaire est ou non en l'état, ce qui n'est pas toujours aisé. L'absence d'automaticité paraît également être un frein à son utilisation ».
Aussi le groupe a-t-il proposé de « prévoir un mécanisme de cristallisation automatique pour les recours dirigés contre les autorisations d'utilisation ou d'occupation du sol ».
Cette proposition a été reprise par le décret no 2018-617 du 17 juillet 2018 qui a instauré l'article R. 600-5 du Code de l'urbanisme retenant comme point de départ de la cristallisation automatique un délai de deux mois après la production du premier mémoire en défense. Au-delà, aucun moyen nouveau ne peut être produit. Par conséquent, le pétitionnaire tout comme l'auteur de l'autorisation d'urbanisme ont le plus grand intérêt à déposer leur mémoire en défense le plus rapidement possible.
Le troisième alinéa de l'article R. 600-5 réserve toutefois la possibilité pour le juge de déroger à la cristallisation automatique et, partant, de fixer une nouvelle date de cristallisation, lorsque le jugement de l'affaire le justifie.
Ainsi le décret de 2018 a-t-il rétabli un mécanisme applicable au seul contentieux de l'urbanisme. Par la suite, le décret no 2019-303 du 10 avril 2019 a étendu le dispositif aux recours dirigés contre les décisions modificatives intervenant en cours d'instance régis par l'article L. 600-5-2 du Code de l'urbanisme.

Les critiques sur le dispositif de l'article R. 600-5 du Code de l'urbanisme

– Deux critiques. – Deux critiques peuvent être formulées sur le dispositif de l'article R. 600-5 du Code de l'urbanisme.
La première critique concerne la limitation de la portée du dispositif par le Conseil d'État. En effet, la Haute juridiction estime que le gel des moyens en première instance ne vaut pas en appel, ni devant le juge de renvoi après cassation.
La seconde critique émane de la commission Rebsamen qui propose de « fixer le délai de cristallisation des moyens prévu à l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme à deux mois à compter du dépôt de la requête initiale du pétitionnaire au lieu de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense ».

La procédure de référé-suspension

La procédure de référé-suspension avant les réformes de 2018

– Avec l'étude de la procédure de référé-suspension, c'est à une course contre le temps que nous nous confrontons. – En matière d'urbanisme, la voie du référé est moins empruntée que dans d'autres domaines. En effet, en pratique, le seul dépôt d'un recours au fond suspend le démarrage du chantier.
Dans l'hypothèse où, s'appuyant sur le caractère exécutoire de l'autorisation de construire et surmontant ses craintes, le maître d'ouvrage débute le chantier, les tiers peuvent demander au juge des référés la suspension des travaux, puisque la condition d'urgence est désormais présumée satisfaite.
La procédure de référé-suspension, issue de la loi du 30 juin 2000 relative aux procédures d'urgence devant les juridictions administratives, est organisée par l'article L. 521-1 du Code de justice administrative qui dispose :
« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute quant à la légalité de la décision.
Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu'il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision ».
Il résulte de ces dispositions que le juge des référés est en droit de suspendre l'exécution d'une décision dès lors que trois critères cumulatifs se trouvent réunis :
  • une requête au fond a été déposée ;
  • l'urgence le justifie ;
  • il existe un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

