La justification de la prestation compensatoire

La justification de la prestation compensatoire

Lors de la séparation des époux, le règlement des conséquences financières du divorce est fonction de la liquidation du régime matrimonial et de la reconnaissance, ou non, du droit d'un des époux à se prévaloir d'une créance contre son ex-conjoint compte tenu de la rupture du train de vie habituel. Les inégalités de ressources entre époux pendant le mariage sont masquées par la contribution de chacun aux charges du ménage selon les règles du Code civil qui organisent une solidarité suffisamment efficace pour compenser la perte de revenus. Lors du divorce, ces inégalités peuvent fonder une créance de l'époux le moins fortuné.
Un rappel historique (Sous-section I) permettra de mieux comprendre pourquoi en 1975 le législateur a choisi de substituer à la pension alimentaire la prestation compensatoire. Ce rappel fait, il s'agira de s'interroger sur la nature propre de la prestation compensatoire (Sous-section II).

Historique

Il nous faut ici nous interroger sur ce qui peut justifier le versement d'une somme d'argent à un ex-époux, en dehors de ce qu'il peut recevoir dans la liquidation du régime matrimonial. S'agit-il d'une obligation résultant du mariage afin de ne pas laisser son ex-époux dans le besoin et lui permettre de maintenir son niveau de vie ? S'agit-il d'une obligation fondée sur un préjudice matériel né de l'organisation domestique pendant le mariage ?
– La loi du 11 juillet 1975 crée la prestation compensatoire. – Le Code civil de 1804 est le premier à consacrer le principe d'une pension alimentaire. Ce modèle est repris dans la plupart des pays de tradition latine. La loi no 75-617 du 11 juillet 1975, portant réforme du divorce en France, substitue à l'obligation alimentaire une prestation compensatoire. Le législateur, par cette réforme, libéralise le divorce en reconnaissant de nouvelles causes de rupture du mariage et rompt avec le règlement jusqu'alors connu des conséquences pécuniaires du divorce par une pension alimentaire. La loi de 1975 octroie à cette prestation un caractère compensatoire, donc détaché de toute faute et de tous besoins, devant permettre « d'épuiser les effets pécuniaires du divorce » par un règlement forfaitaire et définitif.
Ce substitut héritait de la pension alimentaire son caractère hybride, à la fois indemnitaire et alimentaire, sur des bases sensiblement renouvelées.
Indemnitaire, la prestation compensatoire l'est à la fois quant à sa finalité puisqu'il s'agit de compenser « autant que faire se peut », la « disparité dans les conditions de vie respectives » et quant à son fondement, avec le maintien dans l'article 280-1 du Code civil du principe selon lequel « l'époux aux torts exclusifs de qui le divorce est prononcé n'a droit à aucune prestation compensatoire », sauf, à titre exceptionnel, « si le refus de compensation était manifestement contraire à l'équité ». La dimension indemnitaire se trouve renforcée par le caractère forfaitaire et non révisable de la prestation, même en cas de changement imprévu dans les ressources ou besoins des parties.
Alimentaire, la prestation compensatoire l'est restée malgré tout, parce que son mécanisme de fixation restait calqué sur celui des pensions : « La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre ». La différence par rapport au régime des aliments résidait dans le mode de calcul des besoins et ressources, qui devenait largement prospectif. Le juge doit tenir compte « de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible », en procédant à un bilan global de la situation des parties, prenant en considération divers critères posés à l'article 272 du Code civil.
Selon le choix des modalités de la prestation, capital ou rente, c'est la dimension indemnitaire ou alimentaire qui l'emporte. La prestation sera alimentaire s'il s'agit d'assurer l'entretien de l'époux se trouvant dans une situation de besoin à laquelle il ne peut seul subvenir. La prestation sera indemnitaire quand il s'agira de tenter d'atténuer les effets de la dissolution du mariage en évitant qu'elle affecte le niveau de vie du moins fortuné.
Le caractère alimentaire a été implicitement posé par la jurisprudence qui applique à la prestation compensatoire les caractéristiques de la pension alimentaire alors même que ces deux notions sont très différentes :
  • la pension est normalement une rente quand la prestation est versée sous forme de capital ;
  • la pension est calculée en fonction des ressources et des besoins du créancier et de ce fait est révisable. La prestation est forfaitaire et définitive ;
  • la pension est fixée en tenant compte de la situation du créancier lors du prononcé du divorce quand l'avenir prévisible des époux a une incidence sur le calcul de la prestation compensatoire ;
  • la pension alimentaire est d'ordre public et ne peut faire l'objet de renonciation contrairement à la prestation compensatoire, une fois l'instance engagée.
  • insaisissabilité de la prestation compensatoire ;
  • interdiction de compensation légale ou judiciaire. Par contre, la pratique utilise la compensation conventionnelle : la prestation compensatoire se compense parfois avec une soulte due, quant à elle, dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial ;
  • impossibilité de transiger ou de renoncer à la prestation compensatoire (sauf une fois l'instance engagée).
Le caractère alimentaire entraîne :
Le caractère indemnitaire permet de réparer un préjudice en compensant une disparité. Ainsi, avant 2004, seul l'époux innocent pouvait prétendre à la prestation compensatoire si l'état de besoin existait au jour de la dissolution. La réparation du préjudice entraînait également transmission de la dette.
La modalité du versement en capital, par son caractère instantané, est mieux ajustée à l'idée indemnitaire. La loi de 1975 avait placé en tête cette modalité de paiement de la prestation et selon des formes de versement impliquant un apurement rapide des comptes entre les époux. Les délais de versement étaient brefs. L'article 275-1 du Code civil prévoyait seulement que l'époux débiteur pouvait être autorisé, sous réserve de donner des garanties, à « constituer le capital en trois annuités ».
