On analysera ici le nantissement de compte
(§ I)
, puis le nantissement de compte-titres
(§ II)
dans leur confrontation aux actifs numériques.
Les nantissements spéciaux
Les nantissements spéciaux
– Nantissement de compte. – Cette hypothèse est spécialement reconnue par l'article 2360 du Code civil
Cet article figure parmi ceux consacrés au nantissement de créance. Il est vrai que le nantissement de compte peut être considéré comme une déclinaison spéciale du nantissement de créance, qui sera étudié dans le prochain paragraphe (V. infra, no
).
selon lequel, lorsque le nantissement porte sur un compte, la créance nantie s'entend du solde créditeur, provisoire ou définitif, au jour de la réalisation de la sûreté, sous réserve de la régularisation des opérations en cours, selon les modalités prévues pour les procédures civiles d'exécution.
On considère généralement que le nantissement ne grève pas directement les créances du titulaire du compte contre l'établissement teneur du compte, mais plutôt le « compte » lui-même. Or, qu'entend-on par « compte » ? Si l'on considère qu'il s'agit du compte ouvert auprès d'un établissement bancaire, financier ou de crédit, le wallet qui abrite des cryptomonnaies détenues par l'intermédiaire d'un prestataire en actifs numériques
Sur la notion de portefeuille numérique, V. supra, Titre I, Sous-titre I, Chapitre II, « Le fonctionnement technique ».
ne peut être assimilé à un compte bancaire, ce qui paraît par suite exclure l'application du nantissement de compte du Code civil. Toutefois, une approche moins restrictive de la notion de compte et donc de cette sûreté peut être adoptée.
L'application à un actif numérique est intéressante, surtout en présence d'une cryptomonnaie, ou précisément d'une créance de solde de compte libellé par exemple en ethers ou en bitcoins
M. Bali, La prise de sûreté sur cryptomonnaie, art. préc., spéc. nos 16 et s.
ou toute autre cryptomonnaie.
Comme vu précédemment
V. supra, Titre I, Sous-titre II, « Les qualifications ».
, on ne peut qualifier définitivement les cryptomonnaies de titres financiers, d'où la réflexion sur la mise en œuvre du nantissement de créance de droit commun dont relève le nantissement de compte. Force est de reconnaître cependant que la notification du nantissement au débiteur de la créance nantie soulève une question pratique quant à son identification. Dans la mesure où nombre de plateformes d'échange de cryptomonnaies sont des sociétés qui disposent d'un partenariat avec un établissement de monnaie électronique ou de paiement, cet établissement peut être considéré comme le débiteur de la créance nantie, constituée par le solde créditeur du compte. Les plateformes agréées seraient donc les débiteurs auxquels le constituant notifierait la conclusion du nantissement du solde de son compte en cryptomonnaies.
On sait que les plateformes proposant de mettre en relation des acheteurs et des vendeurs de cryptomonnaies sont le plus souvent adossées directement ou indirectement à des établissements de paiement ou de monnaie électronique habilités à recevoir des fonds. Comme le souligne un auteur, « cette structuration du support de détention de monnaie dite virtuelle pourrait être le critère d'admission du nantissement »
M. Bali, La prise de sûreté sur cryptomonnaie : le cas du bitcoin, art. préc.
. Les bitcoins ou autres cryptomonnaies pourraient être transférés à une adresse publique du teneur du compte similaire au compte bloqué. Dans l'hypothèse d'un nantissement en faveur d'un créancier d'une partie des actifs numériques en compte, ces derniers seraient transférés à une nouvelle adresse multiple détenue à la fois par le teneur du compte, le titulaire du compte et le créancier nanti, et qui fonctionnerait soit avec les signatures privées du créancier nanti et de son débiteur (le titulaire du compte), soit avec celle du teneur de compte, qui jouerait ici un rôle de tiers de confiance convenu
Sur l'usage d'une double clé pour assurer l'effectivité du transfert de propriété au créancier, V. not. D. Legeais, La blockchain confrontée au droit des sûretés, préc., p. 137.
.
Finalement, concernant l'adaptation possible ou non du nantissement de compte aux actifs numériques, on peut conclure dans le sens de l'éviction du nantissement de compte, quand bien même, en pratique, les plateformes d'échange de cryptomonnaies peuvent faire figure de débiteurs des créances nanties.
– Nantissement de compte-titres. – Cette sûreté a trouvé sa consécration légale dans l'ordonnance no 2009-15 du 8 janvier 2009, succédant au nantissement de valeurs mobilières et au nantissement d'instruments financiers (ancien C. monét. fin., art. L. 431-4). Il est aujourd'hui régi par l'article L. 211-20 du Code monétaire et financier et porte sur des titres financiers, l'assiette de la garantie pouvant être évolutive au fil des substitutions de titres à l'actif du même compte.
L'usage de la blockchain exclut la notion de « compte » – ce qui conforte l'éviction du nantissement de compte du Code civil et devrait aussi conduire à écarter le nantissement de compte-titres du Code monétaire et financier. Le « nantissement de compte-titres » est-il alors adapté aux cryptoactifs ? La difficulté posée s'agissant du nantissement de compte se rencontre évidemment pour celui de compte-titres.
Pour autant, sur le plan technologique, le protocole des chaînes de blocs pourrait renforcer l'efficacité de la sûreté par le recours au smart contract, c'est-à-dire à un programme lui-même intégré en blockchain et chargé de déclencher automatiquement certaines opérations (ainsi sa réalisation en cas de défaillance)
V. infra, Commission 3, nos
et s.
.
– Nantissement de titres inscrits dans un DEEP : renvoi. – Par ailleurs, en ouvrant la possibilité de représenter certains titres financiers dans un « dispositif d'enregistrement électronique partagé » (DEEP), et non plus dans un compte, l'ordonnance no 2017-1674 du 8 décembre 2017 nous invite à repenser cette garantie
M. Julienne, Le nantissement de titres financiers inscrits en blockchain, in Blockchain et droit des sociétés, ss dir. V. Magnier et P. Barban, Dalloz, 2019, p. 51.
. Sur le plan de sa constitution pratique, une mise en œuvre moderne dématérialisée dans une hypothèse précise a donc pris forme récemment, à travers le nantissement de titres financiers inscrits sur une blockchain.
Son régime est précisé par le décret du 24 décembre 2018 pris en application de l'ordonnance du 8 décembre 2017 relative à l'inscription des titres de sociétés non cotées sur un dispositif d'enregistrement électronique partagé (DEEP). Il sera examiné dans le chapitre suivant
V. infra, nos
et s.
.