Que pourrait être le fonds familial ?

Que pourrait être le fonds familial ?

– Un instrument de prévoyance dans le cadre de la famille proche. – L'idée est de placer en commun, entre membres d'une même famille, des sommes, biens ou valeurs, au sein d'un fonds doté de la personnalité morale (§ I). Le fonds est alimenté sur la base du volontariat, pour que le moment venu il puisse contribuer à satisfaire les besoins d'un ou plusieurs membres de la famille (nécessité de réaliser des travaux importants, d'assumer les conséquences d'un litige, etc.) (§ II). À notre sens, il devrait être limité au périmètre des personnes mutuellement tenues par une obligation alimentaire, afin d'éviter tout risque de requalification (§ III) .

Les conditions de l'obligation alimentaire

L'obligation alimentaire existe :
  • entre ascendants et descendants, de façon réciproque, sans qu'il y ait lieu de considérer la nature de la filiation (légitime, naturelle ou adoptive) ;
  • entre époux, pendant toute la durée du mariage ;
  • entre beaux-pères ou belles-mères et leurs gendres ou belles-filles, conformément à l'article 206 du Code civil, jusqu'à ce que le conjoint qui créait le lien de filiation, et les enfants qu'il avait donnés au couple, décèdent.
En outre, les partenaires ayant contracté un pacte civil de solidarité se doivent secours et assistance matérielle.
L'article 208 du Code civil précise que les aliments ne sont accordés que dans la proportion du besoin de celui qui les réclame, et de la fortune de celui qui les doit.
Tel que nous le concevons, le fonds familial ne serait pas un instrument de crédit, moins encore le véhicule de libéralités, mais un outil d'expression de l'obligation alimentaire, par le biais d'une mutualisation.

Organisation des solidarités familiales : deux exemples à l'international

De très nombreux exemples étrangers peuvent illustrer notre propos relatif au fonds familial.
1. Dans les familles d'origine chinoise : dans la tradition chinoise, le père et la mère gardent toujours autorité sur leurs enfants, même devenus grands. Sur ce fondement, des « groupes familiaux » mettent en commun leurs revenus et les anciens décident des investissements financiers à réaliser dans l'intérêt commun.
2. En Afrique sub-saharienne, la solidarité familiale peut prendre des formes multiples et diverses, parmi lesquelles on peut citer les transferts d'argent, de vivres, de crédits, qui sont des pratiques courantes, ou les transferts de droits parentaux, qui recouvrent l'accueil en ville d'un migrant, le placement d'un enfant chez des parents vivant en ville ou, au contraire, la prise en charge par un ménage rural d'un enfant dont les parents citadins traversent une phase difficile.

Principes directeurs de la création d'un fonds familial

– Fondement. – Tel qu'il a été présenté par le 108e Congrès des notaires de France, le fonds familial est un outil d'anticipation des besoins, voire des « coups durs ». Un instrument de prévoyance, donc, qui vient combler les manques des offres assurancielles existant en la matière. Nos confrères rappelaient en effet, dans les motifs de leur proposition, « qu'il n'existe (…) dans notre droit aucune solution juridique et fiscale efficace permettant d'affecter un patrimoine à la solidarité interne à une famille, alors même que les enjeux financiers en question sont significatifs tant pour la famille atteinte que pour l'État ». Le fonds familial repose donc sur un principe de solidarité que l'on pourrait, par analogie avec le droit des sociétés, nommer affectio familiae.

