– La politique de l'anticipation. – De plus en plus, le législateur vise à ce que les maîtres d'ouvrage anticipent les enjeux liés à la décarbonation au moment de la conception de leur projet. Des études préalables sont ainsi imposées pour évaluer les diverses solutions d'approvisionnement en énergie (I) ou sur le potentiel de réversibilité des bâtiments (II).
Encadrement de la conception des bâtiments
Encadrement de la conception des bâtiments
L'étude de faisabilité technique et économique évaluant les diverses solutions d'approvisionnement en énergie
– La forte incitation au déploiement des énergies renouvelables pour la décarbonation. – Aux termes de l'article L. 122-1 du Code de la construction et de l'habitation, afin de favoriser le recours aux énergies renouvelables, certaines constructions de bâtiments doivent faire l'objet – avant leur construction ou avant la réalisation de travaux de rénovation énergétique – d'une étude de faisabilité technique et économique évaluant les diverses solutions d'approvisionnement en énergie.
Selon les dispositions de l'article R. 122-2 du Code de la construction et de l'habitation, sont concernées par la réalisation d'une étude de faisabilité technique et économique des diverses solutions d'approvisionnement en énergie pour le chauffage, la ventilation, le refroidissement, la production d'eau chaude sanitaire et l'éclairage des locaux, les constructions de bâtiments mentionnées à l'article R. 172-10 du même code – les établissements d'accueil de la petite enfance, les zones d'hébergement des bâtiments d'enseignement secondaire, les hôtels, les restaurants, les commerces et les établissements de santé.
Selon les dispositions de l'article R. 122-2-1 du Code de la construction et de l'habitation, sont également concernées par la réalisation de cette étude les constructions de bâtiments visées aux articles R. 172-1 et R. 172-3 du même code, à savoir :
- constructions de bâtiments ou parties de bâtiments à usage d'habitation qui ont fait l'objet d'une demande de permis de construire ou d'une déclaration préalable déposée à compter du 1er janvier 2022 ;
- constructions de bâtiments ou parties de bâtiments à usage de bureaux ou d'enseignements primaires ou secondaires qui ont fait l'objet d'une demande de permis de construire ou d'une déclaration préalable déposée à compter du 1er juillet 2022 ;
- constructions de parcs de stationnement associés à ces bâtiments ;
- constructions temporaires de bâtiments d'habitation, de bureaux, ou d'enseignement primaire ou secondaire et à celles de ces mêmes bâtiments implantés pour une durée n'excédant pas deux ans, ainsi qu'aux habitations légères de loisirs, depuis le 1er juillet 2023 ;
- constructions de bâtiments d'une surface inférieure à 50 m² et pour les extensions de bâtiments d'une surface inférieure à 150 m², depuis le 1er janvier 2022 ;
- ne sont pas concernées la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion et Mayotte.
Selon les dispositions de l'article R. 122-3 du Code de la construction et de l'habitation, le maître d'ouvrage réalise également une telle étude dans les cas prévus à l'article R. 173-2 du même code, qui vise les dispositions générales s'appliquant à certains bâtiments existants (V. CCH, art. R. 173-1 à R. 173-11). Ce texte précise que lorsque le coût total prévisionnel de travaux de rénovation portant soit sur l'enveloppe d'un bâtiment d'une surface hors œuvre nette supérieure à 1 000 m2 et ses installations de chauffage, de production d'eau chaude, de refroidissement, de ventilation et d'éclairage, soit sur sa seule enveloppe est supérieur à 25 % de sa valeur, le maître d'ouvrage doit améliorer sa performance énergétique.
Cette étude doit être faite préalablement au dépôt de la demande de permis de construire. Le décret no 2023-1175 du 12 décembre 2023 relatif aux documents attestant du respect des règles concernant l'acoustique, l'accessibilité et la performance énergétique et environnementale a supprimé l'obligation de transmettre l'attestation de réalisation de cette étude au moment du dépôt du permis de construire, car elle est jugée « moins utile depuis l'entrée en vigueur de la RE 2020 qui incitera fortement aux recours aux énergies renouvelables ». En effet, depuis le 1er janvier 2024, il conviendra, d'une part, au moment du dépôt du dossier de demande de permis de construire, de fournir un document attestant du respect, au stade de la conception, des exigences énergétiques et environnementales mentionnées au titre VII du Code de la construction et de l'habitation et, d'autre part, à l'achèvement (des travaux de construction des bâtiments soumis à permis de construire et des travaux de rénovation de bâtiments existants soumis à permis), de fournir à l'autorité ayant délivré l'autorisation un document attestant du respect des règles de construction en matière de performance énergétique et environnementale prévues au même titre VII (V. infra).
