– L'ambivalence environnementale de l'agriculture. –
Le cas des algues vertes, déjà évoqué plusieurs fois, vient rappeler un fait désagréable :
l'agriculture actuelle porte atteinte à l'environnement
. Pesticides et engrais polluent les eaux et les nappes – deux tiers de la pollution d'eau potable, en
France, ont une origine agricole. Mais ce n'est pas là le seul impact. Il faut également prendre en
compte la pollution de l'air : par exemple, la quasi-totalité de l'ammoniac volatile provient de
l'agriculture. Et il y aussi la participation au réchauffement climatique : un tiers du méthane
anthropique est généré par le bétail – sachant que le pouvoir de réchauffement du méthane est
quatre-vingts fois supérieur à celui du CO2. D'ailleurs, n'importe quel notaire rural a pu
faire l'expérience de cette évidence, mesurable économiquement : la proximité d'une exploitation
agricole de taille significative cause une moins-value aux habitationsvoisines
.
Mais en rester à l'assertion précédente serait faire un bien mauvais procès au monde agricole
. Le métier est parmi les plus difficiles, pour une rémunération bien chiche. Plus encore, le monde
agricole est pris au piège d'une injonction paradoxale, entre l'enjeu alimentaire et l'enjeu
environnemental. D'une part, on lui demande un progrès constant en matière de rendements et de
productivité. Non sans réussite : la population agricole française a été divisée par cinq en
soixante-dix ans ; quand, dans le même temps, la part de l'alimentation dans le budget des ménages
était divisée par deux. D'autre part, l'agriculture est sollicitée pour avoir un rôle clé dans la
préservation des ressources naturelles, dans la lutte contre le réchauffement climatique ou dans la
transition énergétique.
Le problème est que l'injonction paradoxale est destinée à empirer
. D'un côté, selon l'estimation de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et
l'agriculture (FAO), la population mondiale devrait avoisiner les 10 milliards d'habitants en 2050, ce
qui, cumulé aux évolutions dans les habitudes alimentaires, pourrait exiger une croissance de la
production agricole de près de 70 % par rapport à la situation actuelle
. De l'autre, le réchauffement climatique a déjà des effets négatifs visibles sur l'agriculture :
augmentation des sécheresses ou des catastrophes naturelles, vagues de chaleur ou de froid au stade
sensible des cultures, problèmes phytosanitaires par augmentation des bio-agresseurs ou des pathogènes
. Au niveau mondial, la FAO estime les pertes agricoles dues au climat à 3 600 milliards de dollars,
pour les trente dernières années – et le problème va
crescendo
.
Il y a une certaine urgence à faire évoluer le cadre dans lequel évolue la profession agricole.
Selon l'INSEE, un agriculteur sur deux est susceptible de partir à la retraite d'ici 2030 – et la
relève n'est pas assurée si le statut professionnel ne se fait pas plus enviable. Or, un des problèmes
de la profession est que sa vertu environnementale intrinsèque n'est pas reconnue
. La surface agricole utile est aujourd'hui d'à peu près la moitié du territoire français, mise en
valeur par 400 000 exploitations environ. Celles-ci sont rémunérées, modestement, par la vente de
leurs produits agricoles ; tout en étant les jardiniers de la moitié du pays, plus ou moins
gratuitement
. Or, non contente de bénéficier d'une externalité positive, la société a un cahier des charges
particulièrement exigeant sur ce que doit être la mission environnementale et paysagère de
l'agriculture. Il y a juste une inconséquence à espérer que cette externalité puisse être pérenne, si
elle n'est pas soutenue
.