Les craintes associées au recours à la compensation pour lutter contre l'artificialisation des sols

Les craintes associées au recours à la compensation pour lutter contre l'artificialisation des sols

– Avertissement. – Si tout porte à croire que la compensation écologique est un mode vertueux de lutte contre l'artificialisation des sols, elle présente cependant des risques : hausse du prix du foncier et illusion de l'équivalence écologique.
– Renchérissement du coût du foncier. – Certains porteurs de projets, des maires ou sénateurs s'inquiètent des conséquences pécuniaires du recours à la compensation écologique induit par le ZAN. Dans un contexte de pénurie foncière et de renchérissement des prix de l'immobilier, l'augmentation de la charge foncière liée aux objectifs de dépollution et de renaturation semble inéluctable. Selon France Stratégie, le coût de la renaturation d'un mètre carré s'élève entre 100 € et 400 €, en fonction des traitements à réaliser. À titre de comparaison, chacun des 357 hectares du site naturel de compensation de Cossure correspond à une unité de compensation commercialisée par CDC Biodiversité à près de 50 000 €, soit un rapport au mètre carré de 5 €. La mutualisation et la renaturation à grande échelle dans le cadre des sites naturels de restauration et de renaturation (SNRR) seraient donc très favorables sur le plan économique.
– Illusion de l'équivalence écologique. – En géographie, la renaturation désigne les actions d'aménagement destinées à réduire le degré de modification d'un milieu dit « naturel » par les activités humaines. La renaturation renvoie ainsi au concept de retour en arrière, vers un état plus « naturel » des écosystèmes, endommagés par la main de l'homme. Cependant, en sciences sociales comme en écologie, aucune action n'est réversible : « Après un passage d'un état A à un état B, toute tentative de revenir à l'état A conduira à l'état C, différent des deux premiers. Il conviendrait donc d'accepter l'irréversibilité des actions sociales sur les milieux pour se demander comment mieux intégrer la pensée environnementale aux actions d'aménagement. C'est aujourd'hui de plus en plus le cas dans les opérations de renaturation, qui intègrent la demande sociale actuelle plutôt que de chercher à recréer des milieux disparus » .
Le retour en arrière écologique apparaît comme utopique : la renaturation ne pourrait réparer de manière équivalente ce qui a été abîmé. Ainsi, selon les écologues, la nature n'est ni substituable, ni mesurable, ni réductible à des fonctions que l'on peut remplacer. Depuis l'accélération de l'actualité autour de la compensation environnementale, des controverses scientifiques sont apparues. Le débat présenté par l'écologue Vincent Devictor, chargé de recherche au CNRS, s'articule autour de deux questions fondamentales : la compensation ouvre-t-elle la porte à la justification de la destruction sous couvert d'un procédé régulé par des experts mal armés ou non légitimes ? La notion d'équivalence entre la nature abîmée et celle réparée n'est-elle pas hasardeuse voire utopique, compte tenu de la complexité écologique ?
L'équivalence écologique suppose de définir ce qui doit être compensé. Pour y parvenir, il faut mesurer ce qui a été détruit en des termes comparables à ce qui peut être reconstruit ailleurs. Cela suppose de « créer des indicateurs amenant à une standardisation de la nature », ce qui serait en soi « contraire au fonctionnement écologique des milieux naturels ». Pour Vincent Devictor, la compensation et l'équivalence écologique qu'elle suppose « ouvrent un abîme de difficultés ». À quel point un habitat ou une espèce sont-ils uniques ? Comment tenir compte du potentiel de biodiversité future d'un site voué à la destruction ? La complexité apparaît d'autant plus grande que les scientifiques et les décideurs en quête d'efficacité et d'opérationnalité ne mesurent sans doute pas « l'équivalence » entre deux états écologiques de la même manière. La loi laisse la gouvernance de la compensation aux experts, aux juges et à l'autorégulation des acteurs de terrains.

Conseil

L'efficacité de la compensation en question. Résultats d'une étude menée sur vingt-quatre projets entre 2012 et 2027

« Une récente étude menée conjointement par le muséum d'Histoire naturelle, le CNRS, l'Université Panthéon-Sorbonne et l'Université Paris sud a analysé 24 projets autorisés en 2012 et 2017. Sur ces 24 projets, les maîtres d'ouvrage ont mené une compensation sur des terres dégradées nécessitant effectivement une restauration dans 20 % des cas. Pour les 80 % restants, les mesures interviennent pour préserver des milieux qui sont déjà de bonne qualité. Cette étude souligne également le fait que les compensations sont généralement menées sur une pluralité de petits sites inaptes à reproduire les écosystèmes détruits par l'emprise du projet. »