Les modifications apportées par les réformes de 2018

– Les particularités du référé-suspension en matière d'urbanisme pour sécuriser le bénéficiaire de l'autorisation. – La commission Maugüé a souhaité « encadrer et utiliser autrement la procédure de référé-suspension » en matière d'urbanisme, avec comme objectifs :
  • que les bénéficiaires d'autorisations connaissent avec précision et le plus en amont possible les risques qui pèsent sur leur autorisation et ainsi, le cas échéant, régularisent la situation ;
  • que la procédure de référé en matière d'autorisation d'urbanisme soit aisée à exercer mais également enserrée dans un délai afin d'éviter les suspensions tardives de projet.
Réformé sur la base des travaux de la commission Maugüé, le référé-suspension en matière d'urbanisme présente aujourd'hui deux spécificités issues de la loi ELAN du 23 novembre 2018.
– Première spécificité. – La première spécificité concerne le délai d'introduction de la procédure de référé-suspension. Elle résulte de l'article L. 600-3, alinéa 1, du Code de l'urbanisme selon lequel : « Un recours dirigé contre une décision de non-opposition à déclaration préalable ou contre un permis de construire, d'aménager ou de démolir ne peut être assorti d'une requête en référé-suspension que jusqu'à l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort ».
Concrètement, un recours en référé-suspension n'est recevable que s'il est formé au plus tard deux mois après la production du premier mémoire en défense.
Il est également important d'observer que, contrairement aux procédures des articles L. 600-7 (demande reconventionnelle en dommages-intérêts) et L. 600-8 (encadrement des transactions) du Code de l'urbanisme, la déclaration préalable entre dans le champ d'application du texte.
De la même manière, à la différence du dispositif de l'article R. 600-5 (cristallisation des moyens), en ne visant que le « juge saisi en premier ressort », l'alinéa premier de l'article L. 600-3 exclut toute possibilité de référé-suspension en appel.
– Seconde spécificité. – La seconde spécificité conduit à présumer satisfaite la condition d'urgence, ainsi qu'en dispose l'article L. 600-3 du Code de l'urbanisme : « La condition d'urgence prévue à l'article L. 521-1 du code de justice administrative est présumée satisfaite ».
Davantage qu'une innovation, il s'agit plutôt d'une consécration de la jurisprudence antérieure.
Toutefois, il s'agit d'une présomption simple. Le fil conducteur de la jurisprudence est que la suspension doit avoir un effet utile.
– La procédure de confirmation de la requête au fond. – Par ailleurs, à l'occasion de la traduction réglementaire des propositions de la commission Maugüé, a été imposée au requérant une procédure de confirmation de la requête au fond dans un délai d'un mois en cas de rejet de sa demande de suspension. À défaut, il sera considéré comme s'étant désisté de son recours.
Cette obligation, codifiée à l'article R. 612-5-2 du Code de justice administrative, a vocation à s'appliquer à l'ensemble du contentieux administratif. Toutefois, ces dispositions nouvelles ne s'appliquent pas en cas de pourvoi en cassation contre l'ordonnance de rejet.
– Précisions complémentaires. – Enfin, sur le plan de la procédure, deux précisions méritent d'être apportées.
D'une part, lorsqu'un recours contre un permis de construire ou d'aménager est assorti d'une demande de suspension, le juge est tenu de statuer sur cette dernière dans un délai d'un mois. Mais si la demande de suspension est présentée par l'État, une commune ou un établissement public de coopération intercommunale dans un délai de dix jours à compter de la réception de l'autorisation, cette suspension intervient de droit jusqu'à ce que le juge se prononce sur la demande dans un délai maximum d'un mois. Conformément aux dispositions de l'article L. 2131-6 du Code général des collectivités territoriales auquel il est renvoyé par l'article L. 600-3, alinéa 3, du Code de l'urbanisme, l'autorisation d'urbanisme redevient exécutoire si le juge ne s'est pas prononcé sur sa suspension au terme de ce délai d'un mois.
D'autre part, les décisions rendues sur référé-suspension, et celles par lesquelles le juge des référés modifie les mesures ordonnées ou y met fin, sont rendues en dernier ressort. Elles ne peuvent être contestées que par la voie d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'État.

