La loi nouvelle ne règle pas complètement le cas des biens à usage mixte, résidentiel et professionnel (Sous-section I). S'il semble que la pratique pourrait anticiper cette difficulté, un vide subsistera dans une autre hypothèse : l'entrepreneur ayant fait le choix d'un habitat « alternatif », en faveur duquel seule une intervention législative pourrait être souhaitée (Sous-section II).
Les doutes subsistant dans le nouveau statut
Les doutes subsistant dans le nouveau statut
Une difficulté à prévenir : l'immeuble à usage mixte, résidentiel et professionnel
– Une difficulté non spécifique au logement. – Des difficultés d'exécution sont prévisibles en présence de biens mixtes servant à la fois à l'activité professionnelle et privée. Par exemple, la voiture de l'artisan taxi qui s'en sert également pour les besoins de la vie familiale, l'équipement informatique unique utilisé tantôt à des fins personnelles, tantôt pour l'exercice de l'activité, ou encore le compte bancaire unique qui enregistre à la fois les opérations personnelles et celles d'ordre professionnel (pratique à déconseiller, mais qui, néanmoins, n'est pas interdite). La charge de la preuve, concernant l'inclusion ou non de certains éléments d'actif dans le périmètre du droit de gage général du créancier, pèse non pas sur le créancier mais sur l'entrepreneur. Dès lors, qu'en est-il de l'immeuble abritant à la fois le logement et la profession ? Son sort est réglé par l'article L. 526-1 du Code de commerce, qui prévoit que « la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu'un état descriptif de division soit nécessaire ».
– Une formulation par trop laconique. – Cette formulation est reprise du dernier état de l'ancienne législation sur l'insaisissabilité, dans laquelle il était affirmé que si l'immeuble abritant la résidence principale de l'entrepreneur était également utilisé pour son entreprise, la partie non affectée à l'usage professionnel serait de droit insaisissable, point n'étant nécessaire, depuis 2015, d'établir un état descriptif de division pour la distinguer. On peut toutefois s'interroger sur la réelle portée de la suppression de cette exigence. En effet, si la saisie va à son terme, un état descriptif de division sera indispensable préalablement à la vente, que celle-ci soit amiable ou forcée. Jusqu'à cette date, c'est sur l'entier immeuble que le commandement doit être publié, ce qui le rend intégralement indisponible… solution peu conforme à l'objectif de protection recherché par le législateur. Dès lors, il pourrait être judicieux pour un entrepreneur prévoyant de « prendre les devants » et d'établir volontairement un état descriptif de division, ce que la loi, qui ne l'y oblige pas, ne lui interdit pas non plus.
Immeuble à usage mixte : pourquoi ne pas préconstituer la preuve des affectations ?
Immeuble à usage mixte : pourquoi ne pas préconstituer la preuve des affectations ?
Lorsqu'un immeuble est à usage mixte, résidentiel et professionnel, la partie qui n'est pas affectée à l'usage professionnel est de droit classée dans son patrimoine privé. Il n'est pas nécessaire d'établir un état descriptif de division pour la distinguer du surplus. On peut s'interroger sur la réelle portée de cette précision qui paraît se heurter à deux types d'écueils :
- d'une part, l'impossibilité matérielle d'une dissociation. Pour pouvoir saisir et, par hypothèse, faire vendre une partie d'immeuble, il faut que celle-ci puisse fonctionner en autonomie par rapport à l'immeuble divisé. On perçoit la difficulté en termes d'indépendance (ou d'interdépendance) des accès et des raccordements aux différents réseaux, notamment si la partie professionnelle consiste en une seule pièce difficile ou impossible à individualiser ;
- d'autre part, la possibilité douteuse pour un créancier d'établir de lui-même l'état descriptif de division. À cet égard, on rappellera que, selon l'article 71-1 du décret du 4 janvier 1955 relatif à la publicité foncière, dans sa rédaction issue du décret no 2012-1462 du 26 décembre 2012 (art. 25), l'état descriptif de division peut être contenu soit dans un acte spécialement dressé à cet effet, soit dans un règlement de copropriété ou un cahier des charges concernant, en outre, l'organisation de la gestion collective, soit dans tout autre acte ou décision judiciaire. Il semblerait donc possible de concevoir un état descriptif de division dressé par le créancier saisissant pour le seul besoin de la publicité foncière du commandement. Néanmoins, l'établissement de l'état descriptif implique d'établir la désignation de l'immeuble à diviser, ce qui n'est généralement pas à la portée du saisissant, qui le plus souvent n'a même pas visité les lieux. Au surplus, on se heurte ici aux dispositions de l'article L. 526-22, alinéa 7 du Code de commerce qui fait peser la charge de la preuve de l'usage sur l'entrepreneur, et non sur le créancier.
Il en résulte, à notre sens deux observations :
- pour le créancier saisissant, une première solution pourrait consister à faire publier le commandement de saisie sur l'entier immeuble, en indiquant que seule est saisie « la partie affectée à usage professionnel ». Il appartiendra aux parties et à défaut à la justice de délimiter chaque lot si la saisie débouche effectivement sur une vente. Jusque-là, c'est bien l'intégralité de l'immeuble qui va devenir indisponible entre les mains du chef d'entreprise. Une autre solution pourrait être que l'entier immeuble soit saisi et vendu aux enchères et que l'entrepreneur ne récupère que la seule partie du prix afférente à son logement. Dans un cas comme dans l'autre, la mesure protectrice du cadre de vie risque fort de manquer son but ;
- pour le chef d'entreprise qui travaille à son domicile, il pourrait être judicieux de préconstituer la preuve des affectations de l'immeuble qu'il occupe en établissant de lui-même un état descriptif de division. La loi ne l'y oblige pas, mais elle ne le lui interdit pas non plus. Sous réserve de la véracité des affectations respectives, il semble qu'un commandement de saisie ne pourrait alors être publié que sur le ou les lots à usage professionnel.
Une intervention législative à envisager : le cas des habitats alternatifs
– Les habitats atypiques, laissés pour compte de la protection. – Les habitations légères – qui seront abordées plus loin – devenant de moins en moins marginales, posent d'autant plus question que les entrepreneurs ayant choisi ce type de logements sont nombreux dans les startups. Il s'agit très souvent de biens mobiliers, tels que péniches ou mobil-homes. Il est certain que cette nature mobilière les exclut du dispositif protecteur de la déclaration d'insaisissabilité, réservé aux seuls « biens fonciers bâtis ou non bâtis » faisant partie du patrimoine personnel. S'agissant néanmoins de logements, il est permis de s'interroger quant à savoir si une telle exclusion pourra longtemps être maintenue ; toutefois, seule une réécriture du texte peut ici lever la difficulté.