Le statut actuel de l'entrepreneur individuel repose sur trois certitudes : il ne protège l'entrepreneur que s'il est réellement individuel (Sous-section I), et le logement que s'il est réellement personnel (Sous-section II). En revanche, le mode de détention du logement est aujourd'hui indifférent (Sous-section III).
Les certitudes apportées par le nouveau statut
Les certitudes apportées par le nouveau statut
Un entrepreneur strictement individuel
– Notion d'entrepreneur individuel. – La définition de l'entrepreneur individuel est donnée à l'article L. 526-22 du Code de commerce. Il s'agit d'une personne physique exerçant en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. Dès lors, la protection organisée ne vise jamais le chef d'une entreprise exploitée sous forme sociétaire, censé être protégé par l'écran de la personnalité morale. Sont en revanche concernés tous les indépendants :
- quelle que soit la nature de leur activité : commerciale, libérale, artisanale, agricole ;
- inscrits ou immatriculés sur le registre professionnel relatif à leur activité ;
- monoactifs ou pluriactifs ou même liés à des plateformes de type Uber ou Deliveroo ;
- célibataires ou en couple.
– Protection du logement : avantage à l'entreprise individuelle. – Comme l'ont remarqué très justement certains auteurs, envisagée sous l'angle de la protection du logement, l'entreprise individuelle apparaît aujourd'hui préférable à l'exercice d'une activité en société. En effet, au-delà de l'écran bien connu de la personnalité morale, un dirigeant de société ne bénéficie d'aucun mécanisme protecteur spécifique à son logement. Or, il est certaines situations dans lesquelles son patrimoine personnel doit répondre des dettes de la personne morale qu'il dirige. C'est tout d'abord le cas lorsque le dirigeant a volontairement cautionné la société, situation dangereuse mais très fréquente. C'est encore le cas lorsque la société doit se résoudre à une liquidation judiciaire, et que sont démontrées une faute de gestion ou une confusion de patrimoines contribuant à l'insuffisance de son actif. Dans le monde des affaires, les dirigeants seraient-ils donc les grands oubliés de la protection légale du logement ? Certains l'ont avancé en suggérant, a minima, une extension de l'insaisissabilité au logement des dirigeants de petites et moyennes entreprises.
Entreprise individuelle ou société ? Revoir le conseil
La loi du 14 février 2022 instituant une séparation de principe entre patrimoine professionnel et patrimoine privé de l'entrepreneur redessine la cartographie des risques professionnels et doit inciter les praticiens à revoir les conseils donnés aux entrepreneurs. Il suffit, pour s'en convaincre, d'envisager la question sous l'angle de la protection du logement.
Exercice en société | Exercice individuel |
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Cautionnement : | On ne conçoit pas ici de cautionnement, mais l'entrepreneur individuel peut écarter l'étanchéité des patrimoines comme indiqué ci-après. |
Faute de gestion : | Faute de gestion : |
– Opposabilité de la protection. – Lorsque l'entrepreneur doit être inscrit ou immatriculé sur un registre professionnel, c'est ce registre qui permet d'assurer l'opposabilité aux tiers du statut protecteur. La protection s'applique à compter de l'immatriculation et, si l'entrepreneur relève de plusieurs registres, à compter de la date la plus ancienne. Si l'entrepreneur n'est pas sujet à immatriculation, le statut protecteur est applicable dès le premier acte qu'il a exercé en cette qualité.
Un logement strictement personnel
– Rappel du mécanisme protecteur. – L'étude des rapports préparatoires à la loi Griset met en exergue la volonté commune des deux assemblées de créer un statut unique et protecteur pour l'entrepreneur individuel. Sans aucun formalisme et sans déclaration préalable, les entrepreneurs individuels disposent désormais de deux patrimoines distincts, l'un personnel, l'autre professionnel. Le nouveau dispositif institue une étanchéité entre le patrimoine personnel de l'entrepreneur individuel, insaisissable par les créanciers professionnels, et le patrimoine professionnel, qui demeure le seul gage de ces derniers.
– Un critère simple. – Le patrimoine privé se définit par exclusion à partir de la définition du patrimoine professionnel. Quant à ce dernier, il se caractérise d'après l'utilité que présentent ses éléments pour l'exercice de l'activité professionnelle indépendante. Le Code de commerce, en son article L. 526-22, alinéa 2, définit le patrimoine professionnel comme étant composé des « biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes ». De son côté, le décret du 28 avril 2022, entré en vigueur le 15 mai 2022, détermine les éléments susceptibles d'être inclus dans le patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel en raison de leur utilité. En effet, l'article R. 526-26, I prévoit que « les biens, droits, obligations et sûretés dont l'entrepreneur individuel est titulaire, utiles à l'activité professionnelle, s'entendent de ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité ».
– Application au logement. – Sans entrer dans le détail des interrogations diverses que pourrait susciter la mise en œuvre de ces principe et critère nouveaux, dont il faut bien observer qu'ils peuvent comporter une certaine part de subjectivité, on constate que, par principe, le logement ressortit au patrimoine personnel. A priori, le logement d'un entrepreneur n'a pas, en effet, d'utilité pour l'exercice de sa profession ; il est dès lors un élément de son patrimoine personnel, et soustrait comme tel aux poursuites des créanciers professionnels. Le but, clairement défini par le législateur, est de faciliter la vie des trois millions de travailleurs indépendants, de les aider à créer leur entreprise, à la développer et à la transmettre, tout en leur offrant une meilleure protection contre les aléas de la vie économique, en particulier en leur garantissant une certaine stabilité de leur cadre de vie.
– Un progrès certain. – Ce critère clair et simple permet d'écarter certaines des critiques formulées quant aux anciens systèmes d'insaisissabilité. Ainsi, dans ces anciens mécanismes, le transfert du logement pouvait entraîner transfert de la protection autrefois exclusivement accordée à la résidence principale. La critique n'est plus aujourd'hui de mise, puisque seule sera considérée l'utilité ou pas d'un immeuble pour l'exercice de l'activité.
L'ancienne insaisissabilité : une protection attachée à la personne de l'entrepreneur individuel
Un arrêt de la Cour de cassation en date du 18 mai 2022 vient rappeler une évidence : au temps de l'ancienne insaisissabilité de la résidence principale, le transfert de la résidence de l'entrepreneur emportait transfert de l'insaisissabilité. Ainsi, lorsqu'au cours de la procédure de divorce de deux époux dont l'un exerce une activité indépendante, le juge aux affaires familiales a ordonné leur résidence séparée et attribué au conjoint de l'entrepreneur la jouissance du logement familial, la résidence principale de l'entrepreneur n'est plus située dans l'immeuble appartenant aux deux époux dans lequel se trouvait le logement de la famille. Elle est transférée au lieu où l'entrepreneur fixe sa nouvelle résidence. Dès lors, les droits qu'il détient sur l'ancien logement du ménage redeviennent saisissables par ses créanciers professionnels … mettant en grand péril ceux à qui la jouissance en a été attribuée !
Un mode de détention indifférent
Troisième certitude issue de la loi Griset, le mode de détention du logement, via des droits réels ou sociaux, laisse subsister sa protection.
– Droits réels. – Détenir l'usufruit ou la nue-propriété d'un immeuble ne fait pas obstacle au mécanisme de protection. Il en est de même pour le droit à un bail emphytéotique, portant sur un immeuble non professionnel.
– Droits sociaux. – En revanche, jusqu'au décret du 28 avril 2022, sous les anciens régimes de l'insaisissabilité, la question de la détention par une société civile du logement de son gérant n'était pas tranchée. Une réponse ministérielle de 2005 avait exclu du bénéfice des articles L. 526-1 et L. 526-2 du Code de commerce, relatifs à la déclaration d'insaisissabilité, la personne physique immatriculée à un registre de publicité légale ayant établi sa résidence principale dans un immeuble appartenant à une société civile dont elle était titulaire de parts sociales. L'approche est désormais différente. Non seulement le nouveau texte énonce que les immeubles servant à l'activité professionnelle font partie intégrante du patrimoine professionnel, « y compris la partie de la résidence principale de l'entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel », mais il ajoute : « lorsque ces immeubles sont détenus par une société dont l'entrepreneur individuel est actionnaire ou associé et qui a pour activité principale leur mise à disposition au profit de l'entrepreneur individuel, les actions ou parts d'une telle société ». A contrario, il paraît clair que les parts et actions d'une société au travers de laquelle l'entrepreneur individuel détient son logement ressortissent à son patrimoine privé. On constate là un progrès par rapport aux anciens régimes d'insaisissabilité, avec, toujours, le bémol pouvant résulter d'une affectation mixte, qui nous conduit à envisager les doutes que laissent subsister les règles nouvelles.