Les voies de recours

– Le principe du double degré de juridiction. – Au sein de l'ordre administratif, le jugement des litiges en matière d'urbanisme relève en premier ressort d'un tribunal administratif (CJA, art. L. 311-1), en appel d'une cour administrative d'appel (CJA, art. L. 321-1), tandis que le Conseil d'État intervient comme juge de cassation (CJA, art. L. 331-1).
Le délai pour faire appel d'un jugement de tribunal administratif est de deux mois à compter de la notification du jugement (CJA, art. R. 811-2).
Le délai pour former un pourvoi en cassation contre un arrêt de cour administrative d'appel est également de deux mois à compter de la notification de l'arrêt (CJA, art. R. 821-1).
Cependant, en vue d'accélérer le cours de la justice, diverses mesures ont été adoptées bouleversant les règles traditionnelles.
– La suppression de l'appel pour les autorisations d'urbanisme portant sur des biens situés en zone tendue. – Aux termes de l'article R. 811-1-1 du Code de justice administrative : « À l'exception des autorisations et actes afférents aux opérations d'urbanisme et d'aménagement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre 1° Les permis de construire ou de démolir un bâtiment comportant plus de deux logements, les permis d'aménager un lotissement, les décisions de non-opposition à une déclaration préalable autorisant un lotissement ou les décisions portant refus de ces autorisations ou opposition à déclaration préalable lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du code général des impôts et son décret d'application (…) ».
Les dispositions du présent article s'appliquent aux recours introduits entre le 1er septembre 2022 et le 31 décembre 2027.
– Le délai de jugement de dix mois. – Aux termes de l'article R. 600-6 du Code de l'urbanisme : « Le juge statue dans un délai de dix mois sur les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d'aménager un lotissement ou contre les décisions refusant la délivrance de ces autorisations. La cour administrative d'appel statue dans le même délai sur les jugements rendus sur les requêtes mentionnées au premier alinéa ».
Cette mesure, suggérée par la commission Maugüé, a été instituée par le décret no 2018-617 du 17 juillet 2018.
Le non-respect de ce délai n'est pas sanctionné, notamment par un dessaisissement de la juridiction. Il s'agit donc d'un délai indicatif. Il apparaît toutefois, en pratique, que les juridictions le respectent.
Le décret no 2022-929 du 24 juin 2022 a élargi le délai de jugement de dix mois aux décisions refusant la délivrance de ces autorisations. On peut penser qu'il en va de même des sursis à statuer compte tenu du fait qu'ils sont analysés comme des décisions de refus sur le plan procédural.
– Le permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. – Aux termes de l'article L. 600-10 du Code de l'urbanisme, les cours administratives d'appel sont compétentes pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs au permis de construire tenant lieu d'autorisation commerciale prévu à l'article L. 425-4.
L'urbanisme commercial a été notamment réformé par la loi no 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite « loi Pinel ». L'une des mesures les plus emblématiques a été la fusion des autorisations d'urbanisme et d'équipement commercial.
Sur l'application de l'article L. 600-10, le tribunal administratif de Nice a jugé que « le recours contre un permis relatif à une opération de construction mixte, comprenant 150 logements dont 45 logements locatifs sociaux, des commerces, un cinéma, une surface alimentaire, une halle marchande, un parc de stationnement relève de la cour administrative d'appel pour un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ».
– Les Jeux olympiques de 2024. – Aux termes de l'article R. 311-2, 5° du Code de justice administrative, la cour administrative d'appel de Paris est compétente pour connaître en premier et dernier ressort, à compter du 1er janvier 2019, des litiges afférents aux opérations d'urbanisme et d'aménagement, aux opérations foncières et immobilières, aux infrastructures et équipements ainsi qu'aux voiries dès lors qu'ils sont, même pour partie seulement, nécessaires à la préparation, à l'organisation ou au déroulement des Jeux olympiques et paralympiques de 2024.
– Les éoliennes. – Aux termes de l'article R. 311-5, 17° et 18° du Code de justice administrative, les cours administratives sont compétentes pour connaître, en premier et dernier ressort, des litiges portant sur les décisions suivantes, y compris leur refus, relatives aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent classées au titre de l'article L. 511-2 du Code de l'environnement, à leurs ouvrages connexes, ainsi qu'aux ouvrages propres au producteur et aux premiers postes de réseau public auxquels ils sont directement raccordés :
  • le permis de construire de l'installation de production délivré en application de l'article R. 421-1 du Code de l'urbanisme dans les cas où cette installation n'en a pas été dispensée sur le fondement de l'article R. 425-29-2 de ce code ;
  • pour les ouvrages d'acheminement de l'électricité, le permis de construire ou la décision de non-opposition à déclaration préalable du poste électrique délivrés en application des articles R. 421-1 ou R. 421-9 du Code de l'urbanisme.