Au cours de la dernière décennie, le marché du viager a progressé de 5 % par an, 6 % en 2021. Il reste pourtant confidentiel : le nombre de ventes en viager, compris entre 5 000 et 6 000 chaque année, représente à peine 1 % du marché immobilier. Le marché du viager est, en outre, très disparate selon les régions. Auparavant essentiellement concentré dans les régions Île-de-France et Paca, on assiste, depuis ces cinq dernières années, à sa régionalisation. Les acquéreurs d'un immeuble en viager, soit parce qu'ils réalisent un investissement, soit parce qu'ils recherchent un bien pour en faire leur résidence secondaire, voire principale, à l'âge de la retraite, sont attentifs au lieu d'investissement. Les raisons du recours très limité au mécanisme de la vente en viager sont plurielles.
Les écueils de la vente en viager
Les écueils de la vente en viager
L'aléa
L'aléa effraie autant le crédirentier que le débirentier, même si le marché compte davantage d'acheteurs que de vendeurs. Le crédirentier peut craindre de décéder avant d'atteindre l'âge donné par les tables de mortalité sur la base desquelles a été calculé le taux de la rente, et donc, de brader son bien. À l'inverse, le débirentier, surtout si c'est un particulier qui réalise une opération unique, craint que le vendeur vive au-delà de son espérance de vie, et donc de faire une mauvaise affaire en surpayant le bien. Cette crainte rebute nombre d'investisseurs. La publicité autour du cas de Jeanne Calment – un temps doyenne des Français, décédée à cent vingt-deux ans après avoir perçu sa rente successivement de son débirentier, puis des héritiers de celui-ci – et le fameux film de Pierre Tchernia sont dans tous les esprits. Dans la plupart des cas, pourtant, le vendeur ne dépasse guère l'âge de l'espérance de vie donné par les tables de mortalité. Cette crainte de l'aléa est renforcée par l'existence de méthodes de calcul diverses pour la détermination de la rente.
Le défaut de paiement
La vente en viager est souvent le seul moyen pour le crédirentier de se constituer une source de revenus complémentaires à la retraite, indispensable pour ses vieux jours. Les conséquences d'une défaillance du débirentier en sont d'autant plus graves. Les garanties traditionnelles, que sont l'hypothèque légale du vendeur et la clause résolutoire, s'avèrent inefficaces si le débirentier fait l'objet d'une procédure collective (A) ou d'une mesure de surendettement (B).
La procédure collective
Le jugement d'ouverture d'une procédure collective entraîne deux conséquences essentielles, dramatiques pour le crédirentier : l'interdiction des paiements et la suspension ou l'interruption des poursuites individuelles.
– L'interdiction des paiements. – À compter du jugement d'ouverture, le débirentier a l'interdiction de payer les dettes antérieures et la rente viagère n'y fait pas exception, n'étant pas une créance alimentaire. Le crédirentier doit alors impérativement déclarer sa créance. Encore faut-il, pour qu'il ait une chance d'être payé, que la procédure ne soit pas clôturée pour insuffisance d'actif.
– L'interdiction et l'interruption des poursuites individuelles. – Le jugement d'ouverture interrompt et interdit toute action en justice. En outre, il arrête et interdit toute procédure d'exécution. Le crédirentier n'a donc plus aucun recours. Si le contrat de vente en viager était considéré comme un contrat à exécution successive, le crédirentier pourrait se prévaloir de la résolution de plein droit après mise en demeure de l'administrateur de prendre parti sur la poursuite du contrat restée infructueuse plus d'un mois. Mais la Cour de cassation considère que le contrat de vente a produit son effet essentiel, le transfert de propriété, dès sa conclusion et qu'il ne peut donc pas être considéré comme étant en cours d'exécution.
– Un espoir pour le débirentier entrepreneur individuel. – Avec l'avènement du nouveau statut de l'entrepreneur individuel, le bien acquis en viager, s'il n'a jamais été « utile pour l'exercice de sa profession », et donc s'il ne fait pas partie du patrimoine professionnel du débirentier, ne devrait pas être impacté par la procédure collective si elle concerne uniquement l'activité professionnelle. Mais l'on peut craindre que l'entrepreneur individuel qui fait l'objet d'une procédure collective rencontre également des difficultés de paiement à titre personnel et fasse, à ce titre, l'objet d'une procédure de surendettement.
La procédure de surendettement
L'admission de la recevabilité du dossier du débirentier par la commission de surendettement entraîne la suspension et l'interdiction des procédures d'exécution et l'interdiction de payer les dettes, autres qu'alimentaires, nées antérieurement.
L'entrave de l'article 918 du Code civil
– La présomption de gratuité. – Il est déconseillé de vendre un bien en viager à l'un de ses héritiers. En effet, l'article 918 du Code civil pose une présomption de gratuité : l'acquéreur est présumé avoir reçu le bien par donation. Pour la Cour de cassation, cette présomption est irréfragable. L'acquéreur ne peut pas s'y opposer en prouvant la réalité du paiement des arrérages. La seule possibilité d'échapper à la présomption est d'obtenir le consentement de tous les cohéritiers de l'acquéreur à la vente en viager.
La volonté de conserver la propriété pour transmettre
Les propriétaires sont réticents à vendre leur logement en viager lorsqu'ils ont des descendants. Ils ont l'impression de les déshériter. Effectivement, le bien vendu en viager ne fera pas partie de la succession du crédirentier. Mais avec l'allongement de la durée de la vie, la transmission intervient tardivement : les enfants ont généralement leur propre logement et ont eux-mêmes déjà atteint l'âge de la retraite lorsque leurs parents décèdent. C'est bien plus tôt qu'ils ont besoin d'être aidés, pour eux ou pour leurs propres enfants. Vendre le logement en viager peut justement permettre aux parents d'aider financièrement leurs descendants grâce au bouquet et aux revenus complémentaires que constituent les arrérages. Cela leur permet surtout de ne pas avoir à solliciter l'aide financière de leurs enfants.