Étude du potentiel de changement de destination et d'évolution d'un bâtiment
– Primauté à l'existant et fin de la démolition systématique. – L'article 224 de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a introduit les articles L. 122-1-1 et L. 126-35-1 au Code de la construction et de l'habitation. Ceux-ci prévoient la réalisation d'une étude du potentiel de changement de destination et d'évolution préalablement aux travaux de construction et de démolition d'un bâtiment. Cette mesure fait partie des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, retenues dans la loi Climat et Résilience. Elle comporte un objectif environnemental et innovant et poursuit plusieurs ambitions dans ce domaine :
- réduire le nombre de démolitions de bâtiments existants, fortement génératrices de déchets ;
- développer des pratiques vertueuses en matière de construction et inciter à l'intégration, dès sa conception, d'une possible transformation ultérieure du bâtiment.
Il s'agit d'encourager et de développer le changement de destination et de permettre l'évolution du bâtiment (en termes de gabarit notamment) afin d'éviter sa démolition, augmenter globalement sa durée de vie et minimiser les travaux de rénovation lourde ou de transformation.
Avant construction
– Forte incitation à la réutilisation des bâtiments pour la décarbonation. – L'article L. 122-1-1 du Code de la construction et de l'habitation prévoit que le maître d'ouvrage de travaux de construction de certaines catégories de bâtiments doit, préalablement au dépôt de l'autorisation d'urbanisme correspondante, faire procéder à la réalisation d'une étude portant sur « le potentiel de changement de destination et d'évolution du bâtiment, y compris par sa surélévation ».
Une fois cette étude réalisée, une attestation est remise par la personne qui en a la charge au maître d'ouvrage, qui doit la transmettre aux services préfectoraux compétents avant le dépôt de la demande d'autorisation d'urbanisme nécessaire à la réalisation du projet. Cette nouvelle obligation s'inscrit dans la continuité de l'objectif d'ores et déjà porté par la loi ELAN d'incitation à la prise en compte de l'évolution des bâtiments à moyen et long terme et de leur potentiel de réversibilité à l'occasion de leur construction : est ici introduite la notion de « logements évolutifs » à l'article L. 111-7-1 du Code de la construction et de l'habitation.
Dans la mesure où ladite étude ne constituera pas une pièce obligatoire du permis de construire, le service instructeur ne pourra pas en vérifier l'existence ni même tenir compte de son contenu dans le cadre de l'instruction de l'autorisation, ce qui réduit significativement la portée du dispositif. Néanmoins, le contrôle de l'existence de cette étude sera assuré par les services préfectoraux, également destinataires, au titre du contrôle de légalité, de l'autorisation d'urbanisme délivrée.
Avant démolition
– Conserver et réutiliser plutôt que démolir. – L'article L. 126-35-1 du Code de la construction et de l'habitation prévoit, pour sa part, d'imposer au maître d'ouvrage, préalablement aux travaux de démolition des bâtiments nécessitant la réalisation d'un diagnostic « produits, matériaux et déchets », à compter du 1er janvier 2023, la réalisation d'une étude similaire portant sur le « potentiel de changement de destination et d'évolution du bâtiment ». Le but recherché par cette nouvelle obligation est de réfléchir au potentiel de réversibilité du bâtiment et, le cas échéant, d'en justifier la démolition en veillant à adopter une démarche d'économie circulaire.
Le défaut de réalisation de ces études, comme cela va être exposé infra
, entraîne l'application d'une sanction administrative dans le cadre de la police de la construction. Il n'en demeure pas moins que ladite sanction ne saurait empêcher la réalisation de l'opération souhaitée par le maître d'ouvrage.
Le projet de décret en consultation publique
– Un projet de décret en consultation publique. – Un projet de décret pris en application des articles L. 122-1-1 et L. 126-35-1 du Code de la construction et de l'habitation et portant sur l'étude du potentiel de changement de destination et d'évolution préalable aux travaux de construction et de démolition de bâtiment a été mis en consultation publique du 18 décembre 2023 au 8 janvier 2024.
– Dispositions du projet de décret concernant la construction neuve. – Un nouvel article R. 122-4-1 du Code de la construction et de l'habitation préciserait que l'étude du potentiel de changement de destination et d'évolution mentionnée à l'article L. 122-1-1 du même code permettrait au maître d'ouvrage d'identifier les dispositions à intégrer lors de la conception et permettant le changement de destination ou d'évolution des projets de construction cités ci-après. Cette étude serait réalisée préalablement aux travaux de construction :
- de bâtiments à usage majoritaire d'habitation ou de bureau dont la surface de plancher créée serait supérieure ou égale à 5 000 m2 ;
- de bâtiments à usage de stationnement, hors stationnement souterrain, associés à un bâtiment appartenant aux catégories de construction prévues supra ;
- de bâtiments à usage de stationnement, hors stationnement souterrain, de plus de cinquante places.
