Anticiper les conséquences financières d'un divorce : la prestation compensatoire

Anticiper les conséquences financières d'un divorce : la prestation compensatoire

Des contrats pour tous les époux
– Le renforcement du rôle du notaire. – Les récentes réformes du droit du divorce ont profondément modifié le rôle du notaire, la volonté du législateur d'en pacifier et d'en accélérer le processus n'étant pas étrangère à ce rôle de premier plan qui lui a été confié.
On pense bien entendu à la réforme de 2016 et à l'introduction dans notre droit du divorce « sans juge » qui a permis de déjudiciariser le divorce par consentement mutuel.
Puis est venue la loi no 2019-222 du 23 juin 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a conduit à une réforme du divorce contentieux et de la séparation de corps. Cette loi, complétée par un décret no 2019-1380 du 17 décembre 2019, marque la volonté du législateur de recentrer les juridictions sur leurs missions essentielles par un retrait progressif du rôle du juge au profit de celui accru des notaires.
– Le rôle du notaire dans le divorce. – Le notaire, souvent habitué à intervenir dans le divorce amiable, peut devoir intervenir, depuis la réforme de 2019, quand le divorce est porté sur le terrain contentieux. Sa mission varie alors selon qu'il intervient lors de l'instance en divorce ou lors du partage après le prononcé du divorce, même si l'objectif de sa mission reste le règlement des intérêts pécuniaires et patrimoniaux du couple.
Dans le cadre de sa mission, le notaire constate régulièrement que le règlement financier du divorce peut achopper sur la fixation de la prestation compensatoire.
Créée en 1975, la prestation compensatoire a pour objet, conformément à l'article 270 du Code civil, de « compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives » des époux. De précédents congrès se sont penchés sur le régime de cette prestation et sur les difficultés rencontrées lors de l'instance en divorce sur ce point particulier de la fixation de son montant.
Nous renvoyons notamment au rapport du 110e Congrès des notaires de France qui a eu lieu à Marseille en 2014 :
Rapport du 110e Congrès des notaires de France, Marseille, 15/18 juin 2014, Vie professionnelle et famille, place au contrat, 1re commission, nos 1317 et s.
À cette occasion, il avait été procédé à un rappel historique de l'institution. Puis les méthodes utilisées par la doctrine et les tribunaux pour déterminer le montant de la prestation avaient été recensées, parmi lesquelles celles de Dominique Martin-Saint-Léon, Axel Depondt et Stéphane David, et celle dénommée « PilotePC ».
– Inégalités et imprévisibilité. – Des exemples chiffrés les ont illustrées. De fait, ont ainsi pu être constatés « des inégalités devant la justice et un manque de prévisibilité. À situation économique égale on serait en droit d'attendre la même décision quel que soit le tribunal. Malheureusement il n'en est rien. (…) En comparant les résultats des méthodes proposées par la doctrine, on comprend l'origine de la disparité des décisions judiciaires. (…) À cette inégalité, s'ajoute l'imprévisibilité. (…) [La prestation compensatoire] finit par nuire à l'institution même du mariage au profit d'autres formes de conjugalité dans lesquelles il n'existe pas de prestation compensatoire. La rigidité de la prestation compensatoire tue la prestation compensatoire. Pour éviter les aléas judiciaires d'une fixation de cette prestation compensatoire, et aussi renforcer la prévisibilité patrimoniale, l'anticiper, il est nécessaire de contractualiser la prestation compensatoire. Laissons les époux libres de prévoir la prestation compensatoire à une période où n'existe encore aucun litige (…) ». À partir de ces constats, le 110e Congrès des notaires de France a proposé « que les époux aient la possibilité de déterminer une formule de calcul de la prestation compensatoire dans leur contrat de mariage, ou dans un acte notarié dressé en cours d'union ; et que le juge puisse réviser la prestation compensatoire ainsi déterminée si elle ne correspond plus aux hypothèses fixées dans le contrat ». Cette proposition a été rejetée.
Les constats relevés en 2014 sont aujourd'hui les mêmes : inégalités et imprévisibilité empêchent les ex-époux d'aborder sereinement l'instance en divorce en ce qu'elle concerne le sujet épineux du calcul de la prestation compensatoire. Même si les époux peuvent s'entendre sur la prestation compensatoire dans le divorce par consentement mutuel ou, pour les autres divorces pendant l'instance, ils ont souvent le sentiment d'être à la merci de décisions judiciaires disparates en la matière. Par ailleurs, pourquoi certains époux pourraient, compte tenu d'un élément d'extranéité constaté, choisir comme loi applicable celle d'une législation qui ne connaît pas la prestation compensatoire ?
La prestation compensatoire est aussi une source importante d'imprévisibilité pour les conjoints qui pourront voir leurs projets, notamment professionnels, anéantis en cas de divorce.
Devant ces difficultés, le notaire constate hélas que nombre de liquidations de régime matrimonial ont peine à être signées, les parties, et parfois leurs avocats, faisant de la fixation de la prestation compensatoire une condition de la liquidation. Or ces questions sont indépendantes : il conviendrait que par voie législative on impose aux époux, avant de pouvoir fixer le montant de la prestation compensatoire, de procéder à la liquidation et au partage de leur régime matrimonial.
Une autre piste, déjà explorée par le 110e Congrès des notaires de France et ci-dessus rappelée, est bien de réfléchir à la contractualisation de la prestation compensatoire.
Aussi, nous nous interrogerons sur la justification de la prestation compensatoire (Section I) avant d'évoquer les aménagements possibles pour sa détermination (Section II).
La justification de la prestation compensatoire
Lors de la séparation des époux, le règlement des conséquences financières du divorce est fonction de la liquidation du régime matrimonial et de la reconnaissance, ou non, du droit d'un des époux à se prévaloir d'une créance contre son ex-conjoint compte tenu de la rupture du train de vie habituel. Les inégalités de ressources entre époux pendant le mariage sont masquées par la contribution de chacun aux charges du ménage selon les règles du Code civil qui organisent une solidarité suffisamment efficace pour compenser la perte de revenus.
L'aménagement de la prestation compensatoire
On s'est longtemps interrogé pour savoir si les dispositions relatives à la prestation compensatoire étaient d'ordre public. Avant 1975, la Cour de cassation avait précisé que les créanciers d'aliments ne peuvent transiger ou renoncer à leurs droits. La prestation compensatoire, sauf cas du divorce sans juge, est forcément judiciaire comme mesure accessoire du prononcé du divorce.