Le logement à l'épreuve de la faillite

Le logement à l'épreuve de la faillite

Les outils légaux
– Quelques chiffres. – Les entreprises individuelles occupent, dans le paysage entrepreneurial français, une place largement majoritaire. Il s'en crée cependant de moins en moins.
Pour des informations statistiques sur les créations mensuelles d'entreprises (Insee) :
Cette régression traduit l'opinion commune selon laquelle l'entrepreneur individuel est un entrepreneur plus vulnérable que les autres, et il est vrai que, jusqu'à une date récente, il exposait aux risques de son activité l'ensemble de son patrimoine. Néanmoins, au XXI e siècle, on constate l'avènement progressif d'une mise à l'abri des éléments d'actif non dédiés à l'activité qu'il exerce, et tout particulièrement de son logement.
– Un peu d'histoire. – À partir du XIX e siècle, l'unicité du patrimoine est présentée comme un dogme irréfragable. Pour cette raison, longtemps la constitution d'un patrimoine professionnel autonome n'est passée que par la constitution d'une personne morale également autonome, qui en était titulaire. Aussi, dans un premier temps, le législateur se contenta d'autoriser les entrepreneurs individuels à constituer des sociétés unipersonnelles. L'EURL et l'EARL, premières structures juridiques ne comportant qu'un seul associé, voient le jour avec la loi du 11 juillet 1985, devenant ainsi les sœurs aînées des Selarl et des SAS, elles aussi unipersonnelles. Leur efficacité a prouvé ses effets sur la protection de l'entrepreneur puisqu'elles sont titulaires d'un patrimoine propre. Dotées d'une personnalité morale, elles disposent d'un patrimoine distinct du patrimoine privé de l'entrepreneur, qui n'est responsable qu'à hauteur de ses apports.
– Les charmes de l'insaisissabilité. – Toutefois, à partir des années 2000, le législateur se mit à rechercher d'autres moyens d'isoler le patrimoine privé du patrimoine professionnel, et crut les trouver en rénovant l'ancienne institution des biens insaisissables. Mettre à l'abri le logement de l'entrepreneur individuel fut sa première préoccupation, qui se matérialisa successivement par différents textes :
  • la loi pour l'initiative économique de 2003 ouvrant à l'entrepreneur individuel la possibilité de déclarer, par acte notarié soumis à publicité foncière, l'insaisissabilité de sa résidence principale ;
  • la loi de modernisation de l'économie de 2008 élargissant cette faculté à tous ses biens fonciers bâtis et non bâtis, dès lors qu'ils ne sont pas affectés à l'usage professionnel ;
  • enfin, la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques de 2015 franchissant une étape ultime en rendant insaisissable de plein droit la résidence principale de l'entrepreneur individuel, désormais dispensé de formaliser une déclaration d'insaisissabilité.
Ces extensions successives de l'insaisissabilité mirent cependant en évidence deux types de difficultés d'application :
• d'une part, l'absence de définition de la notion de résidence principale ;
• de deuxième part, la difficulté à cantonner les effets de l'insaisissabilité en présence d'un immeuble à usage mixte, résidentiel et professionnel ;
• de troisième part enfin, l'impossibilité de protéger le logement détenu par un entrepreneur individuel « au travers » d'une société, et particuliè... Lire
– L'EIRL, une tentative sans lendemain. – Un premier pas vers la constitution d'un véritable patrimoine d'affectation de l'entrepreneur individuel fut accompli avec la loi du 15 juin 2010 instituant l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). Son mécanisme reposait sur la publication, actualisée chaque année, des actifs et passifs professionnels saisissables de l'entrepreneur. La responsabilité du déclarant était alors limitée à son seul patrimoine professionnel déclaré. La formule ne connut qu'un succès très relatif, la complexité des déclarations et leur actualisation se révélant au moins aussi contraignantes que la constitution et le fonctionnement d'une société unipersonnelle. Depuis le 15 février 2022, il n'est plus possible d'opter pour ce régime qui n'aura duré que douze ans. En effet, la loi du 14 février 2022, dite « loi Griset », marque une rupture historique avec le principe traditionnel de l'unicité du patrimoine.
– Déclin d'un grand principe. – Après plus de vingt ans de tâtonnements législatifs, la loi du 14 février 2022 crée, pour les seuls entrepreneurs individuels, une étanchéité de principe entre deux patrimoines désormais distincts : le patrimoine privé et le patrimoine professionnel. Le principe de l'unicité du patrimoine, dont la formulation est attribuée à Aubry et Rau, vient non pas de tirer sa révérence, mais en tout cas d'être sérieusement remis en cause.
– Délimitation du propos. – Il n'est pas dans notre propos de nous livrer à une étude exhaustive de la condition actuelle des entrepreneurs individuels et de leur patrimoine. Il s'agira seulement ici de déterminer dans quelle mesure leur logement peut se trouver protégé ou, au contraire, exposé aux risques nés de leur activité. À cet effet seront envisagées successivement les conditions (Chapitre I) puis les limites (Chapitre II) de la protection du logement de l'entrepreneur individuel.
Les conditions de la protection du logement de l'entrepreneur individuel
Le statut protecteur de l'entrepreneur individuel suppose la réunion de plusieurs conditions. Rapportées à son logement, ces nouvelles règles sont porteuses de certitudes bienvenues (Section I), mais laissent subsister quelques doutes (Section II).
Les limites à la protection du logement de l'entrepreneur individuel
– Limite implicite : la nature de la dette. – Une première limite résulte, implicitement, de la nature de la dette susceptible d'être recouvrée sur le patrimoine personnel de l'entrepreneur. Par parallélisme avec les règles régissant l'actif, il doit s'agir d'une dette sans caractère professionnel, c'est-à-dire contractée sans utilité pour l'exercice de l'activité.