Elle contiendrait notamment, selon le projet d'article R. 122-4-2 du Code de la construction et de l'habitation :
- l'identification du projet de construction concerné ;
- une évaluation du potentiel de changement de destination et d'évolution du projet de construction, tenant compte des contraintes réglementaires, nationales et locales en vigueur lors de la réalisation de l'étude et de l'environnement et du projet urbain dans lesquels se situe la construction concernée. Elle tiendrait compte des objectifs de densification, d'optimisation du foncier disponible et de production de logements, ainsi que des mobilités et également des critères architecturaux et techniques, de la structure, du second œuvre et des réseaux d'eau et d'énergie du bâtiment ;
- la description d'un ou plusieurs scénarios de changement de destination et d'évolution ;
- le ou les scénarios privilégiés et, le cas échéant, la justification de l'impossibilité de proposer un scénario de changement de destination ou d'évolution, notamment en cas de disproportion économique ou d'impossibilité technique.
Selon le projet de décret, l'article R. 122-4-3 du Code de la construction et de l'habitation prévoirait que le maître d'ouvrage demanderait à la personne physique ou morale à laquelle il ferait appel pour réaliser l'étude de lui fournir la preuve, avant la réalisation de l'étude, de ses compétences pour la réalisation de cette mission. Cette preuve pourrait être satisfaite par différents moyens détaillés à cet article.
L'attestation visée à l'article L. 122-1-1 du Code de la construction et de l'habitation concernant ladite étude contiendrait plusieurs éléments dont le contenu serait précisé à l'article R. 122-4-4 dudit code, notamment :
- la localisation du projet (la ou les références cadastrales et l'adresse) ;
- l'engagement sur l'honneur du maître d'ouvrage d'avoir rempli les obligations prévues à l'article L. 122-1-1 ;
- la description du ou des scénarios privilégiés et, le cas échéant, la justification de l'impossibilité de proposer un scénario de changement de destination ou d'évolution.
Le nouvel article R. 122-4-5 du Code de la construction et de l'habitation, tel que prévu par le projet de décret, préciserait que préalablement au dépôt de la demande de permis de construire, le maître d'ouvrage transmettrait, notamment par voie électronique, l'attestation prévue à l'article L. 122-2-1 à la direction départementale des territoires et de la mer du département de la localisation du projet. Le maître d'ouvrage communiquerait l'étude prévue à l'article L. 122-1-1 aux services du ministère en charge de la construction, à leur demande.
– Dispositions du projet de décret concernant les démolitions. – Il serait créé un article R. 126-14-3 au Code de la construction et de l'habitation qui prévoirait que l'étude du potentiel de changement de destination et d'évolution mentionnée à l'article L. 126-35-1 du même code permettrait au maître d'ouvrage, lors d'un projet de démolition soumis au diagnostic mentionné à l'article L. 126-34, d'évaluer le potentiel de changement de destination ou d'évolution du bâtiment et ainsi d'envisager sa réutilisation.
Elle contiendrait, selon le projet d'article R. 126-14-4 du Code de la construction et de l'habitation :
- l'identification du projet de démolition concerné, notamment :
- une évaluation du potentiel de changement de destination et d'évolution du bâtiment dont la démolition serait envisagée, en tenant compte :
- la description d'un ou plusieurs scénarios de changement de destination et d'évolution présentant pour chacun :
Selon le projet de décret, l'article R. 126-14-5 du Code de la construction et de l'habitation prévoirait que le maître d'ouvrage demanderait à la personne physique ou morale à laquelle il ferait appel pour réaliser l'étude mentionnée à l'article L. 126-35-1 de lui fournir la preuve, avant la réalisation de l'étude, de ses compétences pour la réalisation de cette mission. Cette preuve pourrait être satisfaite par différents moyens détaillés à l'article R. 126-14-5.
– Entrée en vigueur des deux dispositifs. – Ces dispositions, si elles venaient à paraître telles quelles, s'appliqueraient aux bâtiments faisant l'objet de travaux de construction et de travaux de démolition dont les demandes d'autorisation d'urbanisme seraient déposées à compter du 1er juillet 2024, ou, à défaut, dont la date d'acceptation des devis ou de passation des marchés relatifs aux travaux de démolition serait postérieure au 1er juillet 2024.
Ce report de l'entrée en vigueur permettrait de laisser du temps aux maîtres d'ouvrage de s'approprier les mesures.
Enfin, il est prévu qu'elles ne s'appliqueraient pas aux bâtiments à usage d'habitation appartenant à un organisme d'habitations à loyer modéré ayant reçu les accords préalables à leur démolition prévus à l'article L. 443-15-1 du Code de la construction et de l'habitation avant le 1er juillet 2024.