Argumentaire en faveur de la prévoyance familiale développé par le 108 Congrès des notaires de France

L'argumentaire développé lors du Congrès de Montpellier soulignait que les contrats d'assurance dédiés à la problématique de la dépendance achoppent en général, par nature, sur les inconvénients suivants :
  • le coût de l'assurance ainsi que sa dimension « à fonds perdus », alors que le risque de dépendance n'est pas certain, à la différence d'un risque décès qui lui est inéluctable ;
  • le fait que la prestation soit servie sous forme de revenus alors que la personne dépendante a parfois besoin d'un capital pour, par exemple, effectuer des travaux de mise en conformité de son logement avec son nouvel état de santé ;
  • l'existence d'un âge limite de souscription. En général soixante-quinze ans, alors même que c'est l'âge à compter duquel le risque devient justement le plus important, le moment où l'on risque d'avoir le plus besoin de ce type de couverture ;
  • des délais de carence, qui sont généralement fixés à trois ans.
Enfin, une définition variable de la dépendance, entre les compagnies, l'État et la famille. Ces contraintes sont inhérentes à l'approche assurantielle, c'est-à-dire une prime pour s'autoprémunir d'un risque et percevoir une rente.
– Objectifs du fonds familial. – Le but du fonds familial est de rendre possible la satisfaction d'un besoin personnel au moyen d'une force commune, alimentée sur la base du volontariat par ceux (nombreux) qui s'inquiètent du lendemain : que ce soit pour eux-mêmes à l'âge de la retraite ou d'un veuvage, pour leurs enfants et leurs difficultés de couple, d'études ou d'emploi, pour leurs parents et leur santé déclinante, etc. De la même manière qu'un fonds de dotation ou le fonds de pérennité (dont nous parlerons plus loin ; V. infra, no ) peuvent affecter certaines capacités financières d'une entreprise vers le soutien d'une cause d'intérêt général, un fonds familial, doté et gouverné par des volontaires, membres de la famille, pourrait rassembler les contributions, puis distribuer les aides dont tel parent ou conjoint dans la détresse aura besoin à un moment donné.
– Neutralité fiscale du fonds familial. – Comme l'exposaient déjà nos confrères en 2012, l'intégration et la détention de biens ou valeurs dans le patrimoine de ce fonds familial s'effectueraient en totale neutralité fiscale, c'est-à-dire sans avantage ni contrainte particulière, l'apport étant vu comme une opération purement intercalaire, avec, par exemple, mise en sursis ou en report d'imposition de toute plus-value. De même, impôt sur la fortune immobilière et impôt sur le revenu demeureraient calculés de manière exactement identique à ce que serait leur détermination s'ils étaient détenus directement par l'apporteur, ni plus ni moins. La transparence du fonds serait donc totale, sans que celui-ci ne forme aucun écran comptable ou fiscal. La traçabilité de ces apports, puis des revenus qu'ils peuvent générer, serait assurée par les inscriptions au sein de compartiments identifiables au nom de chaque apporteur. Et le cas échéant, la transmission de ces compartiments, par mutation entre vifs ou à cause de mort, soumettrait leurs valorisations exactement aux mêmes droits de mutation (à titre gratuit ou onéreux) que si lesdites valeurs étaient demeurées dans le patrimoine personnel du détenteur du compartiment. Il pourrait être envisagé de leur faire supporter les droits de mutation inhérents aux cessions de titres de sociétés de personnes, ou alors directement les droits inhérents à la nature des biens sous-jacents qu'ils représentent (immeuble, épargne, valeurs mobilières, etc.) : choix d'organisation qu'il appartiendra au législateur fiscal d'arbitrer. Ces mutations déclencheraient, selon le cas (décès ou mutation entre vifs), la déchéance ou au contraire la purge du report d'imposition de plus-value. Il n'en résulterait, par suite, aucune perte pour le Trésor public. Ainsi, sans supprimer aucun impôt, la solidarité familiale pourrait abonder, sinon remplacer la solidarité nationale dans un nombre non négligeable de situations, dont beaucoup intéressent le logement.

