La nécessaire protection de la reconnaissance d'activités réservées au notariat

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

La nécessaire protection de la reconnaissance d'activités réservées au notariat

Alors que l'avocat général, dans ses conclusions, a cherché à minimiser le rôle authentificateur du notaire, en tentant d'assimiler authentification et certification 1519035549958, voire à nier la contribution du notaire en terme de sécurité juridique dans la préservation du système du livre foncier, la Cour a refusé de suivre cette voie.
Elle s'est au contraire attachée à distinguer de manière approfondie l'activité des avocats de celle des notaires, la première « consistant à certifier l'authenticité des signatures apposées sur les actes » n'étant pas « comparable à l'activité d'authentification effectuée par les notaires » 1519036158266.
C'est précisément pour cette raison que « la mention d'authentification d'une signature apposée par un avocat tchèque ne constitue pas un acte authentique » 1519036302270.
L'approche que la Cour semble faire de la distinction entre notaire et avocat va au-delà de la préservation des activités notariales pour une bonne administration de la justice dans les États membres le connaissant. Elle assure aussi, par l'analyse de la directive 77/249 propre à la libre prestation de services des avocats au sein de l'Union, un respect des deux professions et, ce faisant, au respect des spécificités du système juridique de l'État membre, notamment au Royaume-Uni, où seuls lessolicitorspeuvent établir des actes juridiques relevant du droit immobilier.
Ainsi, la Cour démontre que le notariat de type latin étant nécessaire pour la publicité foncière, le droit tchèque qui reconnaît l'intervention de l'avocat certificateur pour le livre foncier tchèque n'est pas transposable au droit autrichien.
D'une manière plus générale, le raisonnement de la Cour au final ne permet pas la transposition de cette règle entre deux systèmes de droits aux contenus différents : l'activité des notaires et des avocats (en ce compris lessolicitorsde droit anglo-saxon) n'est pas comparable, et à ce titre, l'authentification d'une signature par avocat (ousolicitor) ne peut avoir la même valeur juridique que celle d'un notaire dans un État connaissant le notariat de type latin 1519037896531.
C'est ainsi que certaines activités notariales, reconnues comme participant à la poursuite d'objectifs d'intérêt général, constituent pour cela un élément essentiel à une bonne administration d'une justice préventive et doivent être différenciées des activités d'avocat, dont la libre prestation de services résulte de la directive 77/249.
La directive « Avocat » ne peut pas s'appliquer pour les activités notariales inhérentes au notariat de type latin que les États membres peuvent connaître, et qui constituent un des piliers fondateurs de leur système juridique.
Si la Cour a su démontrer la nécessité de réserver certaines activités notariales et de surcroît les protéger de certaines autres professions du droit (avocat, de droit continental comme decommon law), il est alors possible de se poser la question suivante :
L'arrêtPiringerannonce-t-il les prémices d'un notariat européen transfrontière ?
À bien y regarder, cette question, inspirée d'observations qu'un auteur 1519049071673a pu tirer notamment de l'article 56 TFUE 1519049187115mérite effectivement d'être posée sur un autre registre que celui du clivage entre notaires et avocats, celui du notariat européen.
En d'autres termes, un notaire italien ou espagnol pourrait-il avoir accès au registre des biens immobiliers en France ? La réponse à ce jour reste négative, en application de l'article 710-1 du Code civil français, qui prévoit que tout acte ou droit soumis à publicité foncière doit être reçu en la forme authentique par un notaire exerçant en France.
Mais se pourrait-il que l'article 710-1 puisse être considéré comme constituant une restriction de l'article 56 TFUE ?
Cette question paraît légitime à double titre : en vertu, d'une part, du principe de « reconnaissance mutuelle », qui a vu le jour pour la première fois pour les produits de consommation (en l'espèce des alcools fabriqués en France et interdits de commercialisation en Allemagne : arrêtCassis de Dijon, 20 févr. 1979, V. infra, note de bas de page sous le n°, élément essentiel à la construction du marché intérieur de l'Union, et en vertu, d'autre part, du principe de l'acceptation et de l'équivalence, fondé sur la confiance mutuelle, autre pilier sur lequel se construit et s'épanouit l'espace de liberté, de sécurité et de justice de l'Union (V. égal.infra, n°).
Surtout que la Cour, dans l'arrêtPiringer, a eu l'occasion de rappeler que chaque État membre doit veiller à « l'élimination de toute discrimination à l'encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également [à] la suppression de toute restriction à la libre prestation de services, même si cette restriction s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services similaires » 1519051443875.

