– Rappel du mécanisme protecteur. – L'étude des rapports préparatoires à la loi Griset met en exergue la volonté commune des deux assemblées de créer un statut unique et protecteur pour l'entrepreneur individuel. Sans aucun formalisme et sans déclaration préalable, les entrepreneurs individuels disposent désormais de deux patrimoines distincts, l'un personnel, l'autre professionnel. Le nouveau dispositif institue une étanchéité entre le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel, insaisissable par les créanciers professionnels, et le patrimoine professionnel, qui demeure le seul gage de ces derniers.
Un logement strictement personnel
Un logement strictement personnel
– Un critère simple. – Le patrimoine privé se définit par exclusion à partir de la définition du patrimoine professionnel. Quant à ce dernier, il se caractérise d'après l'utilité que présentent ses éléments pour l'exercice de l'activité professionnelle indépendante. Le Code de commerce, en son article L. 526-22, alinéa 2, définit le patrimoine professionnel comme étant composé des « biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes ». De son côté, le décret du 28 avril 2022, entré en vigueur le 15 mai 2022, détermine les éléments susceptibles d'être inclus dans le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel en raison de leur utilité. En effet, l'article R. 526-26, I prévoit que « les biens, droits, obligations et sûretés dont l'entrepreneur individuel est titulaire, utiles à l'activité professionnelle, s'entendent de ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité ».
– Application au logement. – Sans entrer dans le détail des interrogations diverses que pourrait susciter la mise en œuvre de ces principe et critère nouveaux, dont il faut bien observer qu'ils peuvent comporter une certaine part de subjectivité, on constate que, par principe, le logement ressortit au patrimoine personnel. A priori, le logement d'un entrepreneur n'a pas, en effet, d'utilité pour l'exercice de sa profession ; il est dès lors un élément de son patrimoine personnel, et soustrait comme tel aux poursuites des créanciers professionnels. Le but, clairement défini par le législateur, est de faciliter la vie des trois millions de travailleurs indépendants, de les aider à créer leur entreprise, à la développer et à la transmettre, tout en leur offrant une meilleure protection contre les aléas de la vie économique, en particulier en leur garantissant une certaine stabilité de leur cadre de vie.
– Un progrès certain. – Ce critère clair et simple permet d'écarter certaines des critiques formulées quant aux anciens systèmes d'insaisissabilité. Ainsi, dans ces anciens mécanismes, le transfert du logement pouvait entraîner transfert de la protection autrefois exclusivement accordée à la résidence principale. La critique n'est plus aujourd'hui de mise, puisque seule sera considérée l'utilité ou pas d'un immeuble pour l'exercice de l'activité.
L'ancienne insaisissabilité : une protection attachée à la personne de l'entrepreneur individuel
Un arrêt de la Cour de cassation en date du 18 mai 2022 vient rappeler une évidence : au temps de l'ancienne insaisissabilité de la résidence principale, le transfert de la résidence de l'entrepreneur emportait transfert de l'insaisissabilité. Ainsi, lorsqu'au cours de la procédure de divorce de deux époux dont l'un exerce une activité indépendante, le juge aux affaires familiales a ordonné leur résidence séparée et attribué au conjoint de l'entrepreneur la jouissance du logement familial, la résidence principale de l'entrepreneur n'est plus située dans l'immeuble appartenant aux deux époux dans lequel se trouvait le logement de la famille. Elle est transférée au lieu où l'entrepreneur fixe sa nouvelle résidence. Dès lors, les droits qu'il détient sur l'ancien logement du ménage redeviennent saisissables par ses créanciers professionnels … mettant en grand péril ceux à qui la jouissance en a été attribuée !