Des permis d'innover et d'expérimenter, des solutions d'effet équivalent… encore en phase expérimentale

Des permis d'innover et d'expérimenter, des solutions d'effet équivalent… encore en phase expérimentale

Bref historique et précision terminologique

– Le permis d'innover. – Il a pour origine la loi LCAP du 7 juillet 2016 avec deux processus visant à faciliter l'innovation dans la construction :
  • le I de l'article 88 permettait à certains maîtres d'ouvrage publics, pour des projets de construction d'équipements publics ou de logements sociaux, de déroger à des règles de construction dès lors que leur étaient substituées des solutions permettant d'atteindre les mêmes résultats ;
  • cette possibilité a été abrogée par l'ordonnance du 30 octobre 2018 qui lui a substitué le « permis d'expérimenter » qui le recouvre et va même au-delà ;
  • le II de l'article 88 vise le « permis d'innover » qui permet à l'État et aux collectivités publiques d'autoriser les maîtres d'ouvrage au sein de certains secteurs (tout d'abord les OIN, puis avec la loi ELAN, les GOU et les ORT) à proposer également des solutions alternatives aux règles de construction ou d'aménagement, à condition de démontrer que ces alternatives permettent d'atteindre des résultats satisfaisants par rapport aux objectifs poursuivis par les règles auxquelles il est dérogé.
– Le permis d'expérimenter. – Il a pour origine l'article 49 de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, dite « loi ESSOC », qui a habilité le gouvernement à procéder par ordonnance, en deux étapes :
  • ordonnance no 2018-937 du 30 octobre 2018 : directement inspirée du I de l'article 88 précité, elle consiste à faciliter, pour les maîtres d'ouvrage tant publics que privés, la mise en œuvre de solutions alternatives dans les projets de construction ;
  • c'est le « permis d'expérimenter » en tant que tel, dispositif transitoire abrogé par la seconde ordonnance ;
  • ordonnance no 2020-71 du 29 janvier 2020 qui a consisté en la réécriture des règles de la construction pour autoriser de manière pérenne les maîtres d'ouvrage à mettre en œuvre des solutions techniques ou architecturales innovantes et a abouti à ce que l'on appelle le « permis d'expérimenter loi ESSOC II » ou « solutions d'effet équivalent ».
Si les termes employés ont évolué, il s'agit néanmoins d'une recodification du Code de la construction et de l'habitation à droit constant, en vue d'identifier clairement les objectifs et de simplifier les règles.

Pourquoi deux permis, deux procédures ?

Droit positif

– Cumul des dispositifs ? – Le permis d'innover constitue une expérimentation prévue pour durer sept ans à compter de la promulgation de la loi ELAN, soit jusqu'au 22 novembre 2025.
Le permis d'expérimenter, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 29 janvier 2020, continue de régir les opérations ayant fait l'objet d'une attestation d'équivalence délivrée antérieurement à son entrée en vigueur, soit le 1er juillet 2021.
Depuis le 1er juillet 2021, s'applique le permis d'expérimenter dans sa version issue des articles L. 112-9 à L. 112-12 du Code de la construction et de l'habitation.
Aujourd'hui, coexistent donc le « permis d'innover » (jusqu'au 22 novembre 2025 sauf prorogation de l'expérimentation) dans les opérations et secteurs spécifiques que sont les OIN, les GOU et les ORT, et le « permis d'expérimenter » ou « solutions d'effet équivalent » sur l'ensemble du territoire et dans l'intégralité des opérations, qui est réglementé par le Code de la construction et de l'habitation.
S'agissant de la possibilité de cumuler les deux dispositifs pour, par exemple, proposer une solution d'effet équivalent dans une ORT, le doute est permis dans la mesure où les dispositions de la loi LCAP du 7 juillet 2016 relatives au permis d'innover, qui précisaient que ce permis d'innover ne pouvait pas être utilisé en même temps que le permis d'expérimenter, ont été partiellement abrogées par l'ordonnance du 30 octobre 2008.
Le cumul des deux outils ne présente dans tous les cas que peu d'intérêt dans la mesure où l'opérateur, dès lors qu'il interviendra dans une opération d'intérêt national (OIN), une grande opération d'urbanisme (GOU) ou une opération de revitalisation du territoire (ORT), pourra se prévaloir d'un permis d'innover moins contraignant en termes de contrôle pendant et à la fin des travaux et même en amont de la demande du fait de l'absence de certification exigée de l'auteur de l'étude démontrant l'équivalence des résultats malgré l'emploi d'un moyen différent.

