Face à une jurisprudence qui rappelle à juste titre que les chartes promoteurs ne peuvent pas empiéter sur le pouvoir réglementaire, une évolution s'avère nécessaire pour leur faire une juste place dans l'ordonnancement juridique.
Clarifier et intégrer les chartes dans l'ordonnancement juridique
Clarifier et intégrer les chartes dans l'ordonnancement juridique
– Une position jurisprudentielle. – Le juge administratif tire toutes les conséquences de la qualification de « droit souple » de ces chartes pour exercer sur celles-ci un contrôle juridictionnel. En effet, le Conseil d'État admet qu'un recours pour excès de pouvoir puisse être introduit à l'encontre de ce type de conventions, dès lors qu'elles sont « de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s'adressent ».
Sans aller jusqu'au contrôle de la soft law, le juge administratif a récemment eu l'occasion de sanctionner une charte promoteur sur le terrain de la compétence exclusive d'édiction des règles d'urbanisme et du caractère limitatif des pièces pouvant être exigées d'un pétitionnaire.
En l'espèce, la commune de Bois-Guillaume, expliquant que « l'urbanisme est l'affaire de tous », avait confié à seize citoyens tirés au sort, réunis dans une convention citoyenne et dans le cadre d'ateliers, la mission d'émettre des propositions autour de cinq thématiques (identité patrimoniale et ambition architecturale ; transition écologique et performance énergétique des bâtiments ; nature en ville et biodiversité ; espace public et convivialité ; démarche et méthodologie). Ces propositions furent reprises dans une charte approuvée en délibération du conseil municipal du 3 février 2022, laquelle précisait qu'il s'agissait de « fixer les règles du jeu en matière de construction, d'aménagement et d'urbanisme », après avoir estimé « nécessaire d'établir un référentiel commun qui dépasse le seul cadre réglementaire du plan local d'urbanisme intercommunal, par une approche plus qualitative et circonstanciée ». À cet effet, la charte avait fixé des « engagements » qui « devront (…) être scrupuleusement appréhendés dans chaque opération » par les opérateurs immobiliers signataires de ce document. La délibération précisait que « cette charte, après avoir été approuvée en conseil municipal, sera signée par l'ensemble des opérateurs immobiliers ».
Le juge administratif a estimé qu'au vu des « engagements » qu'elle comportait, la « Charte de l'urbanisme et du cadre de vie » de Bois-Guillaume devait être regardée comme imposant aux opérateurs immobiliers concernés des règles impératives en matière « d'aménagement de l'espace métropolitain » au sens des dispositions de l'article L. 5217-2 du Code général des collectivités territoriales, relevant, par nature, du plan local d'urbanisme intercommunal. La commune n'était donc pas compétente pour adopter de telles prescriptions en matière d'urbanisme qui relèvent de la compétence de la Métropole Rouen Normandie dont est membre la commune. Il ne fait en effet pas de doute qu'en adhérant à une métropole, la commune a transféré de plein droit sa compétence en matière d'élaboration de ses documents d'urbanisme.
Le tribunal administratif de Rouen rappelle ensuite que seuls la loi et le règlement peuvent édicter des règles relatives à l'utilisation des sols et à l'implantation des constructions ; il n'appartient pas aux communes ni aux établissements publics de coopération intercommunale à qui aurait été dévolue cette compétence d'ajouter de nouvelles exigences de fond par rapport à celles prévues par le Code de l'urbanisme.
Cet arrêt marque un rappel à l'ordre important, et il est essentiel de noter qu'il émane de l'État. En effet, dans cette affaire, c'est le préfet qui avait déféré la délibération du conseil municipal devant le tribunal.
Les défis de la transition écologique et du logement ne doivent pas autoriser le mélange des genres sous prétexte de démocratie participative et d'urgence climatique et sociale, au risque de dérives et d'entraves aux droits fondamentaux.
Les collectivités territoriales qui souhaitent rédiger une charte doivent, dans tous les cas, éviter toute terminologie contraignante vis-à-vis des opérateurs et, de préférence, y associer les professionnels de la construction et de l'aménagement ainsi que les usagers. Quant aux opérateurs, ils doivent porter devant le juge toute charte qui viendrait leur imposer des prescriptions d'urbanisme à l'occasion de leur demande d'autorisation d'urbanisme.
Mais cette position trouve sa limite dans le rapport de force qui existe entre les élus et les promoteurs immobiliers, traditionnellement peu enclins à entrer en contentieux avec les villes…
– Une évolution législative et réglementaire. – Il conviendrait de rappeler aux élus, tout d'abord, ce que le Code de l'urbanisme n'autorise pas et, ensuite, ce que certains outils de l'urbanisme opérationnel leur permettent pour orienter l'aménagement de leur territoire. Nous pouvons citer à cet effet les servitudes de mixité sociale, les zones ANRU et les quartiers prioritaires de la politique de la ville, et surtout les ZAC qui comportent un cahier des charges de cession des terrains qui indique le nombre de mètres carrés de surface de plancher autorisé pour un usage donné, et qui impose des prescriptions techniques, urbanistiques et architecturales. Ces outils supposent, il est vrai, un certain investissement de la part des collectivités publiques, mais elles ne peuvent pas imposer sans s'impliquer.
Le législateur doit par ailleurs s'interroger sur l'adaptation actuelle de l'urbanisme réglementaire aux besoins environnementaux et sociétaux des élus pour agir sur leur territoire, et agir rapidement à l'aune du changement climatique et de la crise du logement. Les chartes promoteurs répondent, avec la pré-instruction des permis, « à des aspirations légitimes, en partie du moins », mais plutôt que d'emprunter des chemins de traverse et, partant, prendre des risques de dérive déjà avérés, il conviendrait de recadrer les choses :
- en élargissant le contenu des plans locaux d'urbanisme à des normes de qualité de construction (performance énergétique, matériaux, typologies, surfaces, orientations), etc., qui répondent aux aspirations des maires-bâtisseurs ;
- en autorisant l'urbanisme contractuel à l'échelle d'un quartier ou d'une opération d'envergure par l'intermédiaire de chartes d'urbanisme et de construction, dont le contenu potentiel serait strictement encadré et qui seraient réellement négociées dans le cadre d'un processus de participation du public avec garant, leur permettant d'agir, par exemple, sur les prix de sortie ou le pourcentage d'accession maîtrisée.
Tout ne peut pas et ne doit pas relever de l'urbanisme réglementaire ; de la souplesse et un temps d'échange entre la ville et ses opérateurs sont nécessaires pour apporter de la qualité aux projets et s'adapter aux évolutions souvent subies du marché de la construction et de l'immobilier. Mais cet échange et le document qui en résulte doivent bénéficier d'un cadre juridique minimum pour être sécurisés et respecter les grands principes de liberté, d'égalité et de transparence.