La limitation volontaire : la renonciation à la protection

La limitation volontaire : la renonciation à la protection

– Préserver le crédit de l'entrepreneur. – Lorsque les besoins de financement de son entreprise rendent nécessaire le recours à l'emprunt, l'entrepreneur individuel a la faculté de renoncer à la protection que la loi Griset lui offre en ouvrant au prêteur son patrimoine personnel. Cette limitation volontaire de la protection peut conduire à certains abus ; aussi le législateur la place-t-il sous une étroite surveillance (Sous-section I). Elle doit également s'articuler avec d'autres dispositifs préexistants qui peuvent limiter le gage des créanciers d'un entrepreneur individuel, ce qui appelle, avec ces mécanismes, une nécessaire conciliation (Sous-section II).

La renonciation, objet de surveillance et d'évaluation

– Une pratique désormais encadrée. – Depuis l'instauration de la déclaration d'insaisissabilité, les créanciers dont le gage a été réduit ont souvent conditionné l'attribution d'un crédit à une renonciation par l'entrepreneur à l'insaisissabilité qu'il aurait pu leur opposer. S'est ainsi vérifiée la prédiction de bien des observateurs, tel M. Piédelièvre qui écrivait : « La totale sécurité juridique recherchée par l'entrepreneur individuel est peu compatible avec l'aléa inhérent à l'activité professionnelle indépendante ». L'entrepreneur peut donc donner en garantie son patrimoine personnel, et pourquoi pas son logement, qui en constitue souvent l'élément central, en renonçant à l'étanchéité patrimoniale que la loi nouvelle lui offre. Le législateur a souhaité encadrer cette renonciation en prévoyant une meilleure compréhension de la renonciation par l'entrepreneur au travers de formalités écrites, d'un délai de réflexion, de montant et de durée déterminés, d'informations sur les conséquences de la renonciation, ou encore de l'interdiction de se porter caution. Afin d'éviter que les renonciations ne deviennent des clauses de style dans les prêts, elles doivent émaner du créancier par écrit, et ne concerner qu'un engagement spécifique de l'entrepreneur individuel dont le terme et le montant sont rappelés. M. Reygrobellet souligne que le législateur a dû concilier deux exigences : élargir les actifs saisissables ponctuellement, et ce afin de faciliter l'accès au crédit, d'une part ; et éviter que la remise en cause de la division patrimoniale ne soit trop facile, d'autre part.
– Un formalisme précis. – Le décret du 12 mai 2022 détermine la forme et le contenu de l'acte de renonciation à la protection du patrimoine personnel, prévu à l'article L. 526-25 du Code de commerce, ainsi que le régime de publicité et d'opposition au transfert universel du patrimoine professionnel prévu à l'article L. 526-27 dudit code. Ce décret est accompagné d'un arrêté du même jour établissant un modèle de type d'acte de renonciation à la protection du patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel. Quatre indications sont requises, à peine de nullité, dans l'acte de renonciation : l'identification des parties ; l'identification de l'engagement au titre duquel la renonciation est sollicitée ; l'information quant aux conséquences de cette renonciation ; la signature des deux parties, avec indication de la date et du lieu.
– Une pratique à évaluer. – L'accès au crédit de ce nouvel entrepreneur et d'éventuels abus des banques dans le recours forcé à la renonciation seront évalués dans un rapport déjà commandé par le gouvernement pour l'été 2024.
– Une renonciation à sens unique. – Dès à présent, on observe que la loi ne permet pas la renonciation à la séparation des patrimoines pour garantir des opérations relevant du patrimoine privé. C'est pourquoi un auteur constate que les créanciers ne sont pas tous « logés à la même enseigne ». Le panel des garanties est plus ouvert en faveur du financement du patrimoine professionnel, qui peut volontairement être garanti sur le patrimoine privé, au point que certains commentateurs ont pu évoquer un sacrifice du patrimoine personnel, faute de garanties facilitant son financement.
Ainsi circonscrite et encadrée, la renonciation à la protection de la loi Griset doit aussi être combinée avec les mécanismes déjà existants.

La renonciation, sujet de nécessaires conciliations

Le nouveau statut de l'entrepreneur individuel n'est pas incompatible avec certains mécanismes de protection préexistants, qu'ils soient issus du droit commercial (§ I) ou du droit civil (§ II). Il appelle avec eux une conciliation à laquelle il n'est pas toujours facile de procéder.

En droit commercial : concilier la renonciation avec la déclaration d'insaisissabilité

– Un intérêt résiduel, mais pas inexistant. – Les règles relatives à la déclaration d'insaisissabilité de la résidence principale de l'entrepreneur n'ont pas été abrogées par la loi Griset. L'article L. 526-22 du Code de commerce l'indique expressément en son alinéa 4. Certains ont vu dans cette « survivance » une inutile complication. Pour notre part, nous inclinons à penser qu'un intérêt, certes résiduel, s'attache encore aujourd'hui à la déclaration d'insaisissabilité : dimensionner la protection du patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel en présence de créanciers professionnels dont le droit de gage porte également sur le patrimoine personnel. Ce sont les créanciers de dettes fiscales et sociales, dans les conditions prévues à l'article L. 526-24 du Code de commerce, et les créanciers bénéficiant de la renonciation prévue à l'article L. 526-25 qui vient d'être étudiée. La formulation d'une déclaration d'insaisissabilité pourrait venir limiter l'extension de leur gage, réalisant une authentique mise à l'abri de son objet : le logement de l'entrepreneur.
– Une analyse bien argumentée. – Cette analyse s'autorise d'une argumentation convaincante. Ainsi M. Lafaurie relève que la renonciation prévue à l'article L. 526-25 du Code de commerce ne peut avoir pour conséquence de lever l'insaisissabilité de la résidence principale ou de l'immeuble ayant fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité. Comme le prévoit ce texte, l'objet de cet acte est de « renoncer à la dérogation prévue au quatrième alinéa de l'article L. 526-22 », donc à la séparation des patrimoines. Par voie de conséquence, le créancier pourra agir sur le patrimoine personnel, mais les insaisissabilités resteront opposables. Si le créancier professionnel veut pouvoir saisir le logement, il doit donc doubler cette renonciation à la séparation des patrimoines des renonciations à l'insaisissabilité prévues à l'article L. 526-3 du Code de commerce.

En droit civil : concilier la renonciation à la protection avec les règles des régimes matrimoniaux

L'acte de renonciation à la protection (dit aussi « d'extension de gage ») a suscité de premières interrogations en rapport avec le régime de communauté (A). Il apparaît que les propositions de solutions formulées à cet égard pourraient aussi interférer avec le régime primaire (B).

Extension de gage et régime communautaire

– Une difficulté de qualification. – Le Code de commerce a prévu, brièvement, à l'article L. 526-26, que le statut de l'entrepreneur s'entend « sans préjudice des pouvoirs reconnus aux époux pour administrer leurs biens communs et en disposer ». Néanmoins, lorsque des biens sont à la fois des biens professionnels et des biens communs, comment articuler le régime du nouveau patrimoine professionnel de l'entrepreneur avec son régime matrimonial ? L'acte de renonciation de l'entrepreneur pose alors question. Deux articles du Code civil peuvent trouver application. L'article 1413 dispose : « Le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu'il n'y ait eu fraude de l'époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s'il y a lieu ». De son côté, l'article 1415 indique : « Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n'aient été contractés avec le consentement exprès de l'autre conjoint qui, dans ce cas, n'engage pas ses biens propres ». En contemplation de ces deux textes, comment qualifier la renonciation à protection autorisée par la loi Griset ? Dans la première hypothèse, le créancier pourra saisir des biens communs dès lors qu'ils sont utiles à la profession de l'entrepreneur individuel. Dans la seconde hypothèse, le gage du créancier professionnel sera limité aux biens propres et aux revenus de l'entrepreneur, sauf si son conjoint a donné son consentement.
– Une proposition de solution. – Certains auteurs invitent à raisonner en termes de dangerosité de l'acte de renonciation. Dans cette analyse, l'acte se rapproche d'un cautionnement. Il est, en quelque sorte, le cautionnement d'un patrimoine par l'autre. Il devrait donc, comme tout cautionnement, être soumis à l'accord du conjoint. À défaut, l'acte de renonciation « perdrait alors de son attrait, l'extension du gage du créancier ne visant plus que ses biens propres et revenus ».

Extension de gage et régime primaire

– Extension possible du domaine de l'article 215, alinéa 3. – Selon le même raisonnement, il semble aussi légitime de s'interroger sur une éventuelle application de l'article 215, alinéa 3 du Code civil à l'acte de renonciation. En opérant une extension de gage au profit de ses créanciers professionnels, l'entrepreneur individuel n'expose-t-il pas le logement de sa famille ? À ce titre, et quel que soit le régime matrimonial de l'intéressé, il semble prudent de soumettre l'acte de renonciation à protection au consentement du conjoint de l'entrepreneur individuel, afin d'assurer son efficacité.