Applications du fonds familial au logement

– Un instrument de pérennité du logement. – En termes de logement, tous les travaux d'adaptation à la dépendance, à la diminution des facultés due au grand âge, ou à la survenance d'une maladie ou d'un accident invalidants pourraient potentiellement être pris en compte par cette mise en commun organisée de la solidarité familiale. Il en serait de même des dépenses induites par des aléas contre lesquels il n'existe à ce jour aucune assurance : le divorce (ou plutôt la rupture d'une façon générale) et les dépenses de logement ou relogement qu'il engage ; l'accroissement d'une famille ; sa recomposition ; la décohabitation des enfants ; l'émergence de nouvelles normes techniques conditionnant le permis de louer et nécessitant d'investir dans la réalisation de travaux plus ou moins lourds, etc.

Quelques applications possibles du fonds familial au logement

Un fonds familial peu à peu constitué et géré de façon adaptée aux besoins de famille, pourra ponctuellement :
  • soutenir des jeunes générations devant financer leur logement étudiant (soit en versant un pécule, soit en mettant à disposition un local adéquat qui aurait été apporté au fonds ou acquis par celui-ci) ;
  • ou aider ces derniers à s'établir en finançant une partie de l'acquisition ou de la construction de leur première résidence principale ;
  • ou contribuer à financer les travaux d'aménagement du logement d'une famille qui s'agrandit (par ex., rendre habitable une soupente pour créer des chambres supplémentaires) ;
  • ou encore, soutenir celui ou celle qui, suite à un divorce, dans lequel il ou elle aura perdu l'usage de l'ancien logement du couple, doit se reloger à des conditions parfois d'autant plus rudes qu'il lui faut aussi prévoir les ressources nécessaires à l'accueil des enfants en résidence alternée ; soutien qui pourrait, là encore, se faire en numéraire ou en nature, par exemple au moyen de l'hébergement gratuit dans un local appartenant au fonds ;
  • ou, enfin, compléter le budget nécessaire aux travaux d'adaptation indispensables au logement du fait d'un accident ayant causé le handicap d'un membre de la famille ; ou dont l'adaptation est requise du fait des faiblesses inhérentes au grand âge (cécité, surdité, mobilité limitée, etc.).
Le fonds permettrait ainsi de mutualiser des ressources puis de servir des besoins, au gré de la survenance et de la priorisation de ceux-ci, en valeur ou en nature (nous avons rencontré dans nos développements précédents plusieurs hypothèses de surfaces de logements peu exploitables si l'on ne désire pas les vendre : concentration du patrimoine chez les générations les plus âgées, désoccupation partielle de logements devenus trop vastes suite au départ des enfants, ou suite au décès du conjoint, etc.).

Risques du fonds familial

– La requalification. – L'expression de la solidarité familiale au sein d'un fonds familial pourrait se heurter à un risque de requalification. On pourrait, en premier lieu, y voir une libéralité, avec toutes ses conséquences fiscales et juridiques : rapport ou réduction pour le bénéficiaire ; consommation de la quotité disponible dès le premier euro si le bénéficiaire n'est pas un réservataire. On pourrait, en second lieu, l'assimiler à un prêt dont, à défaut de stipulation contraire, l'emprunteur devrait remboursement à tout moment. Mais ce risque de requalification disparaît dès lors que l'on circonscrit le fonds familial aux seuls membres de la famille visés par l'obligation alimentaire, car en aucun cas l'exécution d'une telle obligation ne constitue un prêt ou une libéralité.
– Le placement sous dépendance. – Il faut exclure que la solidarité familiale puisse dériver vers le profil inquiétant d'un instrument tutélaire indu, une sorte de « balisage » tyrannique des anciens par les jeunes ou des jeunes par les anciens, des raisonnables autoproclamés sur les prétendus volages, des installés sur les bohêmes, des fourmis sur les cigales, ou des insouciants sur les précautionneux ; bref, un outil d'ingérence ou de chantage dans les cas de brouilles familiales les plus sordides. Or, telle est précisément l'une des raisons d'être du fonds familial, qui interpose une structure de décision collégiale et dépersonnalise l'allocation de l'aide : c'est le fonds qui vient en aide, et non tel ou tel membre de la famille.