La rente, modalité subsidiaire voulue en 1975, ne peut échapper à la logique alimentaire. Elle est orientée vers les besoins du créancier et se transmet aux héritiers du débiteur. Elle implique des versements périodiques, ce qui la soumet aux aléas classiques des créances d'aliments, indexation, exécution forcée, et surtout demandes de révision.
– Une base légale de détermination du montant de la prestation compensatoire. – Les articles 270 et 271 du Code civil offrent au juge divers critères permettant de fixer le montant de la prestation compensatoire. Ces articles justifient par ailleurs le maintien d'une obligation entre époux divorcés.
La lecture des travaux parlementaires relatifs à la loi de 1975 permet de rappeler que le but de la loi était bien de réformer le droit du divorce : la libéralisation du divorce est présentée comme nécessaire pour s'adapter aux mœurs et la prestation compensatoire vient compléter le nouveau dispositif par une notion nouvelle, détachée de la faute et fondée sur la disparité que la rupture entraîne dans les conditions de vie des époux. Supprimer la pension alimentaire revenait à mettre fin au devoir de secours, ce qui alimente les discussions parlementaires qui n'évoquent par ailleurs la prestation que comme devant être versée à l'épouse : c'est la situation matérielle de la femme divorcée, supposée en 1975 économiquement dépendante, qui préoccupe le législateur.
Dans la pratique, la loi de 1975 est appliquée sans tenir compte des précisions du nouveau texte notamment sur la forme que devait prendre la nouvelle prestation qui reste majoritairement versée sous forme de rente parfois viagère. On laissait donc perdurer l'ancienne pension de l'article 301 du Code civil, ceci parce que la prestation compensatoire se heurtait à la réalité économique de la situation des couples qui divorçaient : rares étaient les patrimoines pouvant supporter un tel règlement, même après liquidation du régime matrimonial, et la rente restait la seule solution. Mais le service de ces prestations engendrait le contentieux classique des pensions alimentaires, lié à l'évolution de la situation des débiteurs et des créanciers.
– Réforme de 2000. – Constatant que la rente n'était plus adaptée, le législateur s'est alors attaché, avec la loi du 30 juin 2000, à faciliter l'attribution d'un capital en complétant les modalités d'octroi de la prestation compensatoire et en allongeant la durée de sa libération. Il a réduit par conséquent le périmètre des rentes. Cependant, en introduisant la durée là où prévalait le court terme, voire l'instantanéité, le législateur ouvrait la voie à de nouveaux incidents de paiement : l'article 275-1 du Code civil autorisait le débiteur à demander « la révision de ces modalités de paiement, en cas de changement notable de sa situation ». Le juge pouvait désormais, à titre exceptionnel, par décision spéciale et motivée, « autoriser le versement du capital sur une durée totale supérieure à huit ans ». C'est sur les rentes que le législateur de 2000 a exercé la pression la plus forte en en limitant les conditions d'octroi et en multipliant les hypothèses de leur remise en cause. La règle est bien le versement en capital, ceci étant principalement motivé par la volonté d'éviter le contentieux post-divorce.
La loi no 2004-439 du 26 mai 2004 vient quant à elle bouleverser le droit du divorce. En détachant le divorce de toute forme de faute, la loi vient aussi bouleverser le régime de la prestation compensatoire : la loi de 2004 s'inscrit dans le courant de contractualisation du droit de la famille et vient affaiblir le caractère d'ordre public de la prestation compensatoire. Les règles légales sont un modèle dont les époux peuvent se détacher, quel que soit le cas de divorce. La loi élargit le domaine d'attribution d'une prestation compensatoire (octroi possible quelle que soit la cause du divorce, remplacement par une prestation compensatoire du devoir de secours en cas de rupture de la vie commune), tout en limitant leur attribution. Ainsi, alors même que le critère d'octroi posé par l'article 270 du Code civil serait satisfait (disparité dans les conditions de vie respectives des époux), le juge peut « au nom de l'équité », refuser d'accorder une telle prestation dans tous les cas de divorce en cas d'absence des critères positifs énumérés par l'article 271 du Code civil pour la fixation d'une prestation. Les critères d'octroi sont à nouveau modifiés, avec un rééquilibrage au profit de la situation passée, l'article 271 du Code civil ayant placé en tête la durée du mariage, et réintégré « les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ». Par ailleurs, en cas de décès du débiteur, la rente ne passe plus à ses héritiers et ne peut être prélevée que dans la limite de l'actif successoral.
– Le divorce sans juge. – Jusqu'alors, était nulle toute convention dans laquelle, avant toute introduction de l'instance en divorce, les époux s'accordaient sur le montant de la prestation compensatoire.
La loi du 18 novembre 2016 instaure le divorce sans juge et déjudiciarise la prestation compensatoire. Dans ce cadre, tout tourne autour de la convention de divorce établie par les époux qui règlent eux-mêmes les conséquences de leur divorce en fixant « les modalités du règlement complet des effets du divorce ». On peut donc convenir d'une prestation compensatoire sans juge, ce qui relance le débat sur la possibilité d'intégrer dans le contrat de mariage ou dans un acte notarié postérieur (comme le proposait le 110e Congrès des notaires de France, V. supra, no ) une méthode de calcul de la prestation, voire de prévoir l'absence de prestation, ceci alors que le caractère disponible de la prestation n'est admis qu'une fois l'instance en divorce engagée afin de ne pas porter atteinte à la liberté de divorcer.