Réflexion prospective : l'arrêtet l'avènement d'un notariat transfrontière

L'arrêtPiringerannoncerait-il donc l'avènement d'un notariat transfrontière, que d'aucuns appelleraient de leurs vœux 1519051642832 ? Se basant sur cette culture commune de l'authenticité (V.supra, n° ) servant de socle à tous les notariats latins des vingt-deux États membres qui en connaissent, serait-il vraiment possible de « donner chair au notariat européen » 1519052108238 ?
Certains auteurs en doutent 1519052566032, car comment permettre à un notaire espagnol d'accéder au fichier immobilier du service de la publicité foncière, dont les règles de fonctionnement, de contrôle et d'inscription sont très différentes du registre espagnol ? Pour que la concurrence entre notaires européens soit possible, encore faut-il que le notaire de l'État membre qui établit la prestation soit soumis dans son État aux mêmes règles et conditions que celles de l'État membre où la prestation se trouve exécutée.
À cet égard, la Cour insiste sur le contrôle strictement exercé par l'État membre, d'autant que quelques difficultés réelles surgissent :
  • comment pouvoir contrôler dans ces conditions un notaire établi dans un autre État membre, pour s'assurer de la validité de la signature, de l'acte, et des formalités y relatives 1534313847593 ?
  • comment accepter que la collecte de droits dus à l'État français soit effectuée par une autorité publique étrangère, eu égard à la souveraineté nationale de chaque État membre, sur laquelle l'État recevant l'impôt ne peut exercer aucun contrôle sur l'« agent collecteur » étranger ?Quiddu lien de réciprocité unissant de façon solidaire et particulière l'État et son représentant, dont il a été parlé dans l'arrêtColegio de Oficiales marina mercante española ? (V. supra, n°) ;
  • comment – et sur quelles bases surtout – pourrait être mise en œuvre par le droit de l'Union la reconnaissance d'une autorité publique européenne, dont avant même une définition (autonome ?), le concept même reste entièrement à élaborer, avant toute autre avancée sur cette voie ?
Sous ces réserves seulement – reconnaissance d'une autorité publique relevant du droit européen ; coordination des modalités de contrôle identiques pour des conditions d'exercice identiques dans des États membres ; intégration des matières douanière, fiscale et administrative dans les chefs de compétence de l'Union, ne relevant plus des attributs de la souveraineté nationale –, le notariat européen pourrait alors effectivement prendre chair.
Commencerait alors une ère nouvelle où un espace européen de sécurité juridique pourrait être consacré, et dans lequel le notaire, officier public, nommé par l'autorité publique qui lui déléguerait une parcelle de puissance publique pour l'exercice de ses fonctions, serait pleinement reconnu comme agent public, remplissant une mission de service public notarial européen.
Cette évolution remarquable que l'arrêtPiringer 1519552583833amène à relever conduira-t-elle la Cour encore plus loin, c'est-à-dire à reconnaître le notaire comme étant aussi une juridiction ? En effet, certaines prérogatives attachées aux activités notariales pourraient laisser penser que le notaire pourrait être classé comme une autorité juridictionnelle.
Par exemple, le règlement refondu Bruxelles I bisn° 1215/2012 du 1er décembre 2012, dans son article 3 a), reconnaît expressément en tant que juridiction le notariat hongrois dans les procédures sommaires, concernant les injonctions de payer.
Mais la réponse, en l'état de la jurisprudence et des instruments européens, ne peut qu'être négative. Elle est d'ailleurs très bien illustrée par les deux prochains arrêts examinés ci-dessous, les arrêtsPula ParkingetIbrica.