La prestation compensatoire soumise à l'arbitrage

La prestation compensatoire soumise à l'arbitrage

À côté des modes alternatifs de règlement des différends, on trouve l'arbitrage qui pourrait être qualifié de « mode mixte de règlement des conflits ».
– Définition. – Les parties, par l'intermédiaire d'un juge qu'elles se choisissent, acceptent que ce dernier les départage. La sentence prononcée a autorité de la chose jugée et force exécutoire après exequatur. La décision prononcée s'impose aux parties si elles ne sont pas parvenues à se concilier. C'est une procédure contentieuse même si le juge reste une personne privée, un professionnel choisi par les parties compte tenu de la spécificité du litige qui les oppose et qui va statuer en droit et en équité. Sa sentence est sans appel.
Il est intéressant de constater que, dans la pratique, les juges encouragent la médiation familiale et la conciliation judiciaire, qui seraient un moyen efficace de « désengorger » les tribunaux. Les affaires familiales représentent en effet un pourcentage important des dossiers portés devant la justice.
En ce qui concerne l'arbitrage, il est surtout utilisé en droit des affaires et en droit international. On y a recours dans très peu de cas en droit de la famille.
D'origine conventionnelle, l'arbitrage est un mode alternatif de recours au juge permettant de confier à un tiers le pouvoir de trancher un litige. Pour pouvoir recourir à l'arbitrage, les parties doivent conclure une convention d'arbitrage qui prend la forme d'une clause compromissoire. Cela n'est envisageable qu'autant que le litige n'est pas encore né. Une fois le litige survenu, c'est vers le compromis d'arbitrage que les parties doivent s'orienter.
Les parties choisissent un tribunal arbitral à qui elles confèrent pouvoir de les départager par le prononcé d'une sentence. Cette décision a autorité de la chose jugée et force exécutoire.
– Historique. – L'arbitrage régnait en maître dans le droit de la famille avant la Révolution française puis dans le droit intermédiaire. En 1806, le Code de procédure civile le réserve aux professionnels, contraignant les familles à recourir aux juges.
La loi du 15 mai 2001 réforme les règles relatives à l'arbitrage, le législateur limitant ses effets aux litiges commerciaux. On ne souhaite pas alors permettre la clause compromissoire s'il y a un risque d'existence d'un rapport de force entre les parties. En 2016, la clause compromissoire est ouverte aux intérêts civils alors qu'elle n'était valable que dans les contrats conclus en raison d'une activité professionnelle.
Cependant beaucoup restent méfiants sur le développement de ce mode de résolution des différends en droit de la famille.
Pourtant, pourquoi les relations familiales tendues prennent-elles une voie judiciaire ? Justement parce qu'elles ne peuvent être souvent apaisées autrement que par le recours au droit et donc au juge. Or les tribunaux sont engorgés et il est impossible de maîtriser la durée et le coût d'une instance. Le recours à des experts, en cours d'instance, dans des matières où le juge n'est pas spécialiste permettrait aux justiciables d'aborder sereinement le procès qui reste souvent psychologiquement passionné dans ces matières sensibles de divorce ou d'indivisions conflictuelles.
Par ailleurs le législateur, conscient des inconvénients d'une justice trop lente, ne cesse de décharger les juges de certains contentieux pour ne les solliciter qu'en dernier recours. Les réformes récentes sur le changement de régime matrimonial ou le divorce sans juge démontrent bien ce mouvement de déjudiciarisation du droit de la famille.
Il est donc nécessaire de s'interroger sur la place que l'arbitrage peut avoir en droit de la famille (§ I) et sur son appréhension par la pratique notariale (§ II).

Droit positif et place de l'arbitrage en droit de la famille

– Domaine. – L'arbitrage en droit patrimonial de la famille n'est possible que dans le strict respect des articles 2059 et 2060 du Code civil : les parties doivent avoir la libre disposition de leurs droits et ne peuvent compromettre sur des matières intéressant l'ordre public.
Or il n'existe pas de définition précise des notions de droit disponible et d'ordre public. La jurisprudence a donc utilement précisé ces notions.
La jurisprudence a atténué le recours à la notion d'ordre public comme critère de distinction entre ce qui serait arbitrable et ce qui ne le serait pas. Elle reconnaît le droit de soumettre à l'arbitrage une matière relevant de l'ordre public si l'arbitre applique les règles d'ordre public et n'y porte pas atteinte. Il s'agit des règles obligatoires qui touchent à l'organisation de la nation, à la morale, à la santé, à la sécurité, à la paix publique et aux droits et libertés essentiels de chaque individu.
– Droit disponible. – Il faut donc préciser la notion de droit disponible qui serait celui qui par nature est dans le commerce, sauf disposition contraire de la loi. On pense alors au droit de propriété, droit de créance, usufruit, servitudes conventionnelles, droits successifs et droits indivis. Restent par contre indisponibles tous les droits incorporels attachés à la personne et donc inaliénables : la capacité, le nom, la filiation, le prononcé du divorce, la liberté de tester…
La Cour de cassation a ainsi pu déclarer arbitrables des litiges portant sur la liquidation des régimes matrimoniaux ou des successions. La cour a aussi affirmé que la prestation compensatoire était un droit disponible, ce qui laisserait, à un arbitre désigné par les époux, la possibilité de fixer le montant de ladite prestation.
L'arbitrage en droit de la famille est une réponse aux demandes d'efficacité de nos clients dans cette matière, certes sensible, mais où ne peuvent être ignorés les soucis de rapidité, de coût et de confidentialité auxquels nos concitoyens sont attentifs dans leur quête d'apaisement psychologique. Les délais de traitement des dossiers dans des tribunaux encombrés comme le manque de moyens de la Justice, la nécessité de s'en remettre à des spécialistes dans des matières complexes de droit des successions ou de régimes matrimoniaux sont autant d'arguments qui doivent nous interroger et nous conduire à participer au développement de l'arbitrage dans les domaines d'intervention privilégiés des notaires. L'arbitrage n'est plus cantonné au monde des affaires et de l'entreprise.
L'autonomie croissante laissée aux individus, la contractualisation et la déjudiciarisation des affaires familiales ainsi que la promotion faites aux Mard militent pour une utilisation plus large de l'arbitrage en droit de la famille et nous amènent donc à nous questionner sur sa mise en œuvre.

La mise en œuvre de l'arbitrage

Le rôle du notaire, comme conseil et comme arbitre, prend une dimension essentielle. En raison de son statut et de ses règles déontologiques, de sa formation et de son expérience, il est tout indiqué pour participer à la mise en œuvre de l'arbitrage, que ce soit en cours d'instance ou en dehors de toute instance judiciaire.

L'arbitrage en cours d'instance

– Volonté des époux. – L'article 1466 du Code de procédure civile prévoit que les parties ont la possibilité de compromettre même en cours d'instance. Rien n'empêche donc les époux de conclure un compromis pendant l'instance en divorce tant que le juge n'a pas rendu une décision devenue définitive.
Reste que l'articulation entre la procédure arbitrale et la procédure devant le tribunal peut être complexe quand le litige soumis à l'arbitrage ne porte que sur certains aspects de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux des époux. Le notaire aura donc un rôle de conseil important dans la rédaction du compromis d'arbitrage, et il devra veiller avec les parties à parfaitement définir l'objet du litige à arbitrer : les points soumisau tribunal arbitral ne seront pas portés devant le juge étatique puisque seul l'arbitre aura compétence pour les trancher.
Ainsi, pour la liquidation du régime matrimonial, la convention d'arbitrage ne peut être conclue qu'après l'assignation ou la requête conjointe en divorce.
L'arbitrage est d'autant plus justifié dans cette situation si les époux n'ont pas, par déclaration commune d'acceptation d'un partage judiciaire ou par dépôt d'un projet liquidatif notarié, demandé au juge du divorce de statuer sur les demandes de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux.
Le compromis doit alors déterminer l'objet du litige. Il doit également prévoir que la sentence liquidative du régime matrimonial ne produira ses effets qu'au jour où le prononcé du divorce aura acquis force de chose jugée.
Après divorce, le compromis peut également être signé pendant la procédure de partage judiciaire du régime.
Si la procédure d'arbitrage ne porte que sur la prestation compensatoire, la convention d'arbitrage ne peut être conclue tant qu'aucune instance en divorce n'est engagée.
Les époux peuvent signer cette convention après l'assignation ou la requête conjointe en divorce et avant le jugement de divorce. L'arbitrage peut aussi intervenir si le jugement de première instance a été porté en appel.
Tant que la sentence n'est pas prononcée, il faut être prudent sur les effets de l'arbitrage en cour : pendant la première instance ou pendant la procédure d'appel, lorsque l'appel porte aussi sur la cause de divorce, le compromis doit prévoir que les parties demandent un sursis à statuer. Dès que la sentence est rendue sur la prestation compensatoire, elle a l'autorité de la chose jugée et l'instance peut se poursuivre sur les autres demandes.
Il sera aussi recommandé de prévoir que la prestation compensatoire arbitralement fixée ne sera due qu'au jour où le prononcé du divorce aura acquis force de chose jugée.

L'arbitrage hors de toute instance

– La clause compromissoire. – On peut aussi imaginer qu'en dehors de toute instance, les époux aient envisagé le recours à l'arbitrage pour liquider leur régime matrimonial, organiser une indivision dans laquelle ils souhaitent maintenir certains biens, déterminer le montant des créances entre époux… On peut ainsi penser à insérer une clause compromissoire dans un contrat de mariage : les parties s'engagent à soumettre à l'arbitrage les litiges qui pourraient naître à l'occasion de la liquidation de leur régime matrimonial. Cela nécessite que le client ait reçu un conseil éclairé sur les conséquences de l'insertion dans son contrat de mariage d'une telle clause. Il serait bon de s'inspirer des précautions qui sont prises lors de la rédaction d'un prenup, et que le notaire rédige des clauses adaptées à la situation des époux en précisant les motifs qui ont conduit les parties à insérer ces clauses au contrat de mariage. Il sera prudent de rédiger une consultation avant d'adresser un projet de contrat et sans doute, comme cela est pratiqué dans les pays anglo-saxons, de constater dans l'acte l'envoi du projet et le délai de « réflexion » qui a été laissé aux époux avant de signer le contrat.
Les parties pourront, si le litige est porté devant l'arbitre choisi, lui demander de statuer en équité, permettant de respecter la commune intention des parties largement exprimée dans la clause insérée à leur contrat de mariage.
Le Code civil doit, pour permettre la mise en œuvre de cette solution, prendre en compte de manière plus explicite la notion de ce qui est arbitrable ou non. Particulièrement en ce qui concerne le règlement pécuniaire des effets du divorce, il doit définir les droits des époux qui seraient indisponibles et ceux qui seraient disponibles et donc arbitrables, notamment ceux afférents à la liquidation technique des droits patrimoniaux.
L'intérêt principal de l'arbitrage en matière familiale, qui pourrait être assuré par le notaire, consisterait pour le citoyen en la simplification du règlement de la liquidation et du partage, qui aurait lieu avec un seul interlocuteur, choisi par les parties, formé aux règles de liquidation et de partage du régime matrimonial, présent sur la totalité du territoire et capable, de par ses fonctions, sa technicité et son expérience, de trancher en équité.