La nature de la prestation compensatoire

Au cours des années suivant l'entrée en vigueur de la loi de 1975, la question de la nature de la prestation est régulièrement posée et systématiquement c'est le caractère indemnitaire de la prestation qui sera mis en avant. Il ne s'agit pas de pourvoir aux besoins de l'épouse divorcée, mais de verser une somme visant à l'indemniser compte tenu de la disparité des ressources. Une réponse de Robert Badinter, alors garde des Sceaux, lors de l'examen d'une proposition de loi de 1984, précise que la prestation vise à réparer « le préjudice que le divorce cause à un conjoint au moment où se produit la dissolution du mariage ».
Le débat parlementaire préalable à l'adoption de la loi du 30 juin 2000 portant réforme de la prestation compensatoire relance l'ambiguïté sur les objectifs poursuivis par la loi de 1975 quand elle a instauré la prestation. D'un côté, il est avancé qu'il faut, avec la prestation, régler en une seule fois les conséquences pécuniaires du divorce pour éviter de retarder la sortie effective du mariage. Les parlementaires souhaitent veiller à ce que l'abaissement des revenus ne présente pas de conséquences trop brutales pour l'un des conjoints. D'un autre côté, le mariage reste considéré comme créateur d'obligations devant assurer au minimum un devoir d'assistance. Il engage la responsabilité des époux et justifie de compenser le préjudice causé par la rupture.
C'est ainsi que certaines réformes de la prestation compensatoire ont renforcé le caractère indemnitaire de celle-ci (perte éventuelle de droits en matière de pension de réversion en 2000, conséquences des choix professionnels en 2004…), quand d'autres réformes (recours à la durée du mariage avec la réforme de 2000, renforcement de la possibilité de révision à la baisse de la prestation en 2000 et 2004) se fondaient sur les capacités contributives du débiteur, renforçant ainsi le caractère alimentaire de la prestation.
La doctrine, depuis 1975, ne semble pas avoir livré de propositions théoriques sur les fondements de la prestation compensatoire. C'est essentiellement sur les modalités de mise en œuvre de la nouvelle notion de prestation que la doctrine a travaillé, sans discuter des logiques alimentaires, compensatoires, redistributives ou indemnitaires de la prestation. La justification de la compensation serait donc simplement abordée sur le mode de son efficacité juridique sans qu'il soit besoin d'engager une analyse de l'évolution des familles, voire de la place de la femme dans le couple.
Partant de ces discussions entre la prestation analysée comme une obligation née du mariage et la prestation mise à la charge de l'époux qui doit assumer les conséquences des choix posés pendant le mariage, il convient de s'interroger sur les possibilités pour les époux de peser sur le calcul de la prestation compensatoire.