Solutions d'effet équivalent

– La fin annoncée du permis d'innover. – C'est précisément ce manque de contrôle et d'exigence de l'intervention d'un organisme certificateur indépendant qui rend le « permis d'innover » plus fragile tant pour l'autorité administrative qui l'autorise que pour le maître d'ouvrage qui le met en œuvre. Or, si le manque de cadre précis favorise la liberté de création et l'innovation, il rend plus difficile l'accès à l'assurabilité du projet et son financement.
Il est probable que le « permis d'innover » s'éteigne de sa belle mort, laissant ainsi la place aux « solutions d'effet équivalent » désormais codifiées aux articles L. 112-9 à L. 112-12 du Code de la construction et de l'habitation.
– S'écarter des solutions de référence avec les solutions d'effet équivalent. – Dans le cadre de la réécriture des règles de construction, le législateur, après avoir défini les objectifs assignés aux maîtres d'ouvrage dans tel ou tel domaine technique, en leur assignant ou pas des résultats minimaux à atteindre, leur ouvre la voie de l'innovation en leur permettant de s'écarter de la solution technique ou de la solution de référence définie réglementairement.
  • Si la réglementation prévoit un résultat minimum à atteindre, le maître d'ouvrage doit apporter la preuve que la solution qu'il souhaite mettre en œuvre permet d'atteindre le résultat minimum en question.
  • Si la réglementation ne prévoit pas de résultat minimum, il doit apporter la preuve que la solution d'effet équivalent respecte les objectifs généraux et permet d'atteindre des résultats au moins équivalents à ceux de la solution de référence à laquelle il est dérogé.
Le maître d'ouvrage devra à cet effet s'adjoindre les services d'un ingénieur d'étude ou concepteur qui définira les méthodes de construction permettant de respecter les objectifs généraux. À noter que celui-ci peut à cette occasion solliciter de l'autorité administrative la transformation de sa solution d'effet équivalent (SEE) en solution de référence.
Comme pour le permis d'expérimenter dans son ancienne version, le maître d'ouvrage doit démontrer que sa solution d'effet équivalent respecte les objectifs généraux et permet d'atteindre des résultats au moins équivalents à ceux de la solution de référence à laquelle elle se substitue.
Cette démonstration, qui doit avoir lieu avant toute mise en œuvre de la solution d'effet équivalent, va résulter d'une attestation dite « de respect des objectifs » ou « attestation d'effet équivalent » délivrée par un organisme tiers qui sera transmise au ministre chargé de la construction, soit lors de la demande d'autorisation d'urbanisme si celle-ci relève de sa compétence, soit lors de l'achèvement des travaux avec « l'attestation de bonne mise en œuvre ».
Cet organisme tiers doit offrir des garanties de compétence et d'indépendance et être couvert par une assurance de responsabilité civile professionnelle ; il n'a toutefois pas à souscrire une assurance de responsabilité décennale, le législateur ne l'ayant pas qualifié de constructeur.
En cours de travaux, un contrôleur technique doit par ailleurs attester de la bonne mise en œuvre des moyens par le maître d'ouvrage.
Il n'a plus nécessairement à être indépendant de ce dernier, mais il doit l'être désormais avec l'organisme tiers qui a délivré, en amont du projet, l'attestation de respect des objectifs. Et à la différence de ce dernier, le contrôleur technique est assimilé par la loi à un constructeur, et doit obligatoirement à ce titre souscrire une assurance de responsabilité décennale.
En fin de travaux, ce même contrôleur technique va délivrer une attestation de bonne prise en compte par le maître d'ouvrage de ses avis sur la conformité de la mise en œuvre de la solution d'effet équivalent. Il n'atteste pas en revanche que les résultats sont atteints.
Le législateur n'a envisagé que l'hypothèse du respect des avis émis par le contrôleur ; si tel n'est pas le cas, le maître d'ouvrage ne se verra délivrer aucune attestation et il encourra une mise en demeure de respecter les avis du contrôleur, voire une amende d'au maximum 1 500 €.