Le contrat nuptial

Le contrat nuptial

Le contrat nuptial reste une notion étrangère à notre pratique, empruntée à la Common Law, sous la forme de prenups agreements. Il peut être défini comme un contrat, le plus souvent établi préalablement au mariage, et par lequel les futurs époux définissent les règles qui régiront leurs rapports patrimoniaux tant pendant l'union que lors de sa dissolution, et qui détermineront le sort des compensations financières et alimentaires en cas de divorce.
– L'exemple anglais. – Le droit anglais ne connaît pas la notion de régime matrimonial et le mariage n'a pas d'incidence sur les relations patrimoniales entre les époux. Par contre, en cas de divorce, le juge anglais peut décider qu'il faut rétablir un équilibre financier entre les époux et a la possibilité de procéder à une equitable distribution. Dans ce cadre, il peut décider d'attribuer à l'un des époux certains droits sur les actifs du couple, quelle que soit l'origine de ces biens. Afin de ne pas subir cet aléa, la pratique a développé les prenups pour prévoir, de façon anticipée, les conséquences patrimoniales de la séparation. Dans leur prenup, les époux peuvent fixer le sort de certains biens, décider par avance de l'attribution d'une somme déterminée à l'un des époux et fixer les modalités de calcul de cette somme.
La mise en œuvre du prenup nécessite que les époux soient chacun assisté de son conseil, qu'ils fournissent un inventaire patrimonial exhaustif pour que le contrat soit négocié de manière éclairée et équitable. Il est négocié avant le mariage, et un délai de réflexion entre sa conclusion et le mariage est nécessaire.
Globalement, le système français est favorable à l'aménagement des rapports patrimoniaux entre époux, et l'on peut envisager de nombreux aménagements, dont certains destinés à produire effet en cas de divorce (clause de partage inégal de communauté, création d'une société d'acquêts, clause de reprise des apports en cas de divorce…). Néanmoins il n'est pas possible, en dehors de toute instance, de prévoir des compensations financières et alimentaires en cas de divorce, contrairement aux pays de Common Law où, en l'absence de régime matrimonial à liquider, le seul outil de répartition et de distribution est la convention qui a été prévue par les parties avant le mariage.
– Les contrats nuptiaux en Europe. – La pratique des contrats nuptiaux est relativement répandue en Europe, de longue date en Allemagne et en Suisse, et de manière plus récente en Espagne, aux Pays-Bas et en Autriche, même s'il existe de fortes disparités entre ces pays quant à leurs contrats nuptiaux. Le droit allemand établit par exemple une claire distinction entre les clauses du contrat de mariage, dont l'objet est d'organiser la propriété, l'administration et la répartition des biens des époux pendant l'union et à sa dissolution, d'une part, et la clause facultative fixant le montant de la pension alimentaire qu'un époux versera à l'autre en cas de divorce, laquelle ne relèvera pas du régime matrimonial, d'autre part.
En droit interne anglais, les époux peuvent acquérir des biens en indivision, mais leurs quotes-parts indivises demeurent des biens propres. Il n'y a donc ni communauté ni séparation de biens. Le pouvoir des magistrats est colossal concernant la réallocation des biens des époux lors de leur séparation. En se fondant sur le Matrimonial Causes Act de 1973, les tribunaux étaient amenés à prononcer des ordonnances financières, en application d'une liste de critères destinés à satisfaire les besoins de chaque époux. Une fois ces besoins satisfaits, aucun ajustement supplémentaire ne pouvait être opéré.
L'arrêt White de la Chambre des Lords, rendu en 2000, a radicalement changé la donne et la jurisprudence a amorcé un virage vers un principe de redistribution équitable (sharing principle) : la satisfaction des besoins des époux conserve la priorité et domine le règlement des conséquences financières du divorce d'époux peu fortunés. L'idée d'une redistribution égalitaire des biens excédant ces besoins est apparue dans les autres cas.
En réaction à cette jurisprudence, ont proliféré des instruments destinés à éviter les effets dévastateurs de ce nouveau courant prétorien. Le concept de « biens non matrimoniaux » est apparu pour désigner ceux des biens que les époux convenaient d'écarter du partage égalitaire, puisque reçus par donation ou succession, ou fruits de l'activité professionnelle de l'un des époux. Pour autant, la validité des nuptial agreements n'a été admise qu'en 2010, sans leur reconnaître de force obligatoire : le juge doit reconnaître à l'accord nuptial un poids approprié eu égard aux circonstances qui ont présidé à sa conclusion, sauf à ce que le résultat en soit injuste ou inéquitable, et sous la réserve d'un consentement éclairé. Un rapport de la Law Commission a, le 27 février 2014, mis en place des qualifying nuptial agreements qui permettent aux époux, par un écrit, de régler leurs relations pécuniaires sans intervention du juge (sauf pour faire respecter les « besoins » de l'époux vulnérable, et dans l'intérêt des enfants).
La question de l'accueil de ces contrats nuptiaux dans l'ordre juridique français s'articule avec le mouvement de contractualisation évoqué plus haut et avec le recul des limites de l'ordre public conjugal. Pourvu qu'ils évoluent dans un contexte international, les époux peuvent désormais choisir la loi applicable à leur désunion et définir à tout moment la loi destinée à régir leurs obligations alimentaires. Ce choix favorise les accords préalables à tout contentieux et garantit une certaine stabilité de loi applicable qui ne sera pas remise en cause par les changements de situations intervenant dans la vie personnelle des parties. Si l'éventail du choix de loi est vaste, des restrictions sont posées quant aux effets dudit choix : il revient à la loi de la résidence habituelle du créancier d'aliments, au moment de la désignation, de déterminer s'il peut renoncer à son droit à des aliments. Ainsi, en l'état actuel de notre droit, si la résidence est en France, une renonciation anticipée serait condamnée. En outre, si le juge estime que la loi choisie par les époux « entraîne des conséquences manifestement inéquitables ou déraisonnables pour l'une ou l'autre des parties », la loi sera écartée au profit de celle désignée par les critères de rattachement objectifs.
Prenuptial agreements et droit français. – Ainsi donc le notaire français peut-il, à l'occasion de la liquidation d'un régime matrimonial, devoir prendre en compte un prenup, préalablement rédigé et signé par les époux pour établir la répartition des biens et les compensations financières entre époux. Le même notaire peut aussi être consulté pour rédiger un tel contrat au profit d'un couple ayant un élément d'extranéité. Il doit alors se poser différentes questions : cet acte est-il valable ? Que faut-il vérifier pour s'assurer de son efficacité ? S'agissant d'un contrat qui évolue le plus souvent dans un contexte international, quelle sera la loi applicable à ce contrat ? L'acte authentique est-il requis ? L'acte sera-t-il reconnu aussi bien devant des tribunaux français qu'étrangers ?
La première question qui se pose est celle de la validité de ces prenuptial agreements dans l'ordre juridique français. La jurisprudence française a établi une distinction selon que le prenup est soumis à la loi française ou à une loi étrangère. Dans le premier cas, la jurisprudence française est, comme indiqué ci-dessus, parfaitement claire : aucune convention de cette nature ne peut être conclue avant l'ouverture de la procédure de divorce puisque l'ordre public interne français affirme que la prestation compensatoire de droit français n'est pas disponible. Dans le second cas, la jurisprudence, en application de l'effet atténué de l'ordre public international, valide les prenups établis à l'étranger conformément à une loi étrangère qui les autorise : ainsi a-t-elle reconnu la validité de prenups conclus sous l'empire du droit anglais ou allemand. Par ailleurs si, en France, il est contraire à l'ordre public d'inclure dans son contrat de mariage des éléments relatifs au calcul de la prestation compensatoire, qui correspondraient à anticiper le montant de la prestation compensatoire, la question de la conformité à l'ordre public international est différente, celle-ci étant régie par le règlement du Conseil du 18 décembre 2008.
La seconde difficulté est que l'application des règles de droit international privé peut conduire les parties à se retrouver avec autant de juges compétents et de lois applicables que de questions juridiques soulevées. Ainsi plusieurs règlements seront applicables pour le prononcé du divorce afin de déterminer la juridiction compétente (Règl. « Bruxelles II bis » no 2201/2003, 27 nov. 2003) et pour connaître la loi applicable (Règl. « Rome III » no 1259/2010, 20 déc. 2010). Dans un second temps, pour régler les conséquences alimentaires du divorce, il faudra s'en remettre au règlement no 4/2009 du 18 décembre 2008 pour déterminer la juridiction compétente, et au Protocole de La Haye de 2007 pour déterminer la loi applicable. Enfin, pour liquider le régime matrimonial, il faudra s'en remettre soit à la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux, soit au règlement de l'Union européenne sur ce point.
Prenuptial agreement et DIP. – Une fois ces points éclairés, reste que le prenuptial agreement a autant pour objet de répartir les biens entre époux en cas de rupture que d'envisager des compensations financières fondées sur la disparité de revenus des époux. Or le droit international privé soumet ces deux catégories juridiques distinctes que sont le régime matrimonial et l'obligation alimentaire à des lois différentes. Il faut donc s'interroger sur ce qui, dans les règlements pécuniaires entre époux, relève d'une question tantôt de régimes matrimoniaux, tantôt d'obligations alimentaires entre époux. La Cour de justice de l'Union européenne a posé les principes suivants dans une décision Van den Boogaard : si la somme d'argent tend à assurer l'entretien d'un des époux dans le besoin ou si les ressources et besoins de chacun sont pris en considération, la décision prise par le juge a un caractère alimentaire. Si la prestation vise uniquement à la répartition des biens entre époux, la décision concerne les régimes matrimoniaux. Lorsque la décision combine les deux fonctions, il appartient au juge de distinguer les aspects alimentaires et patrimoniaux.
Il est donc possible de « jouer » avec les différents règlements européens et de jongler avec leur applicabilité dans les différents pays de l'Union européenne en procédant à la désignation des lois applicables et, quand cela est possible, à la désignation du juge compétent pour aménager le règlement pécuniaire du divorce. La liberté croissante accordée aux époux à l'échelle internationale et européenne ne pourrait-elle pas finir par vaincre les résistances en droit interne et avoir pour conséquence de permettre en France d'anticiper les conséquences pécuniaires du divorce en ce qu'elles touchent au règlement pécuniaire de celui-ci et notamment à la prestation compensatoire ? Lors de la réforme du divorce de 2004, dans son rapport pour la commission des lois Patrice Gélard estimait qu'il s'agissait « d'une suggestion, quoiqu'intéressante » mais « qui ne paraît pas adaptée à l'état actuel de la société ». La transposition en droit français des prenuptial agreements permettrait pourtant d'anticiper la fixation de la prestation compensatoire qui reste une source d'insécurité juridique. La signature d'un contrat par les époux leur éviterait de devoir négocier les conséquences financières du divorce dans un climat de tension. Ce serait également une possibilité de protéger les biens des époux en anticipant leur répartition en cas de séparation du couple, les époux ayant convenu ensemble, selon leurs attentes respectives, des règles futures qui devront en cas de divorce régir leurs